Unveilance of Dark Matter

Moloken

31/01/2020

The Sign Records

Du grand nord de la Suède émanent des bruits étranges. Des dissonances appuyées, des hurlements déchirés, des cordes maltraitées, des codes malmenés. On sait pourtant que cette région est plutôt propice à un silence statique et hivernal, les périodes de grand froid ne facilitant pas l’expression. Pourtant, du côté d’Umeå résonne depuis quelques années un écho étrange, assemblage de sons disparates réunis par l’espace en une symphonie du bizarre et du décalé, un peu comme une autre dimension, dans laquelle la mélodie n’est pas sacrée, dans laquelle le rythme n’est pas figé, dans laquelle les possibilités sont infinies. Les suédois, c’est d’usage, ne font rien comme tout le monde. Dans les années 60, le pays ne vivait qu’au rythme de ses Folk parks, et dans les années 70, seul le nom d’ABBA était associé au pays. Les années 80 ont commencé à faire bouger les choses, mais c’est surtout les nineties qui ont agité le bocal mondial pour placer ce petit pays sur la carte du Rock. Un pays aux dimensions ridicules et pourtant peuplé aujourd’hui du plus grand nombre de groupes, proportionnellement. Un genre de concentration de génies totalement en phase avec leur époque, qui savent ce que le public Metal veut entendre, et qui le jouent. Ou pas. Ou totalement le contraire. Comme dans le cas des désaxés de MOLOKEN. Car MOLOKEN c’est l’art du contrepied total, de la fusion ultime, de l’anti-commercial acharné et de l’expérimentation comme seule échappatoire. Une façon de tourner le dos aux collègues qui le font rond pour amadouer la Pop dans un contexte de Rock. Ici, pas de jolis refrains, pas de sons synthétiques pour faire plaisir à la ménagère Metal, non, rien d’autre qu’une musique fascinante mais biscornue, jouée par des esthètes dévolus au seul plaisir de l’aventure. Depuis longtemps maintenant, plus de dix ans. Né en 2007, le concept suédois se voulait pluriel, et fasciné par des tendances extrêmes. Du Doom, du Death, du Black, mais aussi la scène Progressive des années 70, histoire de rendre le tout encore plus personnel. Et trois albums sont venus illustrer cette philosophie nordique. Our Astral Circle en 2009, Rural en 2011 et All is Left to See en 2015. Depuis cinq ans, plus de nouvelles. Le silence. Mais on se doutait bien que ces quatre-là n’allaient pas se taire longtemps. Dont acte, et dont Unveilance of Dark Matter, premier sur The Sign Records, le label national de référence.

Jakob Burstedt (batterie), Kristoffer Bäckström (guitar/chant), Nicklas Bäckström (basse/chant) et Patrik Ylmefors (guitar/chant) se retrouvent donc dans la même écurie que des valeurs sûres comme HEAVY FEATHER, HONEYMOON DISEASE, HYPNOS ou les LIZZIES, et pourtant, les groupes ne partagent pas forcément le même point de vue. Néanmoins, il faut leur accorder cette convergence : puiser dans le passé de quoi faire glisser le présent vers l’avenir. En faisant le lien entre les aventureuses 70’s et les inclassables 90’s, MOLOKEN brouille les pistes. Aucune citation précise en ce qui concerne leurs influences, ce qui n’a rien d’étonnant au jugé de leur musique unique. Pourtant, des pistes se précisent lorsqu’on les connaît bien, et quelques noms viennent à l’esprit. Plus en termes de culot et de monochromes d’ailleurs, de dimensions et d’art de funambule, et c’est ainsi que très rapidement, le musicologue lettré reconnaîtra des réminiscences de VOÏVOD, de VIRUS, de SHINING, d’UNSANE, mais aussi de BREACH et des JESUS LIZARD. Car les suédois sont de cette race de musiciens à ne pas se contenter de morceaux faciles, linéaires, ou d’une approche trop confortable. Au contraire, ils aiment l’inconfort, ils aiment plonger l’auditeur dans un marasme sonore, un déluge de sons bizarres, assemblés logiquement, mais qui ne rassurent en rien. Et s’ils admettent des accointances avec tout ce que la scène des années 90 comptait de plus brutal et tendu, la réalité est toute autre, et le couperet tombe, comme les masques : leur musique ne supporte pas les étiquettes. Abordons-là avec le respect dû aux choses rares et précieuses, et appréhendons-là comme une forme très déviante de progressif un peu lunaire, un peu ailleurs, une sorte de Proto-Post-Hardcore qui n’en est pas vraiment, mais qui peut comprendre l’héritage de BREACH et de son extension ignoble TERRA TENEBROSA. A la rigueur, il est même possible de voir dans cet art consommé une façon de détourner les codes du Hardcore suédois au profit d’un Metal qui doit tout autant à TOOL qu’à OPETH, sans le la jouer arty. Car ici, rien n’est conceptualisé, tout est naturel, et jaillit. C’est en tout cas ce que « This Love Is A Curse » démontre. Intro classique, venteuse, et soudaine charge des riffs. Les thèmes sont multiples, superposés, empilés, mais toutes les accroches se distinguent. Car aussi bruyant soit le groupe, il souhaite qu’on discerne tous ses éléments.

