Voyces

Beyond The Border

09/03/2021

Autoproduction

2021 sera Progressif ou ne sera pas, c’est en tout cas une des tendances qui se dégage lors de ce premier trimestre. Chacun aborde le style avec ses propres armes, entre ceux qui respectent les dogmes établis par l’école de Canterburry, ceux qui phagocytent les nouveaux canons mis en place à la fin des années 80 par DREAM THEATER, et ceux qui envisagent le style comme un espace de liberté sans contraintes. Les allemands de BEYOND THE BORDER font plus ou moins partie de cette dernière tendance, et proposent avec leur premier album un joli panaché d’influences, abordant la question sous un angle professionnel, tout en gardant cette passion d’amateurs éclairés. Formé en 2014 à Giessen, ville universitaire d'Allemagne dans le centre du Land de Hesse, BEYOND THE BORDER est donc l’union de quatre musiciens à l’esprit ouvert et aux capacités notables. On retrouve au sein de la formation Philip Mensinga à la basse, Sven Tost à la batterie, Lars Alberts à la guitare et Oana G au chant, et les quatre compères préviennent immédiatement l’auditeur dans les courtes lignes de leur bio officielle : ils ne sont pas du genre à se cantonner à une optique, et utilisent toutes les essences à leur disposition. Ils se targuent donc de proposer une musique inspirée et plurielle, utilisant tout autant des riffs purement Metal que des parties de Flamenco et des nappes de claviers classiques.

Pour l’instant, le groupe n’est connu que d’une poignée d’initiés, comme en témoignent leurs quelques centaines de followers sur Facebook. Mais il y a fort à parier que leur auditoire va s’élargir lorsque Voyces parviendra aux oreilles des néophytes, tant ce premier longue-durée fait preuve d’une envie manifeste d’écarter les barrières, et de se consacrer à une musique riche et diversifiée. Evidemment, l’ensemble n’est pas dénué de défauts, comme toute première œuvre qui se respecte, et le premier écueil à passer pour l’apprécier reste sa durée, excessive, et dépassant allégrement les soixante-dix minutes. Cette envie de remplir un album jusqu’à ras bord est généralement un gros risque à prendre et les allemands n’échappent pas à la règle des artistes qui ont eu le chrono plus important que la concision. Certes, les quatorze pistes de Voyces sont suffisamment variées pour ne pas imposer la redondance de façon précoce, mais en expurgeant le travail d’une ou deux compositions dispensables, ou en triant dans les plans les plus formels, BEYOND THE BORDER aurait gagné en homogénéité, et aurait produit un impact plus fort sur l’auditeur.                    

Mais avant d’aborder les quelques défauts de Voyces, concentrons-nous d’abord sur ses qualités. Ces qualités sont individuelles au premier plan, avec des musiciens rodés à l’exercice et qui connaissent bien le vocable du Progressif. Alors, tout y passe, les guitares acoustiques, les breaks millimétrés, les lignes de basse énormes ou au contraire fines comme le Jazz, les riffs accrocheurs et sombres, les parties vocales hargneuses ou opératiques (dans une mesure raisonnable), les structures évolutives, et les thèmes qui mutent au fur et à mesure de l’inspiration. Ainsi, dès le départ et après un titre plutôt formel, le quatuor commence son opération de métissage et propose avec « Reveal the Truth » un très joli panaché de Folk médiéval et de Rock purement seventies dopé à la puissance des nineties. L’influence de DREAM THEATER est évidemment frappante, mais cette volonté de proposer des harmonies sortant du cadre classique trop restrictif du Progressif permet aux titres de se nimber d’une aura particulière. Oana, derrière son micro, nous épargne les vocalises de castrat et les envolées de diva, pour mieux accentuer son timbre et se rapprocher d’une pure vocaliste de Heavy Metal. De son côté, Lars Alberts varie ses attaques, et ne se contente pas de riffs alambiqués qui perdent souvent le public dans le labyrinthe de la complexité. « I Am » est en le témoin, avec son mélange de douceur en arpèges et de saccades en distorsion. De fait, le quatuor parvient à moduler ses ambiances, et à nous entraîner dans un monde personnel et mystique, évitant les arrangements les plus faciles en raccourcis.

Evidemment, comme tout groupe du cru qui se respecte, BEYOND THE BORDER dispose d’un répertoire étendu et de pièces d’une longueur conséquente. Mais cette longueur est toujours justifiée, et laisse place à des digressions vraiment valides, comme cette transe orientale en intro de « Change ». Avec un son de batterie très sec, le groupe garde donc ce côté analogique qui rappelle les seventies, sans se montrer passéiste. Et avec une très grosse place laissée aux mélodies, ce premier album enchante autant qu’il ne surprend. Très focalisés sur les obsessions médiévales de Ritchie Blackmore, le groupe a souvent recours à des effets Folk délicats, sans oublier ses racines purement Hard-Rock, ce qui donne droit à des crossover assez intéressants, comme celui développé par le long « Dead End » qui est tout sauf une impasse.

« Breakdown » de son côté fait monter la pression, et se pose en contrepoint parfait de cette ouverture sur des styles moins figés, et assombrit le ciel de ses riffs velus et de ses arpèges tendus. La voix d’Oana, versatile et fragile, propose une ligne narrative très convaincante, sans aller jusqu’à singer la théâtralité d’un Peter Gabriel, mais en évitant les systématismes des chanteuses progressives les plus classiques.

Comme je le disais, et après avoir brossé un tableau plus ou moins flatteur du groupe, Voyces est quand même le théâtre de quelques maladresses, ce qui tend à le rendre encore plus charmant. La production, déficiente lorsque la densité d’affirme, noie un peu les performances individuelles, et la guitare à tendance à empiéter sur la basse qui a pourtant bien des choses à raconter. Le chant est lui aussi souvent sacrifié dans les passages les plus intenses, noyé dans le mix, et l’équilibre global est à revoir pour la suite. Deuxième reproche majeur, la similitude des harmonies qui d’un morceau à l’autre se ressemblent méchamment, et troisième grief, cette durée excessive qui finit par avoir raison de notre bienveillance, d’autant que la fin de l’album est consacrée à des versions alternatives tout à fait dispensables. Mais avec dans leur besace un titre aussi fort et puissant que « My Own Way », et une passion tout à fait sincère, les BEYOND THE BORDER peuvent se projeter dans l’avenir sans douter de leurs capacités.                       

        

                                                                                                                                                                                                        

Titres de l’album:

01. Freeze      

02. Tamptation          

03. Reveal the Truth

04. I Am        

05. Change    

06. Bacchus

07. Dead End

08. Sumangalie          

09. Breakdown          

10. My Own Way

11. Voices in My Head

12. Don’t Let It Get You Down      

13. Voices in My Head (Alternative version)

14. For Your Luck (Piano version)


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