Tout a commencé par un clip à l’esthétique incroyablement léchée, signé par deux cadors de l’exercice d’illustration, déjà adoubés par LADY GAGA herself, Clément Legrand et Damien Laturaze, dans le cadre d’une compétition lancée par la Queen of Pop. Images ambitieuses, colorées, sombres, ambiance empreinte de références lettrées et cinématographiques, pour l’entrée en matière la moins humble qu’une musicienne puisse proposer. Mais tout tombe à pic, puisque Grace MEER sait exactement ce qu’elle veut, et reste consciente de ses moyens artistiques. Ne vous attendez donc pas à la voir faire mine basse et patte blanche, puisque la franco-italienne débauchée par Dooweet assume ses ambitions, et les retranscrit avec une morgue insolente au travers des quatre titres de son premier EP, titré de sa vidéo…
Et si certains d’entre vous commencent à frissonner à la lecture de ce paragraphe, en se disant que l’auteur de ces lignes a dû s’égarer en chemin, rassurez-vous. Votre scribe sait parfaitement ce qu’il écrit, et compte sur votre ouverture d’esprit. Car si Your King ne fait certes pas appel à vos sensations habituelles, il a largement de quoi se frayer un chemin dans votre playlist, puisqu’il passe en revue un nombre assez conséquent de styles. Nous parlons d’Electro-Pop pour faire une jonction logique avec l’univers de cette vocaliste hors-norme, mais pour être sincère, il est très difficile de se faire une opinion précise sur sa musique, qui cite autant BJORK que LACUNA COIL, TRUE MOON que Trent Reznor, Charlotte MARTIN ou Amanda Sommerville, et tant d’autres qu’il m’est impossible de recenser ici sous peine d’exhaustivité pénible et stérile.
« Soyez l’exception qui confirme votre règle. Le monde est grand ouvert, n’abandonnez jamais votre combat ! »
Des années de gestation en introspection ont permis à Grace d’emprunter des chemins escarpés, dont l’ascension aurait certainement privé d’oxygène les plus aventureuses des rockeuses. Mais loin de l’image d’Épinal de femme fatale si facilement accolée à des réputations par des journalistes en mal de sensations, Grace est une visionnaire de son propre monde, qui se décline pour l’instant en quatre chapitres riches, passionnants, envoutants, et si mystérieux qu’on en ressort avec plus de questions qu’on n’a jamais eu de réponses. Avec une voix proche des intonations d’Anneke ou de Cristina, mais mâtinée d’inflexions presque classiques, sans jamais tomber dans la parodie des Castafiore de supermarché, Grace enroule son col de rêve musical autour de votre cou, en une étreinte passionnée. Dès « Your King », dont nous connaissions l’instrumental en même temps que les images, le décor mouvant est planté, et les tableaux de magnificence se succèdent en prenant leur temps, pour mieux nous entraîner dans un univers aussi onirique que cruellement lucide. Arrangements ciselés, compositions à multiples couches, et lignes vocales en arabesque de destin, cette vision d’un Rock épuré de tous ses tics les plus usurpés à des allures de Commedia Dell’arte contemporaine, qui incruste les visions de Dante de l’autre côté du miroir de Lewis Carroll. Base synthétique qui n’empêche nullement les accès de puissance sur « Vortex », qui rappelle les meilleures remixes de BJORK en bande originale de Sucker Punch, pour un relooking de collégienne adulte qui a troqué la jupette et les socquettes pour une robe de gala de velours noir et rouge.
Parfaite en héroïne de Stendhal qui refuserait l’inévitable, Grace nous offre même la guérison via l’éthéré « Heal », qui se satisfait de quelques notes de claviers et de percussions fantomatiques, martelant un leitmotiv de conviction subtil. Volutes vocales qui se lovent dans le creux d’arrangements presque symphoniques, mais trop sincères pour plonger dans le drame, progression en faux crescendo qui ondule sous les arias d’hiver, avant que les cordes vocales ne s’embrasent d’un feu de passion, pour un final épique, digne d’un film pour l’âme qui ne dévoilerait qu’une partie de la vérité, par simple pudeur.
La pudeur est justement le trait le plus caractéristique de cet EP qui se refuse à tomber dans le sensationnel par facilité, et qui se contente de brosser le portrait d’une chanteuse énigmatique, Mona Lisa d’une Pop électronique musclée mais onirique, et si ancrée dans le réel d’un talent indubitable que son analyse en devient trop futile. Loin de moi l’idée de jouer les poètes bon marché, mais les qualificatifs les plus triviaux deviennent effrayants à l’heure de décrire une démarche artistique aussi précise que personnelle. C’est en quelque sorte une naissance à laquelle nous sommes conviés, et qui s’achève dans le cri primal de « Farewell », en forme de faux adieu, mais de réelle accession à la vie.
Il est certes probable que Grace doive saluer en route tous ceux qui jugeront sa création un peu trop sophistiquée pour eux, mais ceux qui resteront savent d’ors et déjà qu’ils ont rencontré une nouvelle diva qui n’en sera que de nom, et qui les gratifiera à chacun de ses passages d’une épiphanie musicale.
Treize minutes seulement, c’est très court, et à l’issue de ces quatre morceaux, on aurait souhaité un rappel amplement justifié par la diversité des genres abordés. Et si nous avons déjà compris que l’image et le son font partie intégrante en même proportions du monde flamboyant et froid de Grace MEER, il est inutile de préciser que les deux sont complémentaires et indissociables. Mais en tant que seul support audio, Your King se suffit à lui-même des images qu’il ne manquera pas d’évoquer à votre subconscient. Qui se laissera happer dans la toile de soie d’araignée que tendent les fils d’un petit quart d’heure passé dans le giron d’une future grande dame de la musique.
Et de l’image, s’entend.
Titres de l'album:
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