Si d’aventure le nom de ce groupe ne vous disait absolument rien, ne remettez pas en cause votre culture Metal, c’est tout à fait normal. Dans le but d’enrichir la rubrique « From the Past » de sorties plus confidentielles que la moyenne et ne pas tomber dans le travers des albums cultes consensuels, je me suis décidé à exhumer une petite pépite complètement oubliée, qui depuis quelques années ressurgit dans les classements des œuvres méconnues, mais qui méritent le détour. Pour l’anecdote « culture générale », sachez que le terme ENTOPHYTE vient de la botanique et désigne un végétal qui se développe dans le tissu même d'une plante vivante. Etrange nom pour un groupe de Thrash venu d’Allemagne, mais là n’est pas le seul détail troublant à propos de cette formation, méchamment éphémère. Fondé en 1989 du côté de Bochum, le groupe a d’abord connu des prémices d’une année sous le nom d’EXURIST avant de se rebaptiser. Mais c’est en 1992 que nous trouvons leur seul témoignage discographique, sous la forme d’un album étrange, sorti de nulle part, au format étonnant pour l’époque. Publié sur un micro-label défunt depuis longtemps, End of Society's Sanity est le type même d’œuvre totalement confidentielle que peu de gens connaissent, et pour cause. Aucune promotion, rayonnement plus que restreint, musique largement datée pour l’époque, maison de disques inconnue, et timing extrêmement resserré. Dans sa première édition, l’album ne proposait que six morceaux pour vingt-neuf minutes de musique, soit un format EP par excellence, mais le plus difficile n’était pas de l’apprécier, mais bien de le trouver. Encore difficile à dénicher de nos jours en édition d’origine, et en tout cas à des prix exorbitants, End of Society's Sanity est de cette catégorie de disques sortis sur le tard et offrant des choses qui ne correspondaient pas à leur époque. Mais en tant que fan absolu de Techno-Thrash, je me devais d’y faire allusion, au regard de la grande qualité et diversité de ses morceaux.
Quatuor (Harry Kortboyer - basse/chant, décédé en 2008, Matt Bauer - batterie/chœurs, Peter Gascoigne - guitare, et Peter Oko - guitare), ENTOPHYTE honorait son Allemagne natale en faisant référence à ses représentants les plus précieux. Facilement comparable à des références comme le DEATHROW de Deception Ignored, le HOLY MOSES de The New Machine, ou le VENDETTA de Brain Damage, End of Society's Sanity louchait aussi méchamment du côté de WATCHTOWER, SIEGES EVEN, ANACRUSIS, et toute autre démonstrateur de technique avancée dans un contexte brutal. Certes, et je ne vais pas mentir, ce premier et unique album n’avait pas l’aura des chefs d’œuvre Life Cycles, Control and Resistance ou Reason. Son principal intérêt réside justement dans sa confidentialité et dans son côté « trésor secret », que l’on partage entre initiés lorsque les coffres les plus faciles d’accès sont déjà vides. J’ai évidemment découvert ce disque sur le tard, bien des années après sa sortie, en désirant étendre mes connaissances sur le sujet. Quelques groupes ont émergé de mes recherches, dont les CALHOUN CONQUER néerlandais, et ces ENTOPHYTE allemands, les deux exemples offrant des possibilités assez intéressantes et des carrières aussi météoriques. Avec sa petite demi-heure au compteur, End of Society's Sanity se devait de frapper très fort et très vite, et c’est pour ça que chacun des morceaux est un bijou à part entière, le quatuor sachant pertinemment que la moindre erreur de jugement leur serait fatal. Dans le fond, ce LP ressemble beaucoup à la période de transition allemande entre le Thrash franc et massif et un Techno-Thrash plus riche et pointu. Il n’a pas l’étrangeté psychédélique du Deception Ignored de DEATHROW, mais il est plus fougueux et précis que le The New Machine de HOLY MOSES. Il pourrait d’ailleurs se situer en convergence de ces deux albums, avec une pointe de WATCHTOWER et un soupçon du LIVING DEATH de Protected From Reality pour corser le tout. Niveau production, les musiciens n’avaient pas à se plaindre, le son global étant largement supérieur à bien des œuvres du cru, laissant les guitares bien tranchantes et la rythmique épaisse, mais claire.
En écoutant les six morceaux de l’album, on se prend à regretter plