Antibody

Fetish 69

Il y a eu la musique concrète, et puis la musique industrielle. TROBBING GRISTLE, EINSTURZENDE NEUBAUTEN, SWANS. La Cold Wave et le Post Punk, KILLING JOKE, WIRE, et les SISTERS OF MERCY, et puis les années 80 ont enfanté du monstre le plus terrifiant de la musique moderne, en laissant s’accoupler les deux styles les plus honnis de la famille, le Metal, et le Rock Industriel. Imaginez BLACK SABBATH coucher avec Jaz Coleman, imaginez Genesis P-Orridge faire des choses sales avec les VENOM, mais n’imaginez pas trop, parce que le tableau reste en tête comme un morpion sur vos poils pubiens après un coït fugace avec une prostituée peu regardante sur son hygiène intime. Et sont alors nés les monstres, MINISTRY, GODFLESH, BIG BLACK, NINE INCH NAILS, KMFDM, les YOUNG GODS, PIGFACE…Les années 80 furent les premiers balbutiements, ou plutôt les premiers hurlements de désespoir si l’on en juge par l’odeur de biberon rance de Streetcleaner des GODFLESH. Mais même en prémices, tout ça empestait les rues déshumanisées, l’espoir enterré sous des couches de béton, une grosse merde séchée lâchée sur le perron de la société, en gros la forme d’expression la plus lucide mais noire que l’extrême ait pu inventer, avant que de petits malins ne s’en emparent pour la blinder d’électronique et réussir à séduire les adolescents et les maisons de disques. Mais l’essence même du Metal Industriel était justement d’exprimer le dégoût de cette société de consommation qui transformait des esprits déjà plus si libres en machines à consommer, s’alignant sur les parkings du supermarché pour obtenir leur dose de fix à moindres frais. Tout ça ne réchauffait pas vraiment l’esprit, mais avait le mérite d’ouvrir les yeux. La peinture n’était pas très jolie, plutôt genre monochrome badigeonné de sang, jusqu’à ce qu’une bande d’autrichiens ne viennent y ajouter une couche de vernis en vomi.

Les années 90 célébrèrent le style, MINISTRY dépassa le stade du culte, KMFDM explosa les dancefloors, et Trent Reznor devint l’idole qu’on connaît toujours, allant jusqu’à se fabriquer un mini-moi pour s’amuser avec les prudes américains. MANSON vit le jour, mais n’était et n’est toujours qu’un plaisantin. Alors que Christian Fetish lui, avait une vision. Il serait le Lou Reed de l’Industriel glauque, racontant des histoires d’addiction, de putes, de meurtres, de maladie, laissant ses concurrents littéraires à des années-lumière de confort derrière lui, se posant en chantre du mauvais goût et de l’instabilité au sein d’un groupe entièrement dédié à l’inconfort, au bruit blanc, aux riffs mécaniques et à la rythmique martiale. Né en 1987 à Vienne, le concept FETISH 69, du nom de son leader et d’une position sexuelle que la décence m’interdit d’expliquer ici, a commencé sa carrière plutôt discrètement, lâchant quelques EP’s et démos de façon confidentielle (Sexual Warfare en cassette, 1987, Pumpgun Erotic en 12’’ trois ans plus tard), partageant même à l’occasion les faces d’un simple avec les LOS TRES HOMBRES en 1992. Mais c’est en 1993 que le nom du groupe commença à émerger sur les lèvres des glandeurs de caniveau, lorsque le groupe parvint à se faire signer sur l’indépendant du moment, Nuclear Blast. Les magasins héritant de l’objet en question ne surent pas vraiment comment le vendre. Le nom du label allemand inspirant le Thrash et le Death facilitait la vulgarisation, mais Antibody détonnait salement dans la production du ND des années 90, plutôt taxé Death, Hardcore, Thrash et autres extensions bâtardes. Certes, Nuclear Blast hébergeait aussi d’autres autrichiens, PUNGENT STENCH et DISHARMONIC ORCHESTRA, mais rien qui ne ressemble de près ou de loin à cette musique mécanique, robotisée, déshumanisée que présentait sous des atours particulièrement peu flatteurs Antibody.  

