Je l’avoue sans gêne ni honte, je suis complètement passé à côté du truc. En même temps, les circonstances atténuantes sont solides. Un premier album en autoproduction, avec le minimum de promotion, pas de quoi fouetter un chat pour un cas commun dans le traitement des nouveautés. Sans doute qu’en 2019 j’avais la tête ailleurs, et que mon esprit n’a pas perçu les prémices d’un grand groupe, sur un disque qui n’avait pas vraiment d’accroche et qui ne promettait pas grand-chose d’autre qu’un énième orchestre à chanteuse.
Errare Humanum Est. Une citation pas plus fine que le titre de ce deuxième album qui une fois encore nous ressert l’usé jusqu’à la corde « tout ce qui ne me tue pas »…etc et bla, bla. Déjà, personne n’a envie de vous tuer les gars, et puis je ne suis pas certain qu’on devienne plus fort en se prenant des baffes par paquet de dix. Mais bon, admettons, peut-être que l’expérience personnelle de Marisa Rodriguez l’autorise à citer encore une fois Nietzsche.
Pour être honnête, j’ai reconnu mon erreur en découvrant ce deuxième album dont certains de mes confrères ont déjà chanté les louanges. Tous ont souligné la pertinence du propos, l’ouverture d’esprit, les arrangements fouillés, et le talent hors-norme d’une chanteuse qui hurle comme elle feule ou murmure. N’étant jamais hésitant dans le cas d’une vocaliste féminine dans un contexte de musique amplifiée, je me suis rué sur le Bandcamp du groupe pour y découvrir ces seize morceaux qui sont autant de chapitres à ce What Doesn't Kill You. Et la surprise a été de taille. Loin des facilités alternatives modernes, le quatuor mené par l’inspiration de sa frontwoman explore toutes les possibilités mélodiques et rythmiques, pour finalement nous résumer les nineties à sa façon.
Et si le terme « Grunge » est utilisé par les auteurs sans prendre de gants, attendez-vous à beaucoup plus que ça. Mais vraiment beaucoup plus.
MARISA AND THE MOTHS est un animal nocturne, qui capte les humeurs, ressent les stimuli, et embrase le ciel noir de sa lumière puissante. Cinq ans après un départ éponyme qui avait agité quelques rédactions, les quatre musiciens (Marisa Rodriguez - chant/guitare/piano/composition, Liam James Barnes - basse/chœurs, Alex Ribchester - batterie et Alez D'Elia - guitare) prennent leurs distances avec les erreurs de jeunesse, et nous proposent une œuvre non seulement solide, mais imaginative. Et ce refus de se reposer sur des refrains accrocheurs est l’une des qualités principales d’une créatrice qui sait exactement ce qu’elle veut, et qui admire au même niveau Tori Amos, SKUNK ANANSIE, les BIKINI KILL, les SMASHING PUMPKINS, et toute cette génération désabusée d’une décade rongée jusqu’à la moelle.
What Doesn't Kill You est donc une œuvre hétéroclite, rendue homogène par le talent de musiciens qui ont bien compris comment être différent sans sonner bizarre ou trop décalé. Et en deux morceaux seulement, le quatuor fait sa couche dans les strates les plus élevées des surprises 2024, par le truchement d’influences différentes pour une même approche. « Cursed » et « Get It Off My Chest » suffisent donc largement au néophyte pour pénétrer ce monde de puissance et de sensibilité, sans même savoir ce qui l’attend sur les quatorze morceaux restant. En comptant les transitions évidemment. « Get It Off My Chest » est même la première surprise d’un disque qui en contient beaucoup, avec cette harmonie amère qui tourne en arrière-plan et qui rappelle les exercices orientaux de THE TEA PARTY.
Les sentiments exprimés par What Doesn't Kill You sont d’une sincérité désarmante. Marisa Rodriguez se met artistiquement à nu, et parvient même à réconcilier Alanis Morissette et THE MURDER OF MY SWEET sur « Who Are You Waiting For? », si emblématique de cette époque Grunge que l’on sent la chemise à carreaux et la désillusion pousser sur notre torse et peser sur nos épaules. Sans en faire trop, la chanteuse dévoile son registre étendu, et s’autorise même quelques cris plus agressifs pour bien marquer son territoire. Un territoire très vaste, sans clôture, sans barbelés, que l’on parcourt pour en découvrir les reliefs. Et cette promenade dans un esprit vif fait un bien vraiment fou.
Fou comme un album sans restrictions.
Il est difficile de croire qu’un groupe est capable de maintenir la pression sur un tracklisting aussi étendu. Pourtant, Marisa est parvenue à se montrer assez versatile pour ne jamais lâcher la rampe. Flirtant souvent avec une Pop-Rock alternative et secouée, la chanteuse/compositrice lâche une bordée de singles potentiels, de ceux que MTV matraquait avec plaisir il y a une trentaine d’année. Et pourtant, rien ne sonne nostalgique ici. Tout est moderne, mais authentique, contemporain mais conscient du passé, et surtout, sincère et émouvant.
« Pedestal » et son refrain irrésistible, « Straight-Laced », acoustique et débordant d’amertume, « Fake It Till You Make It », up tempo symptomatique, « SAD », au parfum ALICE IN CHAINS/AFGHAN WHIGS, les chapitres se dévorent et le disque tourne très rond. Les harmonies, simples mais pertinentes, les à-coups rythmiques, le doublage de la voix, cette distorsion légère mais ferme, tout contribue à nous renvoyer à un temps où chaque morceau devait avoir sa propre raison d’être et ainsi éviter le statut de filler embarrassant.
On pense aussi aux STONE TEMPLE PILOTS reprenant à leur compte le classique Jagged Little Pill (« Just Like Me »), mais finalement, c’est Marisa qui laisse son empreinte dans nos mémoires en concluant sur le fragile mais vénéneux « Lungs ».
MARISA AND THE MOTHS est l’exact inverse d’un groupe surfant sur une hype quelconque. Au rayonnement encore confidentiel, ce quatuor est un joyau qui se cache dans une mer d’huîtres sur Bandcamp, mais qui une fois trouvé, vous éblouira avec une pureté durable. What Doesn't Kill You est un album majeur, qui pour le moment reste mineur dans l’actualité estivale. Mais la rentrée pourrait bien lui conférer l’aura qu’il mérite, et faire de MARISA AND THE MOTHS le monstre qu’il est déjà.
Titres de l’album :
01. Cursed
02. Get It Off My Chest
03. Borderline
04. Wither Away
05. Gaslight
06. State of Mind (Interlude)
07. Who Are You Waiting For?
08. Pedestal
09. Straight-Laced
10. Fake It Till You Make It
11. SAD
12. Serotonin
13. Just Like Me
14. Sense Of Self (Interlude)
15. Devil You Know
16. Lungs
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