Zwart Vierkant

Grey Aura

07/05/2021

Onism Productions

Le problème connu de l’avant-gardisme dans l’extrême est qu’il sert souvent de paravent à un faux tour de magie qui prend les spectateurs pour des imbéciles. Un peu de poudre aux yeux, une fausse imagination, des structures chaotiques et un non-sens évolutif servent à cacher la misère de l’inspiration, tout comme dans la peinture, la sculpture, et le cinéma. Alors, lorsqu’on tombe sur un artiste qui se réclame de l’avant-garde ou d’un courant abstrait conchiant la normalité, la méfiance est de mise. N’importe qui peut faire n’importe quoi sous couvert d’expérimentation, taper sur un radiateur en récitant le bottin de Seine et Marne, chier dans une fiole pour dénoncer la société de consommation, ou au contraire, se poser sur scène nu, et provoquer l’étonnement sans autre but que…de provoquer l’étonnement. En Black Metal, la règle est la même, puisqu’elle est immuable, et les groupes vraiment créatifs et audacieux se comptent sur les doigts d’une seule main. Alors, réservez un doigt de plus pour les hollandais de GREY AURA, car leur sens de l’innovation et de la bousculade est fondé, et basé sur de réels concepts.   

    

Je n’ai aucun doute que malgré sa sortie précoce en 2021, la qualité de Zwart Vierkant lui garantira une place de choix dans les tops de fin d’année, et pas seulement parce que le groupe d’Utrecht peut déjà s’asseoir sur une réputation solide. Waerachtighe Beschryvinghe Van Drie Seylagien, Ter Werelt Noyt Soo Vreemt Ghehoort, paru il y a sept ans et ayant toujours laissé des fourmis dans la langue ouvrait le feu de la plus belle des façons, tandis que les deux volumes 1: Gelige, Traumatische Zielsverrukking et : 2 : De Bezwijkende Deugd continuaient le travail entrepris en élargissant le spectre des possibilités. Car les deux têtes pensantes du projet, Tjebbe Broek (guitare, basse, percussions, effets, concept) et Ruben Wijlacker (guitare, basse, percussion, chant, effets, concept) sont des gens extrêmement intelligents et des créateurs hors-pair. Pas question donc de faire du surplace pour que le public comprenne bien leur démarche. Et une fois encore, sept ans après son premier tome, le livre GREY AURA nous étonne, nous émerveille, nous effraie, et nous laisse pantois de tant de haine viscérale.

Pour être bien clair, affirmons que ce second long n‘utilise plus le black Metal que comme une composante parmi tant d’autres. Utilisé pour sa violence, mais aussi pour sa liberté de ton, en tant que canevas de fond, mais aussi de débordement de surface. Le duo hollandais n’hésite plus du tout à faire appel à des éléments extérieurs au Metal pour structurer sa pensée, et se laisse aller au Jazz, au Folk, à la Pop, au Rock et au Post, pour tisser une toile se rapprochant au plus près de cette histoire de départ qui sert de fil rouge au concept. Car concept il y a, vous vous en doutez bien…Un concept étrange, et pourtant très réaliste, et totalement ancré dans l’art. Un concept qui raconte l’histoire d’un artiste, peintre plus exactement, du début du 20ème siècle, voyageant de par l’Europe pour y découvrir le Suprématisme, courant artistique russe idolâtrant l’abstrait, et rejetant les convenances et conventions de la normalité picturale. En optant pour une pochette mettant en relief des couleurs criardes, les GREY AURA affirment leur différence, mais rejettent aussi le noir et blanc habituel des productions BM européennes. En adoptant cette peinture étrange au bleu très prononcé, tranché de jaune et de rouge, le groupe sait qu’il se distingue de la masse, et qu’il s’éloigne des turpitudes habituelles du genre, plus habitué aux ténèbres qu’à la lumière. Il était donc obligatoire que la musique se mette au diapason du pinceau, et que le duo propose autre chose qu’une violence ouverte et prépondérante, et les sept chapitres de cette histoire font tout justement pour sonner unique et excentré. Et dire que l’opération est une réussite et le tableau merveilleux est d’un euphémisme lénifiant.

Je pourrais, dans un désir de comparaison, utiliser les noms de DODECAHEDRON, WOLVES IN THE THRONE ROOM, et quelques autres qui vous aideraient à visualiser le panorama musical de ce second album aux proportions gigantesques. Mais rapprocher le nom de GREY AURA de ceux de certains de ses contemporains serait d’une injustice rare, et rabaisserait le travail accompli. Car le travail de composition est ici phénoménal, et pas seulement parce qu’il se permet de mélanger des teintes qu’on pensait difficiles à marier. L’un des points forts de Zwart Vierkant est sa capacité à en faire énormément, sans en faire trop. Dès l’intro étonnante de « Maria Segovia » et ses percussions décalées, on comprend que chaque élément est à sa place, et que ce beat tribal se transformant soudainement en pluie de blasts sur fond de basse chromatique n’est que la façon la plus idoine de placer les débats sous le signe de l’abstraction, thème principal de l’album. Et si ce premier titre est déjà d’une originalité flagrante, il n’est qu’un des prémices des promesses à suivre.

Et ces promesses, aussi irréalistes soient-elles, sont tenues de la plus belle des façons. Elles sont tenues sur l’imparable « Parijs Is Een Portaal », au Jazz prononcé et joué comme un puriste, ou sur « El Greco In Toledo », qui nous offre une balade torturée dans la vieille ville de Tolède, balade striée de Post Punk froid comme un hiver hollandais, mais au Post Black chaud comme un été espagnol.

Vouloir énumérer tous les coups de génie de Ruben Wijlacker et Tjebbe Broek reviendrait à détailler la folie d’un Picasso ou d’un Dali. Chacun observe leurs tableaux en tirant des leçons différentes, des émotions contradictoires, et Zwart Vierkant provoquera le même genre de réactions de la part de ses auditeurs. Certains trouveront ça tellement fourre-tout et imbuvable qu’ils n’y verront que prétention, d’autres seront touchés par une certaine grâce dans la décadence, et s’identifieront à ce déluge de couleurs et de sons que l’on entend et que l’on voit. Ce deuxième album s’ouvre de fait à une audience très restreinte, une audience non élitiste, car là n‘est pas le propos, mais une audience qui supporte le culot lorsqu’il se veut créatif, et non simplement choquant. Plus intense et violent que n’importe quel autre album de Black Metal paru cette année, plus bouillonnant aussi, Zwart Vierkant se termine sur une dernière touche de pinceau, le plus long mouvement de la toile, « Sierlijke Schaduwmond », qui une fois encore fait la part belle à ce contraste entre espaces positifs et négatifs, entre silences troublants sur guitare sereine et percussions discrètes, et soudaine montée en puissance assourdissante.

Vous n’êtes pas obligés d’aimer la peinture pour apprécier cet album, mais ça peut aider. Vous n’êtes même pas obligés d’aimer cet album, c’est une recommandation que je n’oserais pas vous imposer. Vous êtes libre de regarder ou non cette peinture. Mais une fois immergé, vous en saisirez l’essence. Et vous n’en sortirez plus.   

 

                                                                                                                                                                                                        

Titres de l’album:

01. Maria Segovia

02. Rookslierten, Flessen

03. Het Schuimspoor Van De Ramp

04. El Greco In Toledo

05. Parijs Is Een Portaal

06. De Onnoemelijke Verleidelijkheid Van De Bezwijkende Deugd

07. Sierlijke Schaduwmond


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par mortne2001 le 14/05/2021 à 16:20
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