La voix du peuple. En ce moment, elle cherche à s’élever pour formaliser son mécontentement, mais peine à faire peser son poids dans la balance. Alors, de fait, la voix du peuple est-elle celle de Dieu, ou celle d’une force supérieure, celle d’âmes qui se proposent de changer les choses et la face du monde, pour le révéler dans sa plus horrible laideur, ou bien en le présentant sous un jour plus clément ? La question se pose, et reste d’importance, tant la révolte qui gronde en Europe, aux Etats-Unis, en Corée, en Allemagne, en Grèce commence à prendre une ampleur qui en dit long sur le ras-le-bol général de populations qui en ont plus qu’assez de se serrer la ceinture en constatant que les dividendes accordés aux actionnaires ne font qu’augmenter. Mais au-delà de cette problématique qui en devient une plus complexe jour après jour, cette Vox Populi est plus prosaïquement le cri de révolte d’un groupe nous en venant de l’Arizona des FLOTSAM & JETSAM, mais proposant une musique beaucoup plus musclée et radicale. Fondé en 2016, ce quatuor se complait donc dans un Thrash de très haute volée, symptomatique de la Bay-Area mais agrémenté de ce petit plus le rendant définitivement plus hargneux, et ce premier LP à des allures de classique, validant de fait la bonne réputation d’un combo dont la première démo en 2017 avait fait éclore. Pourtant pas vraiment encore connu ni reconnu sur la scène internationale, ce groupe aux atours classiques semble beaucoup plus personnel qu’il n’y parait à la première écoute, et pourrait dans une certaine mesure incarner la quintessence d’un crossover que beaucoup se plaisent à entrevoir toujours aussi prévisible.
Les INTENT ont donc des intentions très claires, mais pas que, et loin de là. Axé autour des capacités et de la personnalité de ses quatre membres (Jeremy Lambert - guitare/chant, Jimmy Nelson - guitare, Alex Zucker - basse et Garrett Loper - batterie), le combo se plaît à développer de jolies ambiances radicales mais modulées, symptomatiques de la Second Wave of American Thrash Metal, celle des FORBIDDEN, des VIO-LENCE et autres GAMMACIDE, en mettant l’accent sur la vitesse sans tomber dans la précipitation, et sans oublier la mélodie en route. Réfutant tout principe d’harmonisation excessive le confinant parfois à la niaiserie, les arizoniens se rapprochent même parfois d’un Crossover fatal à la CRUMBSUCKERS, sans cracher sur un brin de Progressif, qui permet à leurs morceaux de se catapulter dans une dimension très riche et efficiente. Débutant d’ailleurs leur premier effort par une double référence musicale et télévisuelle, ils nous prennent à la gorge en lâchant un phénoménal « Number 12 (Looks Just Like You) », pointant du doigt le conformisme dénoncé par l’épisode éponyme de la Quatrième Dimension qui voyait une jeune fille refusant la transformation destinée à la faire ressembler au modèle qu’on souhaitait lui faire adopter. Est-ce à dire que ces quatre-là refusent d’être assimilés à un énième Thrash act avide de nostalgie et de sonorités vintage un peu trop souvent galvaudées ? C’est une possibilité que leur musique confirme d’une certaine manière, bien que toujours très proche des canons du genre. Il serait éventuellement possible d’y voir une autre analogie avec le groupe de flingués du même nom, plus portés sur le Hardcore chaotique, mais tout aussi désireux de s’extirper de la masse. Les deux options représentant des pistes viables, autant prendre Vox Populi pour ce qu’il est, à savoir l’un des LP de Thrash les plus efficaces et créatifs de ce premier semestre, enterrant la concurrence de ses qualités et de son désir de proposer autre chose qu’une simple succession d’attaques radicales.
Radical, ce premier effort l’est. Par sa densité évidemment, mais aussi par le niveau instrumental des musiciens impliqués. Jamais avares d’un riff méchamment redondant ou d’un break surprenant, les américains jouent le jeu de la violence gardée sous contrôle qui explose à intervalles réguliers dans des accès de rage. En mettant l’emphase sur la durée sans le sacrifier à l’efficacité, les INTENT affichent clairement leurs intentions, et nous surprennent parfois de leurs modulations, comme en témoigne le roublard « Network Failure » qui de son intro martiale et mécanique ne nous prépare pas vraiment à la déferlante de guitares qui s’ensuit. Rouleau compresseur autant que ciselage de finition, cet album est un condensé de ce que le Thrash moderne louchant vers le passé peut proposer de meilleur, et chaque morceau est une pièce supplémentaire ajoutée au puzzle global, qui se souvient que le Metal n’est jamais aussi pertinent que lorsqu’il est joué par des passionnés. Et si « Vox Populi », le morceau, se permet de dépasser les standards habituels de durée pour s’évanouir au-delà des sept minutes bien entamées, ça ne l’empêche pas de développer une approche progressive qui ne nuit jamais à l’instantanéité du propos. On pense à une version très hargneuse d’un HEATHEN trempé dans les eaux troubles d’ACID BATH, le tout supervisé par le maître-nageur EXUMER, sans pour autant que le quatuor ne singe les habitudes de l’un ou de l’autre. Mais entre un nombre conséquent de riffs tous plus accrocheurs les uns que les autres, des variations rythmiques jusqu’à l’overdose, et un chant qui se rapproche du Core sans en avoir l’air, le mélange est explosif et savoureux, à peu près autant qu’un classique su style paru il y a trente ans et remis au goût du jour.
Pas vraiment Techno-Thrash, mais pas si loin qu’il n’y parait, Vox Populi se veut aussi rageur qu’il n’est démonstratif, et cette ambivalence prend des proportions dantesques à l’occasion de « In My Blood » qui rebondit sans cesse de parties Mosh en fulgurantes accélérations qui font mouche, osant une bonne dizaine de thématiques avant d’adopter sa forme définitive. Ne lassant à aucun moment, ce LP module sans tergiverser, ondule tout en avançant droit devant, et nous réserve des moments que les grands D.B.C auraient appréciés à leur grande époque (« Empty Graves »). Recherchant constamment une façon originale de traiter le classicisme, les américains parviennent souvent à trouver le bon point d’impact pour nous faire perdre le nord (« Veinburster », sombre et vraiment néfaste), tout en s’accordant de fausses accalmies acoustiques pour mieux nous bousculer d’un final épidermique (« Tyrannicide », aussi NWOBHM dans ses tierces que Bay-Area dans sa vélocité qui agresse), et de fil en aiguille et de staccato en soli, incarne une relève tout à fait digne d’une vague old-school qui oublie souvent d’apporter son propre Jack Daniels au moulin. Un groupe qui décidément ne fait pas grand-chose comme tout le monde, et qui refuse le conformisme de la facilité. Une façon très probante de faire entendre sa voix, et une porte d’entrée possible sur un univers parallèle ou la qualité et la puissance peuvent facilement cohabiter.
Titres de l'album:
1. Number 12 (Looks Just Like You)
2. Vox Populi
3. Insight
4. In My Blood
5. Network Failure
6. Empty Graves
7. Vein Burster
8. Tyrannicide
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