Quoi de plus adéquat qu’un peu de Black Metal pour sonoriser un samedi d’automne pluvieux ? Histoire de chasser le soleil encore un peu plus loin pour qu’il n’irradie pas notre peau d’ultraviolets, la laissant blanche comme la lune pleurant la mort de la nuit…
Un peu de poésie n’a jamais fait de mal à personne. Par contre, le projet ASAGRAUM a abimé beaucoup de tympans au fil des années, au point de constituer aujourd’hui une force vive de la scène européenne. Fondé en 2015 du côté des Pays-Bas, ce groupe peut se targuer d’avoir publié deux albums d’importance, en à peine deux ans. Mais après quatre ans d’absence et le choc rudement encaissé de Dawn of Infinite Fire, il était temps de passer la vitesse supérieure, pour entamer le virage du troisième-né sans avoir à freiner.
ASAGRAUM peut aujourd’hui regarder vers l’avant avec fierté. C’est en tout cas ce qu’insinue de façon poussée le label Edged Circle Productions, qui ne tarit pas d’éloges sur cette réalisation. Incarnant le versant le plus traditionaliste du Black Metal venu du froid et exporté partout en Europe, Veil of Death, Ruptured est un linceul noir qu’on se glisse sur le visage pour entrevoir les dimensions parallèles à travers lesquelles les esprits flottent à la recherche d’une âme à pervertir.
Obscura (guitare/chant), A. Morthaemer (batterie) et Makhashanah (basse) nous proposent donc beaucoup plus qu’un simple album destiné à être digéré sitôt avalé. Le sens aigu de la composition de ces musiciennes est bluffant, et surtout, d’une intelligence rare. Car tout en conservant une éthique puriste, le trio parvient à transcender les codes, à jouer avec les arrangements pompeux et l’esthétique symphonique sans tomber dans le piège du démonstratif clinquant et peu engageant.
D’une puissance phénoménale, Veil of Death, Ruptured parvient à réconcilier la scène norvégienne avec sa consœur anglaise, pour produire la musique la plus diabolique possible, sans jamais verser dans le chaos ou la paraphrase maladroite. Avec une variété de sons, un panache incontestable au niveau des atmosphères développées, ASAGRAUM rappelle les anciens d’ARCKANUM, mais aussi toute une liste d’influences possibles, allant de MAYHEM à DARK FUNERAL, de SARGEIST à GORGOROTH, et de HULDER à ASTARTE, les pionnières de la scène des années 90.
D’ailleurs, ce troisième tome pourrait avoir été exhumé d’une décennie qui a vu tous les possibles se concrétiser. Entre nostalgie inévitable et désir d’honorer un présent qui mérite lui aussi de laisser sa trace, Veil of Death, Ruptured louvoie avec beaucoup de prudence, alternant les poussées de violence et les ralentissements soudains, conférant à l’entreprise un caractère farouche qui refuse de se laisser dompter pour rentrer dans une petite case/cage. Ainsi, « Ignem Purificat Lilith », en tant qu’ouverture, place les pions, et élabore sa tactique. Des riffs acides, une voix mixée en avant pour impressionner les passants, mais surtout, un sens du groove inné, à la manière d’un CRADLE OF FILTH plus concerné par sa musique que par son imagerie.
Le trio, soutenu par la frappe solide et inventive de Dirk Verspaget, prend donc du muscle, et assoit sa réputation. On se laisse facilement happer par ces morceaux à tiroir, truffés de breaks et autres transitions, qui tout en vouant un culte à la FWONBM, garde contact avec ses racines d’Europe centrale. On pense souvent à un BM à l’allemande, strict, froid, mais mélodique et fertile, et agrémenté de chœurs évanescents et autres arpèges menaçants.
Ambitieux, épique, mystérieux, Veil of Death, Ruptured se révèle par petites touches, et constitue d’ores et déjà l’apogée d’une première partie de carrière impeccable. Entre le mysticisme mélodique de « Opus ad Aeternum », instrumental/transition tout en clarté de guitare non saturée, et l’ampleur blasphématoire du final « De Waanzin Eoept Mijn Naam », cathédrale sonore érigée en Hollande et dans laquelle le chœur chante en langue natale, ASAGRAUM se revisite, se réinvente, et accouche d’un bébé énorme, aux yeux rougis par la haine, et aux cris perçant les tympans.
Si le travail à la guitare est impressionnant de bout en bout, si la rythmique écrase, mutile, aplatit et lapide, si le chant agressif et époumoné chatouille la sensibilité BM, c’est l’assemblage de toutes ces composantes qui permet à ce troisième album de franchir un cap, entre hier et demain, entre la fureur et le bruit.
Evitant tous les pièges des poncifs les plus éculés, ASAGRAUM ose donc avancer à découvert pour affirmer sa détermination, et la force de frappe a de quoi faire trembler. Avec des jets de bile aussi acides que « Impure Fire », et des évolutions progressives et accrocheuses de la trempe de « Veil of Death, Ruptured » (dont l’intro est totalement irrésistible), Veil of Death, Ruptured déterre les morts, les débarrasse de leurs oripeaux, pour les transformer en soldats d’une armée de la nuit, préparant son attaque dans la pénombre.
Il est presque midi, et ce satané soleil est revenu. J’aime y voir un signe du destin, qui a attendu la fin de cette chronique pour imposer sa clarté. Celle d’ASAGRAUM étant impénétrable, inutile de vous attendre à un arc-en-ciel.
Titres de l’album:
01. Ignem Purificat Lilith
02. Fearless Dominance
03. Opus ad Errantem
04. De Verloren Tijd
05. Impure Fire
06. Veil of Death, Ruptured
07. Opus ad Aeternum
08. De Waanzin Eoept Mijn Naam
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