Souvent les œuvres littéraires servent de base à des concepts musicaux plus ou moins aboutis. Il est vrai que la matière écrite est propice à des interprétations harmoniques facilement retranscriptibles…
Plus rarement, c’est une œuvre picturale qui sert de terreau à l’émergence d’un travail mélodique (ou pas), et le résultat est souvent fascinant, offrant un regard neuf sur des travaux abstraits, ouverts à l’interprétation, les éclairant d’une lumière inédite, souvent émise par la psyché de musiciens avides de thématiques moins évidentes que la sempiternelle violence urbaine ou la décadence d’un monde brûlant à sa perte.
Un nouveau cas nous en est offert par le collectif canadien ANCRESS (« Celle qui s’est retiré du monde »), qui a décidé d’adapter en partitions les peintures de l’artiste Polonais Zdzisław Beksiński, assassiné dans des conditions sordides et tragiques par une jeune connaissance de dix-neuf ans, pour une simple histoire d’argent.
L’œuvre de Beksiński se décompose en deux périodes, balisées par des cadres assez précis. La première partie de sa carrière s’est focalisée sur un travail de « réalisme utopique », tandis que la seconde s’est plus volontiers portée sur un style plus abstrait, empreint de formalisme.
L’ensemble dégage une puissance indéniable, avec un trait personnel, et des graphismes détourné de dystopie, qui ont visiblement suffisamment impressionné les Canadiens d’ANCRESS, au point de consacrer à son travail un quadruple album, dont les deux premiers volets sont présentés ici, et disponibles en format double LP, avant qu’une suite ne voie le jour (le quadruple album de départ a vu ses prétentions revues à la baisse eut égard au cout engendré…).
D’un point de vue plus concret et pragmatique, les ANCRESS viennent tous de groupes de l’écurie A389 Recordings (VILIPEND, TITAN, HOMOLKA, EYESWITHOUTAFACE), et se complaisent dans le brouillage de pistes le plus absolu, en refusant catégoriquement de se raccrocher à un wagon de style bien précis. Mélangeant des éléments de Crust, de Hardcore, de Grind, de BM et d’Industriel, les Canadiens ont choisi la voie de l’abstraction pour coller de près à la thématique conceptuelle choisie, et proposent donc un album d’une grosse trentaine de minutes d’une versatilité assez bluffante, et d’une originalité relativement saisissante.
Sous une pochette à l’artwork signé de la main d’Alex CF (FALL OF EFRAFA, LIGHT BEARER) se cache dont une des plus grosses surprises de la fin 2016, et Victoria/Jeiunium ouvre des perspectives aussi intéressantes et envoutantes que la peinture de Beksiński, d’où ce double album tire son essence propre.
Dès lors, il est assez difficile de parler d’une musique aussi plurielle sans la vulgariser, ce qui serait une insulte à la créativité de ces musiciens qui ont justement refusé tout ancrage trop marqué pour perdre l’auditeur dans leur imagination guidée.
Tout est possible, et toute interprétation validée d’avance. Tel est donc le crédo de cet album déstabilisant, aussi serein qu’il n’est chaotique, et qui peut de secondes en minutes évoquer la galaxie CULT OF LUNA, comme le Post BM stellaire des ALCEST, ou la quiétude mono/automnale des MONO, sans pourtant se rapprocher de l’une ou l’autre de ces références de trop près.
Victoria/Jeiunium est donc un LP qui échappe à toute catégorisation, et qui offre un voyage aux confins de la, ou d’une vérité, que même ses musiciens ne semblent pas forcément détenir.
Passant d’un Post Hardcore impitoyable à un Doom/Sludge salement torturé, les ANCRESS ne font rien pour nous guider dans leur monde de ténèbres et de lumière, et nous laissent admirer leurs œuvres comme on regarderait des peintures lors d’une exposition, apportant chacun son raisonnement pour aboutir à une conclusion multiple, et sans doute trop personnelle pour se rapprocher du sens initial.
Pour autant, rien de pompeux ou élitiste ne vient marquer ces neuf morceaux aussi différents qu’ils ne s’imbriquent logiquement, dans une progression profondément humaniste. La musique qui les anime est tout simplement trop ouverte et plurielle pour offrir une rambarde de protection rassurante, ce qui en fait une des qualités les plus recherchées dans le monde de l’extrême.
Cet extrême que les Canadiens semblent rattacher à la simplicité brute d’harmonies amères, comme en témoigne le très long labyrinthe « The Long Walk », qui se fait un plaisir de mélanger la crudité d’un duo guitare/chant à la UNSANE à la stabilité monolithique d’une rythmique à la NEUROSIS, aussi brisée qu’elle n’est linéaire et Sludge.
Mais avant d’en arriver à la toile musicale la plus conséquente de ce Victoria/Jeiunium, il vous faudra passer par des étapes plus brèves mais tout aussi étranges, comme cette ouverture chaotique « A Mother’s Love » qui de son Hardcore viscéral capture l’urgence de la scène UNSANE/CANDIRIA, à grand renfort de guitares abrasives et de chant écorché et maladif.
« Force Fed », suite illogique, se repaît de Crust/Grind implacable, que de soudaines phases de riffs accrocheurs viennent interrompre pour attirer l’attention des plus modérés bruitistes.
