Créda Beaducwealm

Wóddréa Mylenstede

Entrons dans le vif du sujet, et lançons le débat. Le Raw Black aka Black lo-fi est-il encore une forme artistique crédible, ou bien ne représente-il que les fantasmes nihilistes adolescents de musiciens en manque de reconnaissance evil, aux compétences musicales si limitées qu’ils doivent se cacher derrière le paravent de l’éthique diabolique ? En tant que chroniqueur, et fan du genre, nous avons souvent eu affaire à des albums ou des démos qui donnaient le sentiment de n’être que des cassettes retrouvées dans un grenier, enregistrées à la radio dans les années 80, et recopiées maladroitement par une petite sœur malicieuse captant de sa chambre les effluves noisy émanant du garage situé une pièce en dessous. Nonobstant l’avis que l’on peut émettre sur le genre, il existe bien, et représente même une partie non négligeable de la production mondiale, et ce, depuis les premiers efforts de DARKTHRONE et ULVER, la vague canadienne bruitiste, et les légions noires françaises. De là, on reconnaît facilement un disque qui se revendique d’une caution élitiste, et il suffit la plupart du temps de regarder sa pochette, ou sa jaquette. Dans le cas des anglais de WODDREA MYLENSTEDE (le moulin du diable, ou le moulin diabolique selon la traduction), le doute ne plane pas plus que quelques secondes. Un graphisme très naïf, une figure centrale gentiment morbide et rappelant les descriptions picturales du moyen-âge, un noir et blanc de photocopieuse, et les certitudes crèvent vite les yeux : nous avons là affaire à un groupe qui ne s’épanche qu’au travers de sonorités maladives, ce que les connaisseurs des deux premières démos du concept confirmeront bien vite. Sans vraiment savoir en quelle année le projet a vu le jour, nous pouvons au moins affirmer que ses premiers cris datent de 2011, et le groupe s’est d’ailleurs montré assez prolifique ses premières années. Trois maquettes consécutives jusqu’en 2013, et évidemment, ce légendaire premier split avec les tarés de BLACK CILICE, indice qui ne faisait que confirmer l’option lo-fi si importante pour l’underground.

Mais lorsque le premier longue durée de ce qui semble être un duo (Gareth Howells - batterie/chant, George Proctor - guitare) heurta le marché en 2016, les critiques fusèrent et les hordes de fans et de détracteurs se manifestèrent avec force insultes et/ou louanges. Il est certain qu’en proposant son premier effort sur un micro-label portugais à cent-trente exemplaire, le tandem anglais savait pertinemment ce qu’il faisait. Créant de fait un objet purement collector, il bâtissait lui-même sa légende, comme tant d’autres groupes évoluant dans le même créneau. Et ce laïus pour en arriver à la question suivante : en tant qu’archétype d’un foutoir sans nom se réclamant d’une démarche artistique, Créda Beaducwealm a-t-il encore une quelconque valeur, et se laisse-t-il écouter sans faire d’effort ? La réponse est évidemment non, et ceux attendant de leur BM qu’il soit structuré, agencé, logique, et mélodique en seront pour leurs frais, et hurleront d’horreur en posant leurs délicats tympans sur cette œuvre. J’aborde le cas de cet album dans la rubrique « from the past », parce que ce disque résume selon moi une démarche assez ancienne aujourd’hui, qui consiste à n’envisager le BM que sous sa forme la plus diabolique et la moins séduisante possible. Pour qui se souvient avoir connu en temps et en heure les premières exactions du MAYHEM de légende, l’écoute de Deathcrush restait un supplice pour les masses extrêmes qui n’avaient pas l’habitude que le Metal revête des atours aussi bruitistes, minimalistes et nihilistes. Trente ans plus tard, et des dizaines d’albums encore plus nauséeux proposés aux fans, la problématique reste la même. Peut-on apprécier un travail qui parfois ne semble même pas en être un, et peut-on accepter que le Black Metal sonne comme une répétition de schizophrènes possédés en proie à leurs démons intérieurs, qui visiblement ont oublié le maniement d’un instrument dans les couloirs de la folie ?

