Vous avez remarqué à quel point la laideur peut être belle parfois ? Combien de fois avez-vous arrêté votre regard sur un faciès disgracieux aux contours irréguliers, combien de fois avez-vous satisfait votre curiosité morbide à la vue d’un spectacle sanglant, accident, massacre, mort violente ? Car oui, la laideur à ce pouvoir hypnotique que la beauté lui envie, spécialement dans le domaine de l’art ou les performances les plus atroces, flattant les plus bas instincts sont les plus marquantes, de celles qui rougissent votre mémoire aux tisons. Musicalement parlant, cette laideur peut prendre plusieurs formes. Celle d’une œuvre amochée, malformée, modelée par des artistes ne maitrisant pas les codes ou les malmenant, à la manière de la vague No Wave new-yorkaise des années 80 ou des digressions Hardcore de la même décennie. Un truc approximatif, un peu fauché sur les bords, souffrant d’une pratique instrumentale amoindrie, ou de moyens de production trop faibles. Mais elle peut aussi prendre la forme d’un travail volontairement hideux, moulé dans la fange de l’humanité, osant les sonorités graves ou discordantes, la disharmonie la plus totale, frisant le chaos pour provoquer le bruit blanc le plus mat, et accentuant la profondeur pour creuser la terre aride du cimetière du mauvais goût. On connaît cette approche, qui dans le domaine du Metal est privilégiée la plupart du temps par les groupes de BM lo-fi, des combos Hardcore trop pressés, des maniaques du Gore maniéré, ou les avant-gardistes trop fiers pour s’y cataloguer. Mais s’il est un genre qui reste le spécialiste de ce genre de débauche, c’est bien le Doom, et par extension, son fils bâtard, le Sludge. Souvent penchés du côté Noisy où ils vont tomber, les artistes du cru n’aiment rien de plus que de nous irriter les oreilles avec des riffs pachydermiques, des vocaux primitifs et des rythmiques monolithiques. Et les plus aventureux de taquiner l’insupportable en mélangeant les courants, histoire d’injecter un peu d’air vicié à leur sang contaminé. Et dans le créneau, les australiens de RELIGIOUS OBSERVANCE font partie des plus enclins au sadisme, comme en témoigne leur second-longue durée, ce vomitif et répugnant Utter Discomfort.
Dans les faits, et objectivement, RELIGIOUS OBSERVANCE n’est fondamentalement pas le groupe le plus horrible de la création. D’autres entités lui ont déjà damé le pion il y a longtemps, et continuent à le faire, mais intrinsèquement, et après dissection des éléments de base de sa constitution, il s’emploie quand même à recycler les ingrédients les plus nauséabonds des genres qu’il aborde. Ce sextet né de l’union des deux entités australes SHE BEAST (Sludge) et COLOSTOMY BAGUETTE ? (Noise, palme du nom de groupe du siècle à Melbourne en 2017), et constitué d’un panel de psychopathes revendiqués (Gnome Lord - batterie, Gooch - guitare, X - bruit, Wayniac - chant, The Void - basse/chant, Filth Bucket - guitare) est en fait la somme de ses particularités, qui une fois assemblées, forment une sorte d’hymne à la noirceur, à la puanteur, et à tout ce que l’art peut offrir de moins attirant et séduisant. Et pourtant, les cinq morceaux présents sur ce second long sont tout ce qu’il y a de plus ordonnés et agencés, ne tolérant la liberté qu’en termes d’individualisme artistique et non en tant qu’exutoire/foutoir pour pseudos-musiciens incapables de faire autre chose que n’importe quoi. Et après examen de conscience complet, on note que cette musique aussi épaisse qu’une couche de chaux sur une fosse commune est relativement éprouvante à écouter, mais en même temps créative et intelligente, ce qui rend les choses encore plus étranges et dangereuses. Sludge donc, puisque le tempo lourd et les riffs maousses l’imposent, mais aussi Post Hardcore, un peu NOLA maladif sur les bords, et résolument Hardcore dans l’attitude, et donc, une sorte de Crossover grandeur nature pour une nature qui justement ne leur en veut pas d’avoir été mis au monde aussi méchants et tordus.