Il arrive parfois qu’en tombant sur un album, on le réécoute médusé l’usant jusqu’à la corde en ayant la sensation d’avoir trouvé SON groupe. C’est ce qui m’est arrivé en tombant sur le Souls at Zero de NEUROSIS, mais aussi lorsque mes fragiles oreilles se sont posées sur cet OVNI crade. Car si MINISTRY n’engendrait pas forcément l’hilarité, même si les YOUNG GODS tentaient de reproduire la froideur d’un monde hostile, et même si NINE INCH NAILS osait le SM et invitait Bob Flanagan dans ses clips, la vision de Christian Fetish, dégoulinante de sang, de tripes, de sueur, de chairs flasques lacérées à la lame de rasoir, incitait les gens au suicide moral, de la plus évidente façon qui soit. La recette du groupe était simple, piquer au Metal l’inspiration de toutes ses extensions les plus brutales (Thrash, Death, Doom, Sludge), les mélanger à des arrangements mécaniques et des échos froids, secouer le tout dans un verre de whisky tiède, et se l’injecter en intraveineuse pour que l’effet soit immédiat. Et dès la vision de la pochette, et de celle intérieure, avant même d’écouter le froid et monstrueux « Hyperventilator », l’effet d’attraction était trop fort pour renoncer et retourner dans un monde dit « normal ». Rien n’était normal sur Antibody, anticorps vous transformant en virus, et traduction littérale des obsessions de Cronenberg pour la chair en musique. « Hyperventilator » et son intro dissonante citait les SWANS des années 80 dans le texte, avant de nous agresser d’une basse à rendre Paul Raven jaloux. Et alors, la voix écorchée et inhumaine de Christian Fetish entrait en scène pour vous raconter des histoires d’horreur, mais bien réelles.  

Enregistré et masterisé par Andy Beit au Magic Sound Studio, Graz, Autriche, et bénéficiant d’un mixage d’un certain Colin Richardson à Fairview, Antibody n’était pas de ces albums d’Indus trop sec et décharné, il possédait la profondeur du Metal pour mieux la pénétrer, éjaculer ses graves partout dans la pièce, et transformer les guitares en simples tonalités, malgré des riffs que les PRONG n’auraient pas reniés. Evidemment, la tentation des samples était trop grande et le fameux « go in peaces asshole » résonne encore dans les mémoires de tous les freaks de l’époque. Mais en quarante minutes et à peine une de plus, FETISH 69 résumait toute la philosophie du créneau en jouant plus lourd, plus malsain, plus glauque que tous ses contemporains. Inutile de revenir sur la portée nauséeuse de « Pig Blood! », poisseux comme du CARNIVORE joué par les MELVINS, ni sur le turbocompresseur Thrash de « Stomachturner » que les FEAR FACTORY auraient pu inventer à l’orée de leur carrière. Sur cet album, tout était laid, souillé, tâché, entaché, moisi, pourri, et pourtant, le son était propre et immaculé comme sur le canapé blanc de Bob Rock. Christian Fetish (chant), Astrid Kleber (basse), Martin Nestl (batterie), Kim Pil-Jeong (samples), Robert Lepenik (guitare, électronique) étaient tous parfaits à leur poste, mais c’est évidemment le clown blanc et overdosé Christian qu’on craignait plus que tout. Ses invectives avaient de quoi donner la chair de poule, alors que la guitare ne se gênait pourtant pas pour se vautrer dans le feedback le plus assourdissant (« Being Boiled »).

Ce qui n’empêchait nullement le quintet d’oser des choses dansantes en montant les BPM du tempo (« Wrecked Joe », avec cette basse d’Astrid qui claque deux notes, mais à la perfection), de jouer avec les effets sonores pour se souvenir du KILLING JOKE le plus glacial (« No Nothing »), avant de nous offrir un aller-simple pour l’enfer de la terre via « Anti Body », longue suite pachydermique de près de dix minutes, à filer la gerbe à NEUROSIS et ELECTRIC WIZARD. Vingt-sept ans après sa naissance, Antibody continue de faire des victimes chez les parias, mais reste le moins célébré des albums les plus renommés. Il a gagné avec les années son statut d’œuvre culte, mais ne fait pas encore partie du patrimoine au même titre que Psalm 69, The Downward Spiral ou Streecleaner. Il est pourtant le moins recommandable des quatre, et donc, le plus attirant et addictif. Mais essayez de convaincre les gens de se taillader les veines tout en regardant un travesti décati vous la sucer dans les chiottes immondes et maculés de merde d’un bar de troisième zone.

Pas facile.

                                                                                                    

Titres de l’album:

01. Hyperventilator

02. Versus Nature

03. Pig Blood!

04. Stomachturner

05. Being Boiled

06. Wrecked Joe

07. Fireworks

08. No Nothing

09. Anti Body

10. Hog Ditch (Pigblood Reprise)



par mortne2001 le 19/10/2020 à 15:33
%    785

Commentaires (3) | Ajouter un commentaire


Stink
@77.133.85.175
19/10/2020, 23:13:46

Excellent album, découvert à sa sortie, ça fait plaisir d'en voir une chro !

Je ne connaissais pas la version de Pig Blood que tu as postée, celle présente sur l'album est celle-là : https://youtu.be/Kpa3ILcgC4s


Humungus
membre enregistré
21/10/2020, 16:15:23

Putain c'est trop bon ce truc !

J'connaissais pas du tout...

Futur achat donc.


PS : Y m'énerve ce mortne2001 à connaître plus de groupes que moi... ... ...


Buck Dancer
@191.85.184.205
22/10/2020, 04:52:58

La pochette me dit vaguement quelque chose mais jamais écouté cet album. 

Le morceau en écoute est très très bon. 

Merci pour la découverte. 

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