Le J-Rock et la J-Pop ont toujours été mal vus hors du Japon, et spécialement dans la vieille Europe, assez conservatrice. Il faut dire que cette industrie a un fonctionnement assez particulier, et qu’il est difficile d’accepter le fait qu’un groupe ne soit que l’assemblage d’individualités par un manager, une maison de disques ou une société de divertissement. Ces écoles de formation où les aspirantes chanteuses et danseuses font leur armes pendant des années avant d’intégrer un collectif à quelque chose d’étrange pour les néophytes qui préfèrent de loin les groupes formés au hasard des rencontres, et qui échappent au formatage pour plaire au public le plus vaste. Alors souvent les groupes du cru sont montrés du doigt (le majeur de préférence) et boudés pour cause de marketing trop savamment étudié. Et il est certain que ces petites jupes et ces grandes chaussettes ont quelque chose de malsain pour nous, bien que nos propres majors n’aient pas hésité en temps et en heure à avoir recours au même principe. Seulement, le J-Rock est une réalité concrète depuis des années, et des groupes de qualité sont nés de ce principe, dont les BAND MAID qui fêtent en 2021 leur huitième album. Contrairement à leurs petites sœurs issues de la J-Pop, ou leurs petites cousines de BABYMETAL, les BAND MAID sont de véritables musiciennes, et de sacrées musiciennes même, qui depuis leur premier LP proposent une musique abrupte et énergique. Et alors qu’elles fêtent leurs huit années d’existence, les filles de Tokyo nous balancent l’album le plus équilibré de leur répertoire, mais aussi l’un des plus agressifs.
Nous avions quitté les filles alors qu’elles se sentaient conquérantes, mais nous les retrouvons deux ans plus tard prêtes à envahir le monde. Et pour cause, puisqu’elles sont soutenus sur cet album par la major du divertissement Pony Canyon, l’une des plus grosses sociétés du Japon. La cinquième est donc enclenchée, et le résultat s’en fait sentir. Cet Unseen World et sa pochette de doigts un peu bizarre en fait un gros à l’opinion publique en proposant un Hard Rock tirant sur le Power Metal de grande classe, et d’une efficacité redoutable. En homogénéisant leur répertoire, les filles ont trouvé une cohésion qui leur faisait peut-être défaut jusqu’à présent, et relèguent le reste de leur discographie au rang de brouillon talentueux.
Leur recette n’a pourtant pas changé d’un pouce, avec évidemment cette bande instrumentale échevelée qui permet de caler des parties de chant typiquement J-Rock, des mélodies héritées du business national, et une attitude générale frondeuse, comme si des gamines à peine sorties du lycée voulaient en découdre avec le patriarcat de l’industrie. Elles en font partie certes, et sans elle elles n’existeraient pas, mais il y a un esprit de revanche qui flotte sur cet album à la production épaisse et impeccable, une sorte de morgue qui catapulte ce huitième album au sommet de l’œuvre des japonaises. Ne le cachons pas, cet album est une véritable tornade qui s’abat sur nos oreilles sans considération pour nos tympans, et certains des titres auraient de quoi rendre complétement fous les acteurs majeurs de la fusion des années 90. J’en veux pour exemple le torrentiel « I Still Seek Revenge », qui, partant d’un riff purement Néo nous assène un slap de basse démoniaque et un phrasé vocal digne du SENSER le plus accompli. Les filles ont donc fait une cure de vitamines et aiguisé leur créativité pour oser leur album le plus versatile, entre les canons de beauté du J-Rock et le Metal plus européen et à la lisière d’un Power achevé.
Elles nous préviennent d’ailleurs avec leur entame « Warning ! », qui en dit long sur leur appétit de crédibilité. Encore une fois, le disque est propulsé par un morceau dantesque, à la guitare touffue et à la puissance décuplée, mais l’accélération soudaine révèle un groupe boosté par l’expérience, mais qui n’a rien perdu de sa fraîcheur et de son enthousiasme. Se lovant au creux de l’inspiration Metal nationale, les BAND MAID se déchaînent pendant quarante minutes, et n’hésitent pas à faire exploser les amplis de leurs hymnes complètement fous. Les voix s’entremêlent avec confiance, les riffs se musclent, et la rythmique se livre à un exercice de démonstration tout simplement effarant. A l’image d’un Manga ayant tourné fou et échappé au contrôle de son concepteur, Unseen World révèle la face cachée d’un quintet qui veut qu’on le prenne au sérieux, et qui a les armes pour ça.
Sur les douze titres de cet album (ou plus, selon les éditions), la plupart sont si rapides et méchants qu’on a la sensation que les musiciennes ont une revanche à prendre sur les moqueries passées. Sans doute le ras le bol d’être considérées comme de jolies décorations pour riches japonais en manque de jeunesse et d’être tournées en dérision par l’intelligentsia étrangère qui les prend encore pour des boniches de maison de disques, les BAND MAID mettent un point d’honneur à rappeler quelles excellentes musiciennes elles sont, et se livrent à une véritable démonstration technique qu’elles intègrent à une colère instrumentale presque palpable. On reste bouche bée devant cette démonstration ininterrompue qui a banni toute ballade de la course, et qui se contente d’empiler les hymnes Metal comme les baffes.
Pas question de sombrer dans le sentimentalisme, l’heure est à la rage, même si évidemment les tubes continuent de mener le bal. Entre Power Metal à la suédoise et Heavy rageur à la japonaise, Unseen World refuse de passer pour la bande-originale d’un dessin animé stupide et montre les dents. Tout est excessif, poussé à son extrême, et même les titres les plus mid dégoulinent de lave (« After Life »). Terminé le mid-tempo pour mettre tout le monde d’accord, et entre une batterie qui multiplie les fills improbables et une bassiste en perpétuelle démonstration, ce huitième tome des aventures de nos jolies soubrettes montre qu’elles ont abandonné le tablier.
« H-G-K » ressemble à su SLIPKNOT après une cure de Ranma ½, « Why Why Why » à un tube de Kim Wilde repris par WHITE ZOMBIE, « Giovanni » au Punk Rock des MAID OF ACE accéléré, tandis que le final épidermique de « Black Hole » se montre une fois de plus allusif à la scène Crossover des 90’s. Tempo général monté d’un cran, énergie qui ne se dément pas pendant quarante-cinq minutes, arrangements ludiques, et véritable fournaise, Unseen World montre enfin l’envers du décor, et fait la lumière sur toute cette affaire de J-Rock. Ne vous en déplaise, « puristes du Metal », les BAND MAID viennent de nous coller une véritable branlée avec leurs propres méthodes et sans se corrompre. Alors lâchez les arguments fallacieux, et oubliez les petites socquettes blanches. Ces filles-là ont plus d’énergie et de talent que votre petit groupe de merde n’en aura jamais.
Titres de l’album:
01. Warning!
02. NO GOD
03. After Life
04. Manners
05. I Still Seek Revenge
06. H-G-K
07. サヨナキドリ(SAYONAKIDORI) - Nightingale
08. Why Why Why
09. CHEMICAL REACTION
10. Giovanni
11. 本懐(HONKAI) - Ambition
12. BLACK HOLE
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