Alors que nous sommes en attente de la sauce à laquelle nous allons être bouffés dans les semaines qui viennent, le monde s’interroge. Quid de cette pandémie que les gouvernements gèrent à la va-comme-je-te-pousse ?
Le peuple commence à gronder, insatisfait de cette fausse apocalypse qu’on nous vend comme une fin du monde annoncée. Mais comme toute apocalypse, elle a besoin d’une bande-son à la hauteur du désespoir qu’elle engendre, et à ce petit jeu de l’illustration de l’arrivée des quatre cavaliers historiques, les texans de PORTRAYAL OF GUILT tirent leur épingle du jeu, propulsant leur second album au rang de possible illustration musicale de ce chaos totalement désorganisé. D’Austin, Texas nous remontent des effluves nauséabonds du Maine de Stephen King, avec ce sale clown caché dans les égouts qui n’attend qu’un faux pas des enfants pour les emmener vers son Neverland glauque. Avec un premier album passé à la postérité chez Kerrang et autres références musicales, le trio roule sur de la merde, et n’attend qu’un moment d’inattention pour nous jeter dans le vide. Et croyez-moi, une chute au son morbide de ce We Are Always Alone n’est pas des plus agréables, la réception tenant de la cascade ultime refusée par Remy Julienne (RIP).
Dans les faits, ces trois musiciens bizarres nous opposent une fin de non-recevoir. Alors que le monde réclame l’unité et la réouverture des lieux conviviaux, les trois texans nous affirment qu’au contraire, quelle que soit la situation, nous serons toujours seuls. Ils n’ont pas tort quelque part, mais l’expriment avec une telle assurance dans la véhémence que même les opposants les plus farouches à cette théorie sont bien obligés de s’y rallier. Depuis leur premier hurlement, James Beveridge (batterie), Blake Given (basse) et Matt King (guitare/basse) proposent une digression intéressante à base de Post Black, de Post Hardcore, et de Noisy Core, mélange le plus malsain qui soit. Et si d’aventure, vous pensiez avoir touché le fond du désespoir en vous injectant dans les veines DEAFHEAVEN, NAILS, PRIMITIVE MAN, FULL OF HELL, DODECAHEDRON ou GNAW THEIR TONGUES, détrompez-vous : cette drogue-là est infiniment plus dangereuse, et l’accoutumance est très rapide. Et pour cause, puisque cette musique maladive retranscrit avec une fidélité diabolique l’état de l’humanité qui préfère végéter dans son consumérisme que trouver des soins palliatifs naturels.
Produit, enregistré et mixé par Phillip Odom, masterisé par Will Yip, et flanqué d’un sublime artwork de Chris Taylor (venu aussi pousser la chansonnette sur « The Second Coming », tant qu’à faire), We Are Always Alone est une traduction bruitiste des instincts les moins avouables de l’homme. Des instincts qui le poussent à faire fuir ceux qu’il aime, à détruire ce qu’il admire, et à s’imposer comme la créature la plus évoluée d’un monde qui pourtant n’a de cesse de le repousser tout en bas de la chaîne alimentaire. Factuellement, et quelques années après la première déflagration Let Pain Be Your Guide qui avait mis tout le monde d’accord quant au caractère dangereux du trio, We Are Always Alone se pose en blender géant mixant les éléments les plus néfastes du Black Metal, du Hardcore, de l’Industriel, pour proposer un milk-shake absolument dégueulasse et amer qui reste en bouche comme des regrets fielleux. En acceptant la brièveté de leur action, indispensable pour frapper fort et vite, les texans s’amusent avec les codes du Mathcore pour les confronter aux impératifs grandiloquents du BM le moins formel (« The Second Coming »), avant d’oser des inserts Punk rappelant BREACH et les RUFUSED. Un joli patchwork donc, qu’on affiche au mur comme un Bruegel en canevas, et qui file la chiasse à tous ceux passant la limite de votre paillasson. Fait de riffs de guitare à rendre froids come la mort les TERRA TENEBROSA, de plans de basse à transformer MASTODON et EYEHATEGOD en conteurs pour médiathèques, ce second crachat est d’une puissance assourdissante, mais aussi d’une malice malfaisante.
Les sites spécialisés s’en donnent déjà à cœur joie dans les comparaisons, citant des noms à la volée, dont ceux de DEAFHEAVEN, TOUCHE AMORE, OATHBREAKER ou STREET SECTS. Mais aucuns de ces parallèles n’est viable au moment de juger de la cruauté de l’approche des PORTRAYAL OF GUILT. Car ils sont eux-mêmes le reflet dans le miroir d’une déshumanisation générique que l’homme accepte comme inéluctable, et la fin d’une histoire même pas drôle commencée il y a des milliers d’années. Plus prosaïquement, les neuf pistes de ce second album sont autant d’atteintes à la dignité d’un auditeur, et une façon de lui faire voir la réalité des faits en face. Un peu Ambient sur les bords, mais terriblement puissant, presque décomposé en deux parties distinctes, We Are Always Alone oppose d’abord la rage sourde des désespérés, avant d’envisager un épilogue encore plus nauséeux qu’une collaboration entre Mick Harris et Mories.
« A Tempting Pain » permet au formidable batteur qu’est James Beveridge d’en mettre plein la vue, dans un domaine de Grind-Jazz que d’autres ont expérimenté avant lui. « It’s Already Over » se rapproche plus d’un Post-Hardcore encore plus résigné, avec toujours en exergue cette voix diabolique et purement BM de Matt King qui hurle à s’en invoquer les démons intérieurs. Mais les cassures, les silences, les transitions tendues, les accès de lourdeur infâmes (« Masochistic Oath ») démontrent que les intentions du trio sont clairement néfastes et cruelles. Cette façon de jongler avec les tempi, de laisser les riffs en arrière-plan pour imposer de froides sonorités industrielles est unique en son genre, et PORTRAYAL OF GUILT embrasse de toute son âme une époque qui ne tolère plus les guerres de clans dans l’extrême.
Tenant autant des SWANS que de la scène Grind, We Are Always Alone transforme les pires hululements de FULL OF HELL en crises acnéiques d’adolescence insupportable. Entre un NEUROSIS psychotique et un DEAFHEAVEN en stade terminal (« Garden of Despair »), PORTRAYAL OF GUILT trouve sa place dans les enfers sur terre et signe le manifeste le plus terrifiant de l’underground actuel. En vingt-six minutes seulement, et pas plus. Le temps qu’il nous faudra sans doute pour réaliser que si la terre s’écroule sous nos pieds, nous en sommes en grande partie responsables.
Quel cauchemar.
Titres de l’album:
01. The Second Coming
02. Anesthetized
03. A Tempting Pain
04. It’s Already Over
05. Masochistic Oath
06. They Want Us All to Suffer
07. Garden of Despair
08. My Immolation
09. We Are Always Alone
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