Mathcore, mais pas que. C’est un peu la définition la plus fidèle que l’on puisse faire de ce quintette de Berlin (Steffen – chant, Marcus & Marco – guitares, Tino – batterie et Marius – basse), qui nous offre son premier LP, truffé de références, mais aussi de citations beaucoup plus personnelles. Les HEDGER œuvrent donc dans la continuité de Where Dark Clouds Gather, leur premier EP, paru l’année dernière, et ont mis à profit une année entière (certainement jonchée de répétitions et de concerts) pour parfaire leur approche d’un Hardcore virulent, et un peu plus original qu’il n’y paraît à la lecture des quelques entrefilets lui étant consacré. Difficile toutefois d’en savoir un peu plus, leurs pages officielles étant plutôt avares en renseignements, tout au plus apprenons-nous que leur musique reflète « les problèmes courants de la société et de la vie, dont elle se pose en miroir ». Rien de surprenant au demeurant pour un combo Hardcore pur jus, qui se permet de faire de multiples allusions aux meilleurs représentants du genre chaotique, dont CANDIRIA, POISON THE WELL, et DILLINGER ESCAPE PLAN ne sont pas les moins méritants.
Mais en dehors de ce placement stylistique évident, il l’est aussi que les cinq musiciens ont salement bien répété leur partition, qui tourne sans trop répéter les mêmes gammes, même si de nombreuses inflexions vous rappelleront des refrains connus.
Adeptes d’un DIY total, les HEDGER opposent donc à une société de plus en plus repliée sur elle-même cet Unshaped Thoughts / With Eyes Unbound plein de colère et de lucidité, qui use et abuse de rythmiques heurtées et de riffs entrechoqués pour parvenir à son but. Nous bousculer le temps d’un album, qui prend son temps pour exposer son propos, mais qui en énonce les grandes lignes sans perdre une seconde. C’est ainsi qu’une fois la malicieuse intro de « Wicked Companion » passée, toute en note et shots retenus, la puissance du combo berlinois nous explose à la face, dans un accès de rage assez impressionnant. On pense alors à un dangereux mélange de combustion entre l’hydrocarbure CONVERGE et l’étincelle UNSANE, pour cette façon de coller à un réalisme Core urbain, et en décrire la jungle de façon rythmiquement métaphorique. Les plans s’enchaînent sans transition, le duo basse/batterie abatant un boulot de titan, et les deux guitares se complétant avec une intelligence rare. Plans serrés, riffs drus, mélodies alambiquées et étouffées dans l’œuf, digressions Jazzcore sur quelques secondes, pour une entame qui place la barre très haut, et revoie nos exigences de la même façon. C’est d’ores et déjà très bien exécuté, et de plus agrémenté de quelques accalmies vocales, qui permettent à Steffen de moduler quelque peu, dans une veine POISON THE WELL très acceptable, quoique son registre se heurte à ses limites sur quelques déviations de gamme notables.
Mais rien qui ne vous empêche d’apprécier l’investissement global, qui répond à un besoin d’urgence calqué sur un modèle de vie quotidienne pas très rose, mais malheureusement inévitable.
La course sinusoïdale continue de plus belle sur « Callous Glance », qui fait montre d’une inventivité réellement ludique, notamment dans l’utilisation de guitares en palm mute, qui cocottent quelques notes rattrapées au vol avant qu’elles ne s’échappent. La rencontre entre un NONMEANSNO plus en rogne que d’ordinaire et un FUGAZI redevenu soudainement aussi vorace qu’aux origines effleure l’esprit, ce qui prouve que ces cinq garçons-là ont reçu une bonne éducation musicale. Saluons au passage une production ébouriffante de sécheresse, qui pourtant offre à la batterie et la basse une profondeur non négligeable, tout en permettant aux guitares de rester arides. Un mixage aux proportions raisonnables mais non dénué d’ambition glace le tout d’une atmosphère délicieusement délictuelle, et nous embarque dans un Berlin loin des cartes postales européennes qui en vantent la vie nocturne et culturelle. On en retrouve les bas-fonds, ces rues ordinaires, loin des quartiers malfamés, que les citoyens lambda arpentent matin et soir, la mine résignée. C’est un quotidien cru que les HEDGER nous décrivent, et un avenir sans espoir particulier auquel se rattacher, si ce n’est celui d’un individualisme et d’une lutte constante pour survivre, malgré l’adversité.
Bien joué, on achète, malgré le pessimisme du scénario. Parce que la musique continue de séduire malgré les minutes qui passent, et « The Chase », et ses harmonies salies et torturées, ou « Focus » et son faux mid tempo méchamment retors de nous convaincre du bienfondé de la démarche.
Reprenant à leur compte leurs propres recettes via la relecture de « Where Dark Clouds Gather », confirmant ainsi tout le potentiel détecté à l’époque, tout en appuyant sur le frein pour un « Frail Hack » qui rigidifie l’ambiance d’une décélération des plans, sans le sacrifier à la détermination globale. Le chant de Steffen se fait alors beaucoup plus vindicatif, et tombe dans des grognements qui n’auraient pas dépareillé sur un exercice Metalcore vraiment inspiré.
Grosse basse en conclusion, pour un triptyque final qui nous entraîne sur la piste d’un Hardcore progressif, rappelant les plus belles expirations du DEP tardif, celui qui osait briser le moule sur Ire Works ou One Of Us Is The Killer. « Burst The Shell » puise donc dans le réservoir de munitions pour nous canarder d’un tir en trompe l’œil, aussi décadent que dissonant.
« Lost Ground », laisse s’écouler les secondes, et joue aussi sur l’ambivalence d’un quatuor décidément très imprévisible dans l’attaque, qui tente le biais, puis le revers, sans vraiment changer sa tactique d’origine. Constructions rythmiques en mode éparpillement pour regroupement soudain, et frappe tactique qui fait souvent mouche, à grands coups de guitares versatiles, et d’axe pulsatif en mouvement presque perpétuel.
« Monday Evenings », intensifie pour une dernière salve, histoire de nous garder à terre, incapable de bouger. Les roulements augmentent la cadence, alors même que Marcus & Marco continuent d’explorer toute la palette de leur inspiration pour nous détruire de motifs meurtriers, parfois faussement doux, mais réellement sadiques. Arpèges rapides, staccato, déliés, et placage soudain d’une gravité que le chant se complaît à souligner.
Premier album, qui s’il garde prise avec une indéniable lucidité de propos, se permet quand même des rimes intrigantes que l’on n’a pas l’habitude de trouver en fin de citation Mathcore. Mais comme je le disais, HEDGER, et Unshaped Thoughts / With Eyes Unbound, c’est du Mathcore, mais pas que. Mais vraiment pas que. Beaucoup plus. Une certaine idée de la violence progressive d’outre-rhin que des américains de légende pourraient bien leur envier.
Titres de l'album:
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