La plupart du temps, lorsqu’on me parle du NECRONOMICON, je pense à plusieurs choses. Le grimoire de Lovecraft évidemment, Evil Dead de Sam Raimi, le film à sketches éponyme de Brian Yuzna, Christophe Gans et Shūsuke Kaneko, ou plus prosaïquement en en lien avec notre musique préférée, ce fameux groupe allemand de série B et son Thrash appréciable, mais pas inoubliable pour autant. Et par extension, ma mémoire commet toujours la même erreur, laissant traîner dans ses limbes le fantôme pourtant très concret de ce groupe canadien formé à l’agonie des années 80, toujours actif aujourd’hui, et même plus que jamais. Il est d’ailleurs assez étonnant de constater qu’il ne soit pas plus connu dans le mainstream de l’extrême, puisque depuis bientôt trente ans, le NECRONOMICON de La Baie agite Montréal de ses soubresauts rythmiques incomparables et de son crossover génial entre Death formel et Black d’apparat. Fondé en 1988 certes, mais sans production discographique avant 1999, soit l’équivalent d’une décennie/génération à peaufiner un son, entre une démo initiale en 1992 et un premier mais timide EP quatre ans plus tard. Mais une fois le rythme de croisière trouvé, le trio canadien a pulvérisé les records de productivité, nous offrant pas moins de 6 LP en vingt ans, ne démentant jamais une quelconque qualité. Jugez du peu, Pharaoh of Gods, The Sacred Medicines, The Return of the Witch, Rise of the Elder Ones, Advent of the Human God et ce dernier né, Unus, pour une œuvre globale qui exige une réévaluation immédiate et l’intronisation au panthéon des plus grands destructeurs nord-américains de la création. Quelle est donc la recette de ce groupe unique, qui depuis ses débuts s’évertue à se faire remarquer sans vraiment y parvenir ? Trouver son inspiration générique dans le Death américain des années 90, scène dont il fit partie, et le souligner d’orchestrations plus symptomatiques du BM européen des mêmes années, pour lui conférer une aura mystique à la NILE, sans passer par la case synthétique de grande surface de l’horreur pour adolescents boutonneux de CRADLE OF FILTH.
Du trio d’origine, ne subsiste donc que le guitariste chanteur Rob "The Witch" Tremblay, responsable également des claviers depuis 2003. Aujourd’hui épaulé par Raum à la basse et Jean-Philippe Bouchard (MAGISTER DIXIT, MORNINGLESS, NECROTICGOREBEAST, OXIDIZED FAITH) à la batterie, depuis deux ans, le tempétueux leader continue donc sa navigation sur des eaux troublées, et pousse à son paroxysme l’art séculaire de sa créature à traverser des tempêtes qu’elle a elle-même déclenchées. Si le parallèle le plus évident rapprochera encore une fois NECRONOMICON des immanquables DIMMU BORGIR, il n’est pas non plus incongru de parler de MORBID ANGEL, spécialement dans les passages les plus ambiancés, voire même d’évoquer une forme extrême du VOÏVOD le plus viril. Mais en dehors de ces parallèles probants ou non, l’identité de NECRONOMICON ne fait plus aucun doute sur cet Unus, qui tout en continuant le travail entrepris sur Rise of the Elder Ones et Advent of the Human God se projette encore plus en avant, au point d’incarner une sorte d’acmé maléfique. La méthode est connue, et éprouvée. Des couplets cruels et emprunts de vilénie américano-scandinave, dramatisés par des arrangements symphoniques et synthétiques, histoire de rapprocher la philosophie d’un Blackened Death atmosphérique, mais concrètement agressif et puissant dans les faits. Rob "The Witch" Tremblay n’est donc pas uniquement là pour contempler les dégâts avec un détachement nihiliste, mais bien pour en être la cause, et son travail atteint une apogée aujourd’hui, ce que des morceaux parfaitement équilibrés de la trempe de « Ascending the Throne of Baator », aux dissonances dérangeantes et « Fhtagn », intermède moite prouvent de leur créativité diabolique. De fait, l’album est parfaitement construit, évolutif, presque progressif parfois, et ne se limite pas à un pilonnage systématique des défenses auditives, ce qui aurait pu se montrer terriblement rébarbatif. On sent d’ailleurs les ambitions dès « From Ashes into Flesh », qui de ses claviers gothiques et vampiriques évoque CRADLE et DIMMU, les deux seigneurs symphoniques de la planète BM, mais le maelstrom sonore titille aussi la corde sensible de l’élitisme d’EMPEROR, avec ses parties de batterie ininterrompues et son dramatisme de surface.
Sorte d’opéra occulte, Unus impose dès ses premières mesures un univers cosmique, et ouvre les portes aux démons de l’enfer, impression que la double pédale de Jean-Philippe appuie de son tir à vue constant. Toujours autant interprète que chanteur, Tremblay domine de ses modulations la bande instrumentale, terriblement riche, qui nous enivre de ses changements de tempo, de ses volutes de clavier toxiques, et en à peine plus de quatre minutes, le trio nous prouve sa singularité et ses prétentions artistiques. Cette impression n’est pas atténuée par « Infinitum Continuum » au mid tempo plus accrocheur, et aux riffs ne l’étant pas moins. Plus brutale, cette suite se montre sous un jour barbare mais séduisant, plus fondamentalement Death, avant que les notes de synthé ne s’imposent dans un délire baroque. Développant un nombre conséquent de breaks sans nuire à l’avancée globale, Unus est une ode à la brutalité intelligente, aménageant des espaces de luminosité pour mieux rendre l’auditeur accro (« Paradise Lost », le titre avant-coureur qui n’hésite pas à allécher avec des stridences mais aussi des licks pertinents), et le faire déambuler dans les méandres d’un esprit malin via des couloirs sombres en inserts emphatiques (« The Price of a Soul », car les intermèdes sont tout sauf gratuits ici). On se laisse donc entraîner dans cette sarabande tout sauf monomaniaque, qui perfectionne encore plus la technique, et se donne des airs de synthèse entre la précision chirurgicale de MORBID ANGEL et l’ultraviolence dramatique de BEHEMOTH (« Singularis Dominus »). Quelques accents orientaux à la NILE pour introduire une déferlante de sadisme (« The Thousand Masks »), une humilité de fond qui empêche les titres de trop jouer les prolongations, et surtout, un final dantesque en diptyque « Cursed MMXIX » / « Vox Draconis », avec quelques clins d’œil Thrash mais surtout, l’assurance d’avoir fait du bon boulot.
On constate donc après analyse d’Unus qu’il est totalement injuste que ces NECRONOMICON canadiens ne soient pas reconnus à leur juste valeur, eux qui existaient déjà alors que les groupes auxquels on les compare n’étaient encore qu’en gestation improbable. Une réhabilitation globale à prévoir ? A voir si Lovecraft de son au-delà peut faire quelque chose pour eux…
Titres de l’album :
1. From Ashes into Flesh
2. Infinitum Continuum
3. Paradise Lost
4. The Price of a Soul
5. Singularis Dominus
6. The Thousand Masks
7. Ascending The throne of Baator
8. Fhtagn
9. Cursed MMXIX
10. Vox Draconis
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