En étant honnête, combien de groupes japonais des années 80 avez-vous connu à l’époque ? Ma sincérité me pousse à en avouer une poignée, donc les immanquables LOUDNESS, E.Z.O et VOW WOW, et encore uniquement lorsque Neil Murray les a rejoint. Il faut dire que les musiciens capables d’obtenir le soutien d’un label aux ramifications internationales étaient rares, et souvent, leurs albums n’étaient publiés que par des maisons de disques nationales comme Invitation ou Victor. En import, ces disques étaient peut-être disponibles dans les boutiques spécialisées de Paris ou Londres, mais au regard du peu d’articles consacrés dans la presse spécialisée, je présume que peu ont du atterrir dans les bacs européens. Mais depuis longtemps, grâce au Net, le fan de Hard-Rock et de Heavy Metal a pu rattraper son retard et découvrir avec un effroi mêlé de plaisir curieux la production pléthorique nippone qui évidemment ne s’arrêtait pas aux trois noms déjà cités. Me faisant spécialiste de la chose, j’ai pu mettre la main sur des pépites comme ANTHEM, EARTHSHAKER, SHOW-YA, ACTION !, et beaucoup d’autres, mais surtout me faire les dents sur l’un des groupes les plus étranges du Japon, et par extension du monde entier, DOOM. Ne pas confondre avec les amateurs de Crust et de Grind bien connus de la scène anglaise, puisque si ces DOOM là ne crachaient pas sur un brin de brutalité, leur originalité n’aurait pas supporté de se voir bridée par un appétit de blasts crus. Non, ces DOOM là étaient uniques en leur genre, et semblaient surgir d’une pièce de théâtre japonaise jouée live par des musiciens de Jazz soudainement convertis aux joies du psychédélisme Thrash et du progressif cubiste. Dans les faits, ce trio ressemblait à s’y méprendre à un mélange de Dali et Manet, la description d’une scène champêtre en version désorganisée et réorganisée à l’envers, et surtout, plus prosaïquement, le seul combo capable de rivaliser avec le culot des canadiens de VOÏVOD. Et justement, les deux groupes ont opéré leur grand virage la même année, VOÏVOD précédant les japonais de quelques mois. Mais ne vous y trompez pas. Tout comme SIEGES EVEN et WATCHTOWER peuvent tous deux prétendre au trône de rois du Techno-Thrash Jazz extrême, DOOM et VOÏVOD peuvent se targuer d’avoir inventé le Thrash avant-gardiste et psychédélique.
Fondé en 1985 à Tokyo par deux anciens membres de ZADKIEL, le batteur Jouichi "Joe" Hirokawa et le bassiste Koh "Pirarucu" Morota, DOOM ne tarda pas à devenir l’une des attractions les plus folles du Japon, sitôt le guitariste/chanteur Takashi "Taka" Fujita ajouté au duo. Il ne faudra d’ailleurs que deux ans au groupe pour publier son premier pamphlet, le déjà très bizarre No More Pain, publié sur Explosion Records en 1987. Une fois la déflagration assumée, le trio attira l’attention du label national Invitation, qui en profita pour lâcher sur le marché le EP Killing Field. Et c’est la même année que tout s’accéléra pour le combo, lorsque Complicated Mind fut offert en pâture aux fans d’un Thrash débridé. Rarement album aura autant mérité son titre, et si depuis ce second long est passé à la postérité des albums de Techno-Thrash les plus pointus de la création, il n’y a aucun mystère : il est même sans doute le plus barré de la création, mais aussi l’un des plus difficiles à trouver à des tarifs raisonnables. Et pour cause, il n’est jamais sorti en dehors du Japon, la seule réédition disponible étant nationale, par le label Victor en 2007. Préparez donc vos deniers si l’envie d’en acquérir une copie vous gratouillait le porte-monnaie, mais vous pouvez tout autant en apprécier les effets en l’écoutant sur la toile : personne ne vous en voudra tellement l’œuvre et riche, et donc digne d’être partagée à grande échelle. Trente-deux ans après sa sortie, cet album est toujours