Lorsque j'ai regardé pour la première fois ce foutu documentaire, je ne le sentais pas...Some Kind Of Monster sonnait pourtant bien sur papier, ça pouvait être intéressant de voir la genèse d'un album du groupe, le premier en studio depuis des années...Mais j'ai vite déchanté. Je l'avoue, j'ai eu du mal à aller jusqu'au bout. Et puis j'ai craqué, j'ai lâché l'affaire. Je veux dire...Merde, quand on a affronté autant de problèmes, de situations conflictuelles, lorsqu'on a perdu un ami proche, qu'on a percuté le succès de masse de plein fouet, qu'on a vendu des millions de disques, et qu'on représente quasiment le Heavy Metal en tant que tel, on ne loue pas les services d'un psy/coach émotionnel pour le laisser vous coller au cul toute la journée...Alors voir ce grand crétin de Lars pleurer de joie en vendant son Basquiat, voir ce grand sot de James gueuler et se barrer chercher ses mômes, et ce pauvre Kirk assister à tout ça comme un chien qui doit juste fermer sa gueule, ça fait mal aux tripes.
Les héros de ma jeunesse sont morts ce jour là. Le jour où ils n'ont plus cru à la musique, mais au pouvoir, au fric, à la domination, le jour où ils ont cédé la place aux luttes d'ego, aux caprices de nouveaux riches, gâtés pourris par leur sacro-saint pognon. Je l'avoue, j'ai versé une larme en pensant aux heures passées sur leurs vinyles...C'est con hein? Alors j'ai fait la seule chose que je pouvais faire. J'ai pris le CD qu'il fallait prendre en ces circonstances, et je l'ai joué dans ma platine. Et je suis revenu des années en arrière, lorsque RTL ou une autre station, peu importe, l'avait passé en avant première, me permettant de l'enregistrer avec cette sensation d'être un privilégié...parmi des millions.
Oui, j'ai réécouté pour la millième fois mon album favori.
...And Justice For All.
Mais déjà, à l'époque, back in 88', ça commençait à se barrer en vrille. Je ne reviendrai pas sur les premières années, tout le monde les connaît par coeur.
Un sale soir de septembre 1986, le 27, l'ami hippie Cliff se faisait éjecter du tour bus pour finir broyé. Premier signe. Casting, on fait tourner les noms, d'ARMORED SAINT à d'illustres inconnus, et finalement, c'est FLOTSAM AND JETSAM qui voit l'un des siens débauché. Jason intègre le groupe, doit persuader les fans asiatiques qu'il joue bien avec les trois autres pour avoir des cadeaux, et puis on repart en studio pour une bouffée d'air de reprises bien fraîche, avant d'attaquer la suite. Parce que depuis 86/87, ça ne rigole plus.
METALLICA est devenu une grosse machine sur laquelle les majors louchent salement. Et pourtant, l'éthique est là. Les mecs jouent avec les tripes, refusent les clips, picolent comme s'ils arpentaient la scène d'un vieux club Californien, et restent eux mêmes, surtout.
Mais la sortie de Master Of Puppets a changé la donne. Même si certains canards n'y ont vu qu'une pâle resucée de Ride The Lightning, surgonflée de titres à rallonge sans intérêt étirant les mêmes riffs sur des durées déraisonnables, les fans ont suivi. Tournée en support d'Ozzy, picole encore, admiration avouée pour le SAB' aux pieds du maître, METALLICA vole régulièrement la vedette et fait monter la température. A Donington, en 1987, d'énormes ventilos sont placés sur les côtés de la scène pour que le public ne tombe pas dans les pommes. Ca, et autre chose pour replacer le contexte, et rappeler quelle machine de guerre implacable foulait les estrades ces années là...
Et puis vint le déclic. Certains appellent ça la professionnalisation. Nouveau label, nouvelles ambitions, on accélère le tempo et on change de régime. 1988, il est temps de franchir un nouveau palier.
Pas de bol, le producteur fétiche des précédents disques n'est pas dispo. Rasmussen out, James et Lars se reportent sur Mike Clink, dont ils ont adoré le boulot sur le séminal et furieux Appetite For Destruction des rebelles GUNS N'ROSES. Et ça tombe bien, car rebelles, ils le sont toujours, malgré la reconnaissance unanime qui frappe à la porte de leur vieux garage. Garage Days? Terminé, fini la bière au goulot, il faut se mettre au boulot. Absolu(t)ment.