Encore plus que leur frondeur premier essai, Utter Discomfort affiche le monochrome de l’abomination dès sa pochette et son titre. En regardant ce visage déformé et grotesque, et en lisant ce titre qui joue la franchise, on sait déjà que les malins vont nous entraîner sur la piste d’un inconfort le plus absolu, tout en titillant notre curiosité. En se rapprochant des valeurs les plus sûres de la scène, mais en confrontant leurs racines à celles d’UNSANE, de NEUROSIS et d’ISIS, et en tâtant de l’expérimental à la THROBBING GRISTLE/PSYCHIC TV, les australiens tiennent la corde, et signent des titres qui certes jouent la longueur et la douleur, mais qui n’hésitent pas à développer leurs arguments et leurs humeurs en liant leurs thématiques sans laisser la corde trop lâche. Et c’est ainsi que « Wedding Trough » place les débats sur le terrain de la gravité, laissant une basse énorme se disputer le peu d’air avec des samples bien placés, évoquant la période la plus traumatique des américains de NEUROSIS, sans en singer les habitudes stroboscopiques. Ici, on s’arque boute sur un motif, mais on le comprime, on le déforme, pour le laisser épouser les formes d’une psychose globale, au sein de laquelle les guitares s’insinuent pour doubler la fausse harmonie. Sans se calquer sur le supplice chinois de la goutte d’eau, ce morceau ose quand même juxtaposer la pesanteur de la scène Post Hardcore nineties et l’âpreté d’UNSANE, créant un vortex CONVERGE passé du 78 tours au 33 tours sans transition. On reconnaît évidemment l’ombre du Scott Kelly d’Enemy of the Sun, mais aussi le Chris Spencer le plus vicieux, avec ce chant qui se contente de hurler une litanie de mort pour mieux effrayer les vivants. Et de fait, c’est très vilain, mais aussi complètement fascinant, et surtout, pertinent, ce qui n’est pas le moindre des exploits. Surtout lorsque brusquement, la machine s’emballe pour nous enfermer dans un body bag de mid tempo.
Si quelques-uns ignorent encore l’art du « Seppuku » depuis la sortie du premier album de TAXI GIRL, je leur rappelle que cet art consommé du suicide par arme blanche typiquement asiatique et noble trouve une de ses illustrations sonores les plus fidèles chez les RELIGIOUS OBSERVANCE (nom d’ailleurs qui en argot sexuel désigne un rapport consenti entre deux adultes, pour la bonne bouche…). Lancinance, souffrance, pour un énième étirement Doom, compact, et surtout, bâti sur un crescendo de dix minutes histoire de faire passer la pilule encore moins vite. Mais une fois encore, grâce à un habile jeu de percussions, on avale, et d’un long trait puisque la posologie le réclame. Mais d’un autre côté, « Sink » peut aussi représenter une sorte de pinacle, avec ses douze minutes de progression bien tassées, qui laissent des samples s’imposer pour finalement permettre au volume d’augmenter de concert avec la haine et former le chaînon manquant entre l’ignominie des ENCOFFINATION et la folie dérivative des NEUROSIS, sans emprunter à l’un ou à l’autre. En comparaison, « Utter Discomfort » est presque enjoué, et provocant comme clôture. En choisissant de se montrer presque entrainants, les australiens étonnent et choquent, et signent presque un hit pour résidents de maison de traitement. Ne vous reste plus qu’à enfiler la camisole Doom pour entrer dans la cellule capitonnée Sludge, et le tour est joué, vous êtes le nouveau pensionnaire de ce sanatorium pour baveurs d’âme en manque de démons intérieurs. Mais Dieu, que la laideur est belle lorsqu’elle est magnifiquement moche.
Titres de l’album :
1.Wedding Trough
2.Seppuku
3.In Ano
4.Sink
5.Utter Discomfort
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