aussi difficile d’approche et ses intentions ineffables. On ne sait si les musiciens souhaitaient jouer avec les frontières du Thrash, définir un nouveau genre, ou s’extirper d’un ancien. Tout comme l’écart entre Killing Technology et Dimension Hatröss était gigantesque, la distance séparant No More Pain de Complicated Mind était digne de la muraille de Chine. Certes, les prémices étaient là, mais encore à l’état larvaire, et une seule année fut suffisante à transformer les chrysalides en papillons magnifiques, aux couleurs étranges, et au plan de vol erratique. En mixant le Metal, le Progressif, le Jazz, le Rock, et tout ce qui leur tombait sous la main, les japonais ont créé une mixture unique, étrange aux oreilles, mais immensément précieuse. Ils y sont parvenus en ne se disant pas qu’ils n’en étaient pas capables, et tout simplement en jouant ce qui leur passait par la tête. Et avec un niveau technique d’exception (je les compare souvent à des PRIMUS du soleil levant), une originalité constante n’occultant pas la logique, un culot que peu de musiciens osaient à l’époque, trop empêtrés dans les obligations contractuelles de genre, et des instincts un peu roublards sur les bords, DOOM parvint à redéfinir le Metal des années 80, et lui offrir les ouvertures nineties dont il allait bientôt avoir besoin. L’invention de la Fusion ? En quelque sorte oui, mais surtout, d’une musique si fertile que personne n’a encore vraiment compris ses effets.
Avec « Complicated Mind », le trio mettait les choses au point. Entame musclée, au riff franc et digne de la Bay-Area, les japonais jouaient la prudence, et tentaient d’accrocher l’oreille sans trop choquer. Mais une fois le couplet facile d’approche passé, il fallait se rendre à l’évidence d’un refrain discordant, répétitif, hypnotique, et symptomatique de VOÏVOD. On remarquait immédiatement le chant étrange de Takashi "Taka" Fujita, qui ressemblait comme deux gouttes d’eau à celui de Snake en version nippone, avec ce charmant accent sino-américain qui pouvait faire sourire. Mais on remarquait aussi rapidement le niveau hallucinant du bassiste Koh "Pirarucu" Morota dont les boucles persistantes laissaient déjà présager des débordements de Les Claypool, déjà passé par la case Thrash de son côté. Avec un solo hystérique posé sur un break Rock n’Roll, le groupe fuyait les standards Thrash en vigueur, se souvenait des débuts du Speed, de la rudesse du Hardcore, et nous perturbait en six minutes. A peine empêtré dans l’album, impossible de s’en sortir : un mélange de fascination et d’effarement vous poussait à aller plus loin, spécialement après avoir découvert la rythmique funky de « Fall, Rise and... », encore une fois dominé par le chant sardonique et cette basse incroyable, dont MORDRED allait se montrer friand par la suite. Produit par le groupe lui-même, enregistré au Starship Studio et mixé au Quantum Sound Studio, Complicated Mind n’avait pas le son d’un album Thrash typique de l’époque, et pour cause : il n’en était pas vraiment un. Il était plutôt la collision des univers d’UZEB, EXODUS, MEKONG DELTA, RED HOT CHILI PEPPERS et VOÏVOD, le tout supervisé par la bienveillance de CORONER et ANACRUSIS. Truffé de pépites nonsensiques (l’intro de « The Boys Dog » est un modèle du genre dont THOUGHT INDUSTRY n’allait pas se remettre), blindé d’idées toutes plus biscornues les unes que les autres (certains passages de « Bright Light » donnent encore le tournis, alors que la structure n’est qu’une rythmique Speed Metal de base), et surtout, un survol des années 80 tout autant qu’une projection dans les années 90. « Slave of Heaven » donnait ainsi un aperçu des modes à venir, avec encore une fois sa basse galopante en arrière-plan et ses riffs à la Piggy/Keith Levene, sans oublier ses breaks complètement incongrus.
