Au moment même où Robert Smith remet en branle son cauchemar THE CURE avec un nouveau single très solitaire, surgit un groupe londonien qui met à contribution ses enseignements les plus froids. Certes, je ne compare pas ici une légende à un concept émergeant qui jusqu’à présent n’a sorti qu’un seul album, mais le parallèle est troublant. Même mélancolie noire, même obsessions pour les ténèbres, même envie d‘un ailleurs qui n’existe pas. Vous l’aurez compris, THE SILENT ERA n’est pas THE CURE, et c’est tant mieux. Nous n’avons pas besoin d’un clone plus ou moins habile, d’autant que l’affiliation Metal des londoniens n’est guère la tasse de thé de ce cher Robert.
THE SILENT ERA est plus ou moins habilement comparé. CHELSEA WOLFE, NINE INCH NAILS, les DEFTONES (et un subtil THE CURE ? entre parenthèses) sont cités pour permettre de situer le domaine artistique, mais si la citation de notre cher Trent est plus ou moins justifiée, le reste est vraiment là pour le décorum. Un chapiteau, perdu quelque part dans la banlieue londonienne, des numéros étranges à la Ryan Murphy, une meneuse de revue qui geint, qui murmure, qui hurle et qui suture, des plaies causées par un excès de fraicheur hivernale en plein mois d’octobre.
Premier album d’un quatuor hétéroclite (Bri Macanas - chant, Chris Schwarten - guitare, Nicolas Zappa - basse et d’autres trucs, et Jo Eiffes - batterie), qui compose collectif, et qui joue soudé. D’ailleurs, tout est très bien expliqué dans la courte bio, dont je reproduis un passage ici :
Bien que chaque membre vienne d’un pays différent avec leur parcours et leurs projets musicaux, ils ont trouvé un terrain de jeu commun avec THE SILENT ERA en noyant les instruments dans la distorsion et la réverb et en explorant différents aspects du rock alternatif.
Cosmopolite, ouvert, suggestif, allusif, Wide And Deep And Cold se propose d’expliquer son titre en mode thématiques de fond, et nous ouvre les portes d’un univers gigantesque, sombre, froid, ou les incantations servent d’appel et les litanies tiennent lieu de conversations. Avec un instrumental très chargé, le groupe brode sur des idées communes, entre Rock alternatif et légèrement Industriel, Pop gothique mâtinée d’Electro, et Metal noyé dans les effets et submergé par les émotions. Et pour un premier album succédant à quelques singles, Wide And Deep And Cold a un sacré culot et une fermeté très mature.
Il y a en avant la voix incroyable de Bri Macanas, qui évoque Kate Bush, les STOLEN BABIES, Maria Brink et THE MURDER OF MY SWEET, tous exilés de leur maison de disques pour se retrouver chez 4AD ou Cleopatra. Mais il y a aussi ce canevas d’arrière-plan qui emprunte évidemment à la scène Techno-Indus des nineties, en opposant des rythmes synthétiques à des riffs rigides, pour mieux créer le décalage avec ces volutes vocales qui s’évanouissent comme des nuages de fumée. L’épitomé de la formule ne tarde d’ailleurs pas à se dévoiler, puisque « Matter Of Time » cite MINISTRY et MANSON, sans tomber dans la gaudriole des premiers et l’humour décadent du deuxième. D’ailleurs, le groupe se contredit en permanence sans avoir tort, puisque chaque piste à son parfum, toujours un peu passé, mais qui attire les naseaux comme l’effluve d’une femme dangereuse passant près de vous. « Strange To Me » est un sourire un peu vicieux, un mouvement de tête suggestif, une posture aguicheuse. C’est aussi une invitation à la danse dans un club londonien connu des seuls initiés, et un déhanché irrésistible qui transforme le dancefloor en chambre à coucher sur mesure.
Et drapée de noir.
Très professionnel, THE SILENT ERA est un peu un film de Murnau repris à son compte par David Lynch. Du gothique détourné psychédélique, du figuratif art-déco, un jeu d’ombres sans lumière. Un film qui prend son temps pour imposer ses personnages et qui travaille ses effets pour ne pas se reposer sur des jump scares éventés jusqu’à la moelle. Un interlude inopiné en pleine montée (« Peur », pas trop mais inquiétant quand même), un clin d’œil à ce cher Bob Clark via « Dead Of Night », et beaucoup de passion, un défilé de créatures nocturnes étranges, sur un podium monté à la hâte pour ouvrir à l’heure.
L’heure passe d’ailleurs très vite. « Paradise Beach », ballade amère et rétro cherche dans le film noir l’essence même de son existence, et le chant très détaché de Bri contribue une fois de plus à densifier cette brume qui plane au-dessus de cette histoire, aussi violente que poétique, et aussi sanglante que désincarnée.
Il est pourtant très difficile de jouer ainsi avec les sous-genres sans se planter et servir un gruau sans goût ni épaisseur. Mais les londoniens ne jouent pas le même jeu que les autres, et ne se forcent pas au métissage. Il est naturel, dépendant des émotions suggérées, et très crédible, puisque sans attaches réelles. « Cliffs » observe la Manche du haut de ses roches blanchies par les vents, ondulant comme un drapeau, mais « Oscillations » chute rapidement d’une Synth-Wave froide et très allemande.
Wide And Deep And Cold est terriblement personnel, et détonne dans la production actuelle, toujours un peu trop facile et portée sur les gimmicks. Ici, point de maniérisme, de la sincérité, et une tendance naturelle à rejeter les cloisonnements et étiquettes. Comme un projet solo et décalé de Tori Amos, Wide And Deep And Cold jongle et joue avec les ongles sur un tableau, irritant les puristes pour mieux fédérer les progressistes.
On pourrait voir ces gens charmants et éduqués en première partie de THE CURE. Il n’y aurait rien d’étrange à ça. Et Robert se sentirait moins seul.
Titres de l’album:
01. Wide And Deep And Cold
02. On The Run
03. Vendetta
04. Matter Of Time
05. Strange To Me
06. Peur
07. Dead Of Night
08. Paradise Beach
09. Cliffs
10. Oscillations
11. Raining Again
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