Mais très vite, Clink et METALLICA se rendent compte que quelque chose cloche. Et ce qui cloche, c'est que ces musiciens en jean et t-shirt ne sont PAS un groupe de Rock. Mais un groupe de Métal, pur jus, héritiers de la NWOBHM, de MOTÖRHEAD, du Punk et du Hardcore. Axl pourrait il chanter "Battery"? "Damage Inc."? Non. Tout comme James n'entonnera jamais "Welcome To The Jungle".
Alors on sauve du naufrage certaines pistes de batterie ("The Shortest Straw", "Harvester Of Sorrow", qu'on éjecte en face A d'un maxi single), on fait le tour des studios, et on récupère Rasmussen au passage, histoire de se rassurer.
Mais une fois de plus, tout ne se passera pas comme prévu...
D'abord, l'état d'esprit. Avec Lightning, METALLICA a mis en place un standard, un truc loufoque et impensable, le Thrash progressif...Ils ont poussé le bouchon plus loin avec Master, qui se permettait de flirter avec les huit minutes sur quelques pavés, alors, en sales gosses qu'ils sont, ils veulent aller encore plus profond dans l'exagération...Comme le disait James lui même:
"On a joué six riffs pour la chanson? Allez, on en balance huit. Soyons dingues. J'écoute ce truc, et c'est assez progressif. Evidemment, il a des défauts, mais c'est ce qu'il fallait qu'on fasse pour pousser Puppets encore plus loin."
Plus loin, plus fort, plus grand. Tel était le leitmotiv. Master vous semblait excessif? Alors écoutez ça, et de toute façon, dites vous qu'on fait ce qu'on veut. Point. On ne dompte pas un animal comme METALLICA. On essaie de l'approcher, on le regarde montrer les crocs, panser ses plaies, mais rien de plus.
Alors, comme la femme de Rasmussen ne se décide pas à accoucher, que Clink fait ce qu'il peut, METALLICA compose dès la fin 87, et se montre prêt dès janvier 1988, sa besace pleine de titres travaillés et étendus au delà du raisonnable.
Comme d'habitude, James et Lars s'assoient, le premier triture des riffs alambiqués, et le second essaie d'y coller des rythmes. Ca tourne, ça louvoie, et ça prend une direction complexe. Mais Cliff et sa basse aux doigts n'est plus là...Ses notes rondes, ses descentes en glissando, son feeling manquent...Alors que faire avec le petit nouveau qui joue lui au médiator, et surtout, d'une attaque purement Métal? Jason est ennuyé. Dans son ancien groupe, il composait, écrivait, ramenait des compos. Ici, il n'est qu'un employé, malgré les sourires de façade, et ne peut lutter contre la mainmise du tandem Hetfield/Ulrich. Toutes ses idées sont jetées au panier, à part un semblant d'approche sur le sonique "Blackened", et humiliation suprême, il se voit crédité à la même hauteur qu'un ex, mort et enterré...Mais la mise à mort n'est pas loin, et le fourbe Ulrich enfoncera encore plus le clou à l'heure du réglage final... Steve Thompson, qui a mixé l'album, s'en souvient encore avec désespoir et ironie:
"Je devais monter le son de la batterie comme Lars le souhaitait, même si je n'étais pas d'accord. Il me dit "Tu vois la basse là?", et je lui réponds, "Oui, elle est géniale, il a vraiment assuré!". Il me regarde et me dit "Je veux que tu la baisse jusqu'à ce qu'elle soit à peine audible dans le mix". Surpris, je lui demande s'il plaisante. Il m'assure qu'il est sérieux. Alors je baisse au niveau demandé, et il me sort "Baisse encore d'au moins cinq décibels". Je me retourne vers James et je lui demande si il est vraiment sérieux...ça m'a tué, vraiment."
Ainsi, l'histoire de Jason est résumée en ces quelques mots lapidaires. Déjà réduit à l'état de fantôme, comme s'il ne devait pas exister, tout en étant là. Et ainsi naquit dans une grande confusion le plus grand album sans basse jamais enregistré par un groupe...Ils s'en amuseront même en interview les salauds...
Lars: "On a appris quelque chose au mixage"
James: "On a appris que la basse est trop forte"
Lars: "Et quand la basse est trop forte?"
James et Lars: "On l'entend!!"
Quelle bande d'enfoirés...