Concrètement, et même en ayant savouré (Ô douce ironie…) les produits estampillés Satan Records, les DARKTHRONE les plus malsains, les démos de groupes du monde entier entièrement tournées vers une cacophonie pas si diabolique que ça, WODDREA MYLENSTEDE reste une énigme dans le paysage brutal mondial, au même titre que PAYSAGE D’HIVER ou BLACK CILICE. Les six morceaux présentés ici n’en sont pas vraiment, et sonnent comme des assemblages de bruits divers, répondant de fait aux exigences de production du BM le plus lo-fi possible. Sans avoir d’indication technique à vous prodiguer, il semblerait que les deux musiciens aient travaillé sur un quatre pistes un peu fatigué, qu’ils aient enregistré leurs idées de façon aléatoire, et qu’ils aient capté les riffs les moins discernables, mais encore trop pour ne pas les cacher sous une épaisse couche de feedback. Bien sûr, nous n’en sommes pas au niveau d’un ABRUTUM improvisant pour accoucher d’une seule piste d’une heure, et le timing de Créda Beaducwealm reste raisonnable de ses quarante minutes. Il arrive même parfois que l’oreille exercée parvienne à identifier l’ombre d’un gimmick ou d’un motif reconnaissable, bien que les deux compères aient fait tout ce qu’ils pouvaient pour rendre la chose impossible. Décomposé en six pistes de durées diverses, avec de courts intermèdes permettant des respirations entre les chapitres les plus développés, ce premier album est une ode à la souffrance la plus absolue, et incarne la quintessence d’une attitude que certains jugeront comme étant la seule acceptable lorsqu’on parle de Black Metal, et que d’autres conchieront comme une escroquerie non-musicale ne méritant que le mépris le plus profond.

Une seule écoute au monstrueux « Léafa Súslbana » suffit à se poser les questions raisonnables d’usage. A quoi tout ceci rime-t-il ? Les « musiciens » ont-ils vraiment composé cette horreur pour l’enregistrer telle quelle par la suite ? Ou bien tout ceci n’est-il qu’une vaste blague sadique destinée à flatter l’ego des maniaques les plus à cheval sur la pseudo-douleur artistique ? Notez ici que je n’apporte aucun jugement dans cette chronique, mais que je me contente de relater des faits que vous pourrez vous-même vérifier. Sur cet album, rien n’est logique, homogène, le chant a sans doute été capté sans micro, les hurlements essayant tant bien que mal de passer au-dessus du volume de l’instrumental, tandis que la saturation globale est poussée à son maximum pour que les rares thèmes existants ne sonnent pas comme tels. D’ailleurs, le groupe ne se pose pas de question, et tente de ridiculiser les SHINING, ABRUPTUM, BURZUM et autres BLACK CILICE avec le terminal « Hygecraeft (Eardgiefu) », qui commence par des hurlements stridents sur fond de downtempo lourd et oppressant. Et lorsque la guitare daigne se manifester, elle n’égrène que quelques notes éparses, sans queue ni tête, et la séance éprouvante de s’étirer sur cinq longues minutes. Que peut-on donc retirer d’un tel exercice, et a-t-il encore une raison d’être ou un fondement quelconque ? Je pose la question, mais en tant que paroxysme d’une philosophie, il permet de mesurer l’écart qui sépare une œuvre formelle et son équivalent maléfique en puzzle d’incohérence. Je vous laisse répondre aux multiples questions que pose encore la scène lo-fi mondiale, mon propre avis étant déjà fait. Mais je salue la performance de ces deux-là qui n’ont décidément aucune limite.

   

Titres de l’album:

01. Hreómóde Blódgéotend

02. Mearrweard Dócincel

03. Léafa Súslbana

04. Werbeámas Haeden Gilda

05. Beadurófan

06. Hygecraeft (Eardgiefu)



par mortne2001 le 24/07/2020 à 15:02
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