J’aime beaucoup ce que vous faites.
Outre le titre d’une pièce de Carole Greep qui cartonne depuis plus de quinze ans dans la capitale, c’est aussi ce que j’aurais pu dire en tant que DA du label M&O Music au moment de donner mon avis sur le deuxième album des franciliens de SYD KULT. Une phrase qu’ils auraient sans doute entendue des dizaines de fois, et qui leur aurait semblé formule de politesse histoire de les éconduire avec fausse élégance, pourtant, cette phrase pleine de sens aurait été prononcée avec une sincérité tangible. Car oui, j’aime beaucoup la musique qui anime les pistes de ce second LP, et j’avoue que la signature artistique de Cyril Delaunay, très personnelle, est de celle que l’on note au coin de sa mémoire pour ne pas l’oublier, bien que sa musique ne soit pas du genre à se laisser occulter facilement. Et ce, depuis la création de ce projet, en 2013, sous sa propre impulsion. Et l’homme n’a pas vraiment perdu son temps à chercher l’inspiration, puisqu’en cinq petites années, il nous a quand même offert deux EP (un premier éponyme assez vite, puis Reflections Of The Black Sun en 2014), et un premier longue-durée en 2015, Beyond Good and Evil. Il aura donc fallu trois fois un an à Cyril pour accoucher d’une digne suite, mais autant dire que ce Weltschmerz (contraction germaine de welt et schmerz, soit un monde de douleur) est à la hauteur de toutes les attentes, et que les responsables de M&O Music doivent s’en frotter les mains. Toutefois, ce second LP n’est pas du genre facile à classer, encore moins à disséquer. Il se situe en convergence de plusieurs genres, et finit par créer le sien, à cheval entre Rock underground, Metal alternatif, électronique light et déviation Indie sombre, soit une œuvre susceptible de plaire à un public large tout comme de se heurter à l’incompréhension générale. Alors pour l’aborder, un seul moyen efficace, faire fi des barrières et s’enivrer de cette musique entre ombre et lumière qui fait honneur à ses influences, tout en s’en éloignant suffisamment pour rester personnelle.
Les influences avouées de SYD KULT sont elles-mêmes plurielles. La tête pensante et composante du projet avoue des accointances certaines avec les mondes éloignés de MARILYN MANSON, KING CRIMSON, ALICE IN CHAINS, THE DOORS, BLUE OYSTER CULT, NINE INCH NAILS, BLACK SABBATH, RADIOHEAD, Chris CORNELL ou DEPECHE MODE, et propose au final avec Weltschmerz une sorte de synthèse de tous ces artistes, sans vraiment piocher sans vergogne dans le coffre de leur héritage. S’il est évident que ce second album aime à jouer avec le clair/obscur, nous irradiant d’une lumière harmonique avant de nous plonger dans les ténèbres de mélodies amères, il n’en est pas pour autant une œuvre trop contrastée pour être homogène, ni trop absconse pour être appréhendée par le public mainstream. Mais ce dernier se sentira sans doute rejeté au-delà des frontières, tant le vocabulaire musical utilisé ici est complexe, et semblant parfois offrir une jonction en forme de pont entre les terres arides de TAXI GIRL et MARILYN MANSON, pont un peu délabré mais décoré de fleurs fanées Rock que les MALLORY auraient pu cueillir après leur mort. Alors apprêtez-vous à entreprendre un voyage en mode mineur, introspection assez particulière à la recherche de réponses à des questions qui n’ont pas été formulées, mais qui existent pourtant. Propos un peu opaques j’en conviens, mais la tonalité générale de l’album étant résolument cryptique, et ce dès l’intro « Limbo » qui reprend les recettes mélodiques habituelles des HYPNO5E pour mieux nous préparer au riff sec comme un coup de trique de « My Own God ». Entame véritable de l’album, ce morceau peine pourtant à indiquer la direction à suivre, se complaisant dans une trame en filet 90’s, les SMASHING PUMPKINS dans le rétro et ALICE IN CHAINS dans les oreilles. Un peu Stoner underground mais sans l’aspect brut, ce titre fonctionne selon un principe de pendule, rythmé par une guitare précise comme une lame de rasoir, et apaisé par un chant à la Chino Moreno, les respirations pénibles en moins et la fragilité en plus. Une entame qui donne envie d’en savoir plus, et qui n’éclaire que les zones les moins révélatrices…
Si le tempo de l’album est paisible, jouant avec un battement de cœur au repos, l’intensité n’en est pas occultée pour autant, ce qui permet de mettre en relief des arrangements subtils, comme ce violon sortant de la nuit, ou ces astuces rythmiques en percussions qui semblent battre le rappel. Cyril maîtrise à plein régime les codes de l’alternance, et nous embarque dans un voyage nocturne aux obsessions diurnes, et « Overthrow » de jouer le rôle de préparation au périple, avec son déhanché presque sensuel et sa basse ronflante en tapis de danse. Impossible de ne pas penser une fois encore à Billy Corgan, mais les leurres étant l’apanage des plus malins créateurs, autant se dire que tout ça ne nous donnera pas le passe-partout ouvrant toutes les portes. Aussi à l’aise en terrain Alternative Rock qu’en sol plus mouvant et Indie, Cyril se permet donc en une petite demi-heure de faire étalage de toutes ses capacités, et le musicien/compositeur n’hésite pas à jouer sur la nuance pour nous convaincre. Et ce sont sans doute ses morceaux les plus retenus qui captent l’attention, un peu comme si Brian Warner, exilé de ses Spoooky Kids faisait un pèlerinage en compagnie de son ex-mentor Trent Reznor sur la propriété de Thom Yorke, pour creuser dans son jardin de paranoïa. Ainsi, « Empire of The Sun » joue avec les sons, assemble une guitare de fond en cocotte d’écho et des bidouillages électroniques pour créer un climat cotonneux, un peu suspicieux, à l’image d’un malandrin fouillant les possessions d’autrui pour enrichir sa propre expérience. On se laisse balancer par ce faux-rythme à la ALICE IN CHAINS pour mieux s’empoisonner de cette mélodie létale qui jamais n’explose, et qui pourtant fait mal à l’âme. On retrouve d’ailleurs le même principe de louvoiement sur le long « Upside Down », qui utilise plus ou moins les mêmes codes, et qui semble espérer que la nuit ne finisse jamais.
Entouré de Gaëlle Durand au violon, et épaulé par la frappe massive mais fluide de Frédéric Scipion au kit, Cyril Delaunay peut laisser libre court à ses fantasmes, ajoutant quelques brefs inserts sur le parcours (« Welcome to the Unknown », « Path of the Damned »), pour temporiser un trip intense, qui passe même par l’Electro un peu louche sur « Black Bones », ressassant les mêmes notes de synthé comme un mantra. Multiplicité des couches vocales en volutes, arpèges mystérieux, discrétion d’une guitare pourtant essentielle, on se croirait perdu dans une adaptation Post Punk frenchy de l’orée des années 80 traduite dans un langage contemporain, et « Until the Night Fades » d’achever le parcours d’une atmosphère Ambient très ouatée, réveil de coma après des excès initiatiques…Alors oui monsieur Delaunay, c’est un fait.
J’aime beaucoup ce que vous faites.
Titres de l'album :
1.Limbo
2.My Own God
3.Overthrow
4.Welcome to the Unknown
5.Empire of The sun
6.The Garden
7.Upside Down
8.Path of the Damned
9.Black Bones
10.Until the Night Fades
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