Mais les deux tyrans savaient ce qu'ils voulaient. Le son noyé d'écho et de réverb' de Lightning les insupportait. Master était huge, mais ils voulaient autre chose, plus direct, moins emphatique, plus...cru. Plus sec. Dont acte. Et le son de batterie risible et décharné de Lars allait déclencher des torrents de moqueries dont il mettrait des années à se remettre (au moins jusqu'à...St Anger). Caisse claire baril de lessive, grosse caisse complètement étouffée, ça n'arrangeait pourtant pas ses affaires. Batteur surestimé, du moins par lui même, régulièrement moqué pour ses approximations en live, Lars voulait clouer le bec à ses détracteurs, et oublier une bonne fois pour toutes qu'il avait failli se faire virer aux débuts du groupe pour incompétence notoire...Alors il en mit partout, des breaks, des descentes, de la double, et des cymbales si aigues qu'elles vrillaient les tympans. Et sans basse, impossible de se cacher, il fallait tout lâcher...
Après la guerre, l'apocalypse, METALLICA changeait son fusil d'épaule. Justice, comme son nom l'indiquait, traitait de liberté, d'indépendance, statut que les four horsemen chérissaient par dessus tout. "How free it is?" se demandait Hetfield?
Au moins assez pour comprendre dans quelle merde on était.
Alors, let's go, one, two, three, four. "Blackened".
Déforestation, pollution, problèmes sociaux, le tout sur fond de Thrash nerveux et précis, régulièrement interrompu par des saillies Heavy sur lesquelles la voix de James est claire, nette et hargneuse. Exit les gémissements juvéniles de Kill'Em All, les couinements, place à l'âge adulte. Riff tranchant comme une tronçonneuse qui abat les arbres par paquets de dix, snare mâte qui ponctue le tout de claquements, et déjà plus de six minutes à l'horloge. Six minutes? Quelle rigolade...
"...And Justice For All", le morceau, serait donc le parangon des excès musicaux de METALLICA en 88. Intro maousse, emphatique, qui dure, dure, enchaîne les idées dans des transitions fluides, jusqu'à ce que la batterie de Lars laisse traîner ses baguettes sur des fûts rachitiques, mais pas moins de deux minutes instrumentales avant qu’Hetfield ne rentre en scène, dents serrées et slogans crachés avec hargne. La légende veut que ce titre fut influencé par le film du même nom de 1979, avec un Al Pacino avocat écoeuré par les dés pipés du système. Je le vois plutôt comme Un après midi de chien, un groupe perdu dans ses idées et qui bataille pour en trouver la sortie. Se débarrasser des prétentions, en les étalant au grand jour.
'I can't believe the price you pay".
Le prix à payer était cher. Perdre sa candeur, sa naïveté, et plonger la tête la première dans le biz' et ses coups fourrés. Et le solo aux teintes jazzy de Kirk en était un beau. Lui était plus verni, il voyait son nom accolé à quatre compos. Etait ce vraiment une consolation?
"The Shortest Straw" ranime le fantôme de McCarthy, et cavale sur un tempo piquant qui transcende une guitare acide, et laisse à Lars la possibilité de s'en donner à coeur joie. Noir comme le destin des Rosenberg, c'est METALLICA qui tire la courte paille et se voir obligé de signer l'un des morceaux les plus sombres de son répertoire. "A megalomania"? Effectivement, celle ci pointait le bout de son nez.
"Harvester Of Sorrow", sorti en maxi, tombe dans le Heavy lourd et opaque, et multiplie les appels du pied à "The Thing That Should Not Be". Arpèges menaçants, crash de Lars qui lance la friture, écrasement de toms, c'est sans doute le titre le plus symptomatique du passé des cavaliers. Simple, direct, sans fioritures, il rappelle à quel point le groupe peut se montrer lourd et puissant.
"Pure black looking clear". Et un joli solo évanescent de Kirk.
"To Live Is To Die" solde les comptes. James et Lars laissent une dernière fois parler leur ancien bassiste, qu'ils ont harcelé en son temps pour qu'il dégage de TRAUMA, et qui finalement, sera responsable en grande partie de leur son si particulier. Instrumental d'une émotion presque palpable, qui laisse filtrer une mélodie qui semble pleurer des guitares, c'est outre le morceau le plus long du lot le plus lacrymal. James s'y laisse même aller en solo, et prouve une fois de plus quel feeling il est capable d'injecter à son instrument.