Sans vraiment dévier de leur route pas très bien tracée, les MOLOKEN proposent avec Unveilance of Dark Matter une matière sombre qu’ils modèlent à leur bon vouloir. Un mélange du monolithe Kubrickien et de cette huile noire des X-Files, un point de jonction entre l’humanité et une autre intelligence, supérieure, venue d’ailleurs. « Surcease » sonne d’ailleurs comme un message envoyé dans l’espace combinant la force brute et sans concessions des BREACH, et les dissonances si chères à JESUS LIZARD. Une version d’ébauche de VIRUS, tout aussi complexe, mais plus brutale. Et n’attendez surtout pas d’eux une suite logique qui chemine sans se poser de questions. Car des questions, il y en a beaucoup sur ce quatrième album. Pourquoi jouer le Metal comme du Noisy Jazz progressif de datation inconnue ? Pourquoi deux guitares jouant en permanence des riffs contraires avec au centre, une basse complètement libre, et le tout dans un unisson troublant de cohérence (« Shadowcastle (Pt. I) ») ? Pourquoi ces hurlements qui sonnent vraiment effrayants, et secs comme des coups de trique sur la nuque ? Pourquoi cet intermède mélodique encore plus flippant qu’une ombre un soir de pluie (« No Ease, No Rest ») ? Des pourquoi, comme vous l’avez pigé, il y en a des tonnes ici, mais des parce-que, jamais. Ici, le Metal est joué avec la rigueur inflexible du Hardcore, mais avec la liberté d’un Progressif qui n’a pas à justifier ses extensions. Rien n’est joli, tout est discordant, comme du VOÏVOD imité par des aliens qui n’auraient pas tout compris à la finesse de Piggy (« Hollow Caress »). Du rudimentaire ciselé. Du gauche précis. Mais aussi du glauque en claustrophobie, des licks accrocheurs noyés dans une mare poisseuse (« Venom Love »). Du mal-être en branches, qui même sur ses moments de quiétude inquiète (« Repressed », les suédois sont vraiment doués pour ces petites transitions malsaines mais mélodiques), et qui peut même aller jusqu’à traumatiser en jouant l’apparente candeur (« Lingering Demise » aux breaks délicats ruinés par une voix ignoble en arrière-plan).

C’est nauséeux, mais aussi une bouffée d’air frais. Le paradoxe ne manque pas de saveur, comme ces titres qui osent le Hardcore étrange sur fond de chaos instrumental pernicieux, mais intelligent, comme du Death évolutif hypnotique et cruel (« Unbareable »). Bref.

La Suède est donc un pays bien étrange. D’un côté les civilisés, de l’autre les isolés. Mais vous n’avez pas à choisir votre camp. D’ailleurs, les MOLOKEN n’en ont qu’un seul, le leur. Au nord d’un pays qui n’a pas fini de nous surprendre de ses nuits sans fin.  

                           

Titres de l'album :

                            1. This Love Is A Curse

                            2. Surcease

                            3. Shadowcastle (Pt. I)

                            4. No Ease, No Rest

                            5. Hollow Caress

                            6. Venom Love

                            7. Repressed

                            8. Lingering Demise

                            9. Unbareable

                           10. One Last Breath

                           11. Unveilance of Dark Matter

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par mortne2001 le 07/06/2020 à 18:37
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