Whatever

Adore Delano

21/08/2017

Adore Delano Llc

On voit de plus en plus de t-shirts arborant la mention « The future is female ». D’autres au contraire affirment que « The genderless is more ». On finit par s’y perdre, d’autant plus que nos propres institutions remettent de plus en plus en cause la notion de « genre » si chère aux conservateurs de tout poil, ceux que l’on voit défiler dans les manifestations prônant l’importance d’une famille équilibrée et reposant sur deux figures bien dessinées de père ET mère, ou d’autres encore plus néfastes défendant leurs convictions à coups de voitures bélier et de sinistres masques blancs et autres bras fièrement tendus.

Et si finalement, la vérité était ailleurs ? Et si nous étions tous destiné à cohabiter, peu importe notre race, religion, genre ou orientation ? Et si l’humain était finalement le seul concept prépondérant et important, aussi lénifiante soit cette constatation, de plus en plus difficile à imposer au demeurant ? C’est en tout cas ce genre de valeur que s’évertue à défendre ADORE DELANO/Daniel Anthony, au travers d’un personnage beaucoup plus complexe qu’une simple figure de télé-réalité aussitôt oubliée après avoir été acclamée.

Après avoir participé sous son identité d’origine au concours American Idol (où il/elle avait atteint les demies-finales avec brio), puis s’être illustré au cours de la fameuse RuPaul's Drag Race, l’artiste aux facettes multiples s’est incarné autour d’un personnage haut en couleurs et en musique via deux albums aussi futiles qu’essentiels, mais révélateurs d’un caractère affirmé et d’un talent inné. Il est certes possible de rejeter en bloc tout ce qu’il incarne, en jaugeant son potentiel du haut de certitudes artistiques soi-disant éprouvées, mais avouons tout de go que l’artiste est incroyablement attachant, et que sa musique est beaucoup plus profonde qu’elle n’en a l’air après une écoute superficielle.

Et après un introductif mais récréatif Till Death Do Us Party en 2014, qui s’était taillé un joli parcours dans les charts virtuels, et un plus sombre et engagé Afterparty l’année dernière, à l’intitulé assez franc quant à ses intentions de crudité, DELANO nous en revient avec « l’album qu’il a toujours souhaité enregistrer », et admettons que le dit album à bien des armes pour séduire les fans d’un Hard-Rock moderne, au léger parfum alternatif et électronique, et qui a les prétentions de sa morgue affichée. Whatever, au-delà se son injonction pleine de dédain, est un disque plein de vie et de contradictions, qui emprunte tout autant au répertoire du dandy des ténèbres MANSON qu’à la provocation cheap et glitter de Courtney Love la classieuse, pour un rendu qui évoque tout autant la fête que ses conséquences, mais aussi la difficulté d’être soi-même dans un monde qui vous impose une image et des règles à respecter, alors même que chaque individualité ne cherche qu’à exprimer son unicité, qui transforme notre monde rigide et guindé en formidable vivier de créativité.

Pour autant, et pour rester honnête, Whatever n’est pas non plus l’épiphanie que je me refuse à décrire, mais un solide exercice de style mêlant fun outrancier et lucidité bien ancrée dans une époque troublée, et surtout une jolie collection de hits bien troussés qui sauront séduire les plus débridés des fans de modernisme assumé et d’électro-Metal décomplexé. Nous sommes loin d’un MANSON traumatisé par des ligues de morale dépassées, mais certains des thèmes abordés en musique font preuve d’une belle philosophie, comme ce « 27 Club » qui aborde avec nostalgie et tristesse les cas de héros tombés au front de la jeunesse par abus de substances illicites et d’hédonisme abusif, sur fond d’acoustique chaloupée et d’un chant nasillard désabusé, un peu dans une optique de métissage entre un FASTER PUSSYCAT usé et d’un Nick Cave glamourisé, pour une ode tout sauf macabre, mais franchement attristée.           

Disque produit et policé, Whatever n’en oublie pas la sauvagerie inhérente à tout désir de liberté, ce que démontre avec une belle énergie un morceau comme « Negative Nancy », que l’auteur se plait à voir non produit et abrasif pour les conduits, mais aussi épitomé d’une volonté de rage et de refus des barrières. Un Rock simple et direct, boosté par un chant au phrasé époumoné, et au refrain fédérateur qu’on imagine sans peine repris en chœur on stage. Si la production ne cherche pas la perfection mais colle au précepte de naturel si cher à un interprète d’exception, elle met en relief une poignée d’hymnes composés la rage au ventre et le regard illuminé, à l’image musicale de l’introductif « Adam’s Apple », qui tempête d’un riff simple et martelé et d’un up tempo un peu décalé, qui nous entraîne dans le sillage d’une créature fardée mais beaucoup plus authentique que bien des rockers célébrés. Il est d’ailleurs possible que les die-hard aient du mal à reconnaître leur idole, qui affirme que les voyages et expériences de quelques mois le font vieillir de plusieurs années, et que l’Electro-Pop d’hier se voir remplacée avec audace par un Rock moins calibré. Il affirme d’ailleurs à qui veut bien le lire que « tout ça est un pari, puisqu’on ne sait jamais comment les gamins vont réagir. J’ai créé ce style qui s’adapte à mes performances, et s’ils ne sont pas contents, il leur reste toujours mes vieilles merdes… »

Pari risqué donc pour un musicien qui déteste stagner, et qui le prouve avec pugnacité au travers des guitares aiguisées de « Butterfly », qui le rapprochent d’un Rob ZOMBIE allumé et d’un MANSON de stade juvénile embrasé. Les paroles se veulent aussi percutantes que l’instrumental, et la combinaison des deux montre une évolution nette et beaucoup mois propre, proche d’un Electro underground apte à faire plier les charts numériques sans forcer.

On trouve dans ce nouveau tour de piste des numéros ambiancés, séduisants et fardés (« Princess Hunt »), mais aussi des présentations plus nuancées (« No School », qu’on dessine d’écoliers en uniformes trop usés qui braillent leur révolte d’une voix émue mais soutenue), et des instants d’intimité dévoilés avec pudeur et une légère timidité (la délicatesse de « Pretty Boys Cry » et son message touchant), pour un final en feu d’artifices Techno qui rebutera les plus conservateurs macho (« Hole Nine Yards »). En gros, de multiples facettes pour un visage aux contours pas si nets qui aime à troubler la surface pour y laisser des circonvolutions tenaces. DELANO cite même la référence Ru Paul, sans avoir à se justifier d’un très logique « Soit ils aimeront, soit ils détesteront. C’est la vie, et tu dois faire avec » qui résume assez bien le ton frondeur et les ambitions, et qui achève de faire de ce Whatever l’aveu d’indépendance qu’il incarne avec passion. Que vous aimiez ou pas, ce troisième album montre que l’artiste sera toujours là où on ne l’attend pas, pour faire ce qu’il sait faire de mieux, ce qu’il veut.

Mais musicalement solide, ce nouveau chapitre de la saga ADORE DELANO est aussi éphémère qu’il n’est fait pour durer, et se joue des styles, comme son auteur se joue des genres. Qui finalement, n’ont pas plus de raison d’être que les philosophies rigides prônées par ceux que l’avenir menace de sa liberté.


Titres de l'album:

  1. Adam's Apple
  2. 27 Club
  3. Butterfly
  4. No School
  5. Whole 9 Yards
  6. Pretty Boys Cry
  7. Negative Nancy
  8. Princess Cut
  9. Witch Hunt
  10. But Her Fly
  11. Hole Nine Yards

Site officiel


par mortne2001 le 08/09/2017 à 14:30
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