"These are the pale deaths
which men miscall their lives:
for all the scents of green things growing,
each breath is but an exhalation of the grave.
Bodies jerk like puppet corpses,
and hell walks laughing."
Poème écrit par Cliff juste avant sa mort, ces quelques mots posés sur une harmonie belle à chialer me rappellent toute l'émotion ressentie lorsque je l'ai entendu pour la première fois. "To Live Is To Die" est plus qu'une chanson, c'est un dernier au revoir touchant, et surtout, un adieu aux jeunes années insouciantes qui vont mourir de leur belle mort. James en dira ceci, très justement et humblement, pour une fois:
"C'est un hommage à Cliff, sans en faire trop. Juste une façon de le remercier pour tout ce temps passé avec lui".
Mais l'Annapurna de Justice, c'était cette fausse ballade, cachée en fin de seconde face. Ce morceau qui fit valser les principes du groupe et pour lequel ils consentiront à se laisser filmer, black & white, leur escalier pour le paradis à eux. Enregistrée au click, obligeant Lars à une régularité totale, le texte reprend à son compte l'histoire développée dans l'unique film de Dalton Trumbo, Johnny Got His Gun. Résolument anti-militariste, "One" décrit le calvaire d'un soldat emprisonné dans son propre corps, infirme, aveugle, sourd et muet, et que l'armée persiste à maintenir en vie malgré son désir de mort.
Pour le traduire en musique, Lars et James donneront tout. Ils iront au bout d'eux mêmes, de leur talent, de leur émotion à fleur de peau pour signer ce qui restera à jamais l'un des plus grands morceaux que le Heavy Métal nous a offert. Arpèges crépusculaires, construction toute en marches à gravir, final explosif, et solo d'anthologie. Kirk en sera très fier, à juste titre. Il en dira:
"C'est un solo que tout le monde peut reprendre en choeur, et a chaque fois que je le joue, je me sens vraiment très bien".
Outre ses qualités indéniables, "One" est bien plus qu'un excellent morceau, c'est une épitaphe. Celle gravée sur la tombe d'un groupe qui ne sera plus jamais le même. Et peu importe que l'académie en 89, après la prestation du groupe ait décidé d'attribuer le grammy à JETHRO TULL, en forme de boutade incompétente, rien ne volera plus haut que ce morceau qui touche en plein coeur les fans là depuis le début. "One", c'est la transition, l'acceptation du temps qui passe et transforme les adolescents en adultes devant faire face à leurs responsabilités. Une petite mort. Et que l'infirmière tire enfin le rideau....
"Justice était évidemment un disque important pour nous. … On a emmené le concept de Lightning et Puppets aussi loin qu'on a pu. On ne pouvait rien faire d'autre que de développer ce satané côté progressif de METALLICA, et d'un certain côté, je suis fier qu'il soit en quelque sorte l'épitomé de notre image dans les années 80."
Ainsi parlait Lars, le traître, qui avait noyé Jason au mixage. Sacré Danois...Mais il avait raison pour une fois, surtout dans la dernière partie de sa déclaration. Rasmussen se voudra aussi rassurant. "Malgré tous les problèmes, ça en valait la peine. J'adore ces chansons".
Alors peu importe que votre épisode préféré de la saga soit le Black album, Master ou Lightning, même Kill'Em All. Parce que loin des querelles de comptoir, loin des tergiversations inutiles, et loin de ce documentaire pathétique dans lequel deux grands sots font les malins en lâchant un million de boules pour s'offrir un bassiste mercenaire, ...And Justice For All fut le dernier grand album de METALLICA. Peut être même le dernier album de METALLICA tout court.
"Your loss becomes my gain". Quelle bande d'enfoirés...
Titres de l'album:
01. Blackened
02. ...And Justice For All
03. Eye Of The Beholder
04. One
05. The Shortest Straw
06. Harvester Of Sorrow
07. The Frayed Ends Of Sanity
08. To Live Is To Die
09. Dyers Eve
De Metallica je ne connaissais que le Black album et Master, à l'époque j'écoutais surtout Pantera, Sepultura, Fear Factory, Machine head et puis ensuite le metal extrème autant black que death. Metallica c'était pour moi trop mainstream. Plus tard je rencontre ma femme qui est fan des Mets et ça me fait marrer. Et elle me fait découvrir l'album (And justice donc) avec "One" et là la grosse baffe, je surkiffe. Un album magistral, tellement que je continue de suivre le groupe encore aujourd'hui.
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