« Knell », interlude Ambient oppose des nappes synthétiques à un discours samplé mixé en arrière-plan, tandis que « Embraced » répand les effluves d’accords électriques apaisés, typique d’un Post Hardcore serein, brutalement crucifié par des lacérations rythmiques impitoyables. Aussi BM qu’elle n’est Hardcore, mais sans jamais tomber dans la vulgarité d’un Blackened Hardcore dénoué de facilités, la musique des ANCRESS se veut complexe et pourtant instinctive et intuitive, bouffant à tous les râteliers sans jamais avaler plus que la satiété n’exige.
« As Trumpets Fade » place une énorme basse ronde aux avant-postes, et déroule un mid tempo brisé au charme FUGAZI très prononcé, avant que l’assaut impitoyable de dualité de « Seven Sorrows » ne vienne corrompre la quiétude d’un Ambient harmonique d’un Hardcore torturé et maladif.
Et au-delà de la longue litanie « The Long Walk » se placent les terminaux « Quitoxic », et son long crescendo Ambient menant à la conclusion « Pyres », acmé d’un album en sensations évolutives, qui reprend en format concentré toutes les caractéristiques libres d’un groupe vraiment à part, en osant le Grind le plus torride, le Hardcore le moins limpide, et le Post Metal livide.
Je n’ai jamais eu la chance de pouvoir admirer l’œuvre picturale de Zdzisław Beksiński, et je le regrette amèrement tant ses peintures me parlent d’un monde complexe qui pourrait être mien. Mais grâce aux Canadiens d’ANCRESS, nous avons tous la possibilité musicale de pénétrer son univers, d’une façon détournée, mais terriblement respectueuse de la multiplicité de ses interprétations.
Un disque passionnant de bout en bout, unique en son genre, aussi abscons qu’il n’est abordable. Et si la perception individuelle est sujette à la subjectivité, Victoria/Jeiunium dégage un éventuel consensus de qualité, puisque même ses détracteurs éventuels sauront admettre ses atouts intrinsèques qui ajustent l’originalité à la pertinence disharmonique, ou pas, au contraire.
Un bien bel hommage à un artiste essentiel, qui je n’en doute aucunement, se serait retrouvé dans les pistes d’un disque aussi riche et sombre que ses peintures n’étaient abstraites et pourtant si parlantes…
Titres de l'album:
Haaaa le Rock est tout sauf négociable !! Merci pour cette belle critique.Chazz (2Sisters)
17/01/2025, 22:44
Non putain ça fait chier ! Je m'en fout de revoir Rob derrière le micro de mon groupe préféré d'amour !
17/01/2025, 17:03
J'ai cru comprendre que Zetro se retirait pour problème de santé.J'espère que ça ira pour lui.En tout cas avec Dukes sur scène, ça va envoyer le pâte.
16/01/2025, 18:21
Super nouvelle pour moi, le chant de Zetro m'est difficilement supportable. Celui de Dukes n'a rien d'extraordinaire mais il colle assez bien à la musique et le gars assure sur scène.
16/01/2025, 12:15
Eh beh... Étonné par ce changement de line-up. Vu comment Exo était en forme sur scène ces dernières années avec Souza ! Mais bon, Dukes (re)tiendra la barque sans soucis aussi.
16/01/2025, 10:22
Super. L'album devrait être à la hauteur. Beaucoup de superbes sorties sont à venir ce 1er semestre 2025. P.S. : le site metalnews devrait passer en mode https (internet & connexion sécurisé(e)s) car certains navigateurs le reconnaisent comme(...)
15/01/2025, 12:58
Je viens de tomber dessus, grosse baffe dans la gueule, et c'est français en plus!Un disque à réécouter plusieurs fois car très riche, j'ai hâte de pouvoir les voir en concert en espérant une tournée pour cet album assez incr(...)
14/01/2025, 09:27
Capsf1team + 1.Je dirai même plus : Mettre cela directement sur la bandeau vertical de droite qui propose toutes les chroniques. En gros faire comme pour les news quoi : Nom du groupe, titre de l'album et entre parenthèse style + nationalité.
13/01/2025, 08:36
Oui en effet dans les news on voit bien les étiquettes, mais sur la page chronique on a juste la première ligne de la chro, peut-être que ce serait intéressant de le mettre dans l'en-tête.
13/01/2025, 07:59
Capsf1team : tu voudrais que l'on indique cela où exactement ? Dans l'entête des chroniques ? En début de chronique ?Aujourd'hui le style apparait dans les étiquettes que l'on met aux articles, mais peut-être que ça ne se voit pas d&(...)
12/01/2025, 17:38
Poh poh poh poh... ... ...Tout le monde ici à l'habitude de te remercier pour la somme de taf fournie mortne2001, mais là... Là, on peut dire que tu t'es surpassé.Improbable cette énumération.Et le pire, c'est qu'a(...)
12/01/2025, 14:27
Jus de cadavre, putain mais merci pour la découverte Pneuma Hagion. C'est excellent! Du death qui t'envoie direct brûler en enfer.
11/01/2025, 12:16
Merci pour tout le travail accompli et ce top fort plaisant à lire tous les ans. Moi aussi je vieilli et impossible de suivre le raz de marée des nouvelles sorties quotidiennes... Suggestion peut-être à propos des chroniques, est-ce que l'on ne pourrait pas indique(...)
10/01/2025, 09:12
J'aurais pu citer les Brodequin et Benighted que j'avais bien remarqués en début d'année, aussi, mais il faut choisir... Quant au Falling in Reverse, cette pochette ressemble trop à une vieille photo de J-J Goldman dans les années 80, je ne peux p(...)
09/01/2025, 19:49