« Kingdom of Silkroad » était la minute de gloire de Koh, qui s’amusa beaucoup à jouer sur deux basses différentes. Il s’amusait d’ailleurs encore énormément sur l’intro de « Can't Break My... Without You », tout comme la guitare de Takashi. Les contretemps de Jouichi, déstabilisants et dynamisants à la fois garantissaient à l’ensemble un équilibre instable, et loin des riffs bateau du Thrash et de ses cassures prévisibles, ce morceau faisait la part belle aux instants mélodiques et aux reprises purement Funk-Metal du plus bel effet. Déjà perdu depuis longtemps, le thrasheur reprenait des couleurs à l’écoute du furieux « Painted Face », avant de retomber dans les pommes à l’écoute du surnaturel « Poor Boy Condition ». Structure Jazz, arrangements sortis d’un manga diabolique, performances individuelles hallucinantes, crescendo sans apparente logique mais d’une cohérence incroyable, pour une adaptation des standards psychédéliques des sixties dans un contexte Metal sorti de nulle part. Ne restait plus au final « Nervous Break Down » qu’à mériter son titre, et à proposer la montée en puissance la plus assourdissante de l’album. En traduisant les errances vaudou de CAPTAIN BEEFHEART dans un langage Techno-Rock, les trois japonais réconciliaient l’avant-garde new-yorkaise de SONIC YOUTH et la folie d’un Free Jazz assourdissant, à rendre John Zorn jaloux. Rideau, le spectacle est fini, mais trente-deux ans après on en parle encore.
Il est évident qu’appréhendé en temps et en heure par un public occidental, DOOM aurait rapidement été rangé dans la catégorie des groupes inclassables que seuls une poignée d’iconoclastes étaient à même d’apprécier, et sans doute par snobisme. Ses albums suivants, toujours intéressants, mais jamais au niveau de ce second long ni de son successeur, le brillant Incompetent... , permirent au groupe de continuer sa route jusqu’à l’orée des années 2000, malgré la mort de l’extraordinaire bassiste Koh "Pirarucu" Morota le 7 mai 1999. Depuis, le groupe s’est reformé autour du chanteur/guitariste Takashi "Taka" Fujita, et Still Can't The Dead a vu le jour il y a quatre ans. Mais même aujourd’hui, avec la somme d’informations musicales engrangées en trois ou quatre décennies, Complicated Mind reste une œuvre absconse, indéfinissable, profondément unique, et incroyablement riche, qui se révèle encore au fur et à mesure des écoutes. Mais c’est souvent le cas lorsqu’on a trente ou quarante ans d’avance sur ses suiveurs éventuels. Pourquoi faire simple quand on peut faire très, très compliqué ?
Titres de l’album :
01. Complicated Mind
02. Fall, Rise and...
03. The Boys Dog
04. Bright Light
05. Slave of Heaven
06. Kingdom of Silkroad
07. Can't Break My... Without You
08. Painted Face
09. Poor Boy Condition
10. Nervous Break Down
"...jouer un concert en Arabie Saoudite. Un honneur absolu et un privilège. Les loups du nord apporteront la tempête hivernale à Riyad !"Un véritable honneur absolue de jouer en Arabie Saoudite, la ou les apostas sont condamnés &agra(...)
21/11/2024, 08:46
Quand on se souvient du petit son des années 80... Mais la prod ne fait pas tout, ça reste du pilotage automatique. C'est pas avec un truc pareil que je vais me réconcilier avec eux, et ça fait 20 piges que ça dure.
19/11/2024, 21:57
J'avais pas vu cette chronique. J'étais au soir avec Ulcerate et je n'ai pas du tout regretté...Le lieu : il y a forcément un charme particulier à voir ce genre de concert dans une église, surtout que le bâtimen(...)
15/11/2024, 09:51
Le who's who des tueurs en série. Un plus gros budget pour l'artwork que pour le clip, assurément. (...)
14/11/2024, 09:20
J'imagine que c'est sans Alex Newport, donc, pour moi, zéro intérêt cette reformation.
11/11/2024, 16:15
NAILBOMB ?!?!?!?!Putain de merde !!! !!! !!!J'savais pas qu'ils étaient de nouveau de la partie !!!Du coup, je regarde s'ils font d'autres dates...Ils sont à l'ALCATRAZ où je serai également !Humungus = HEU-RE(...)
11/11/2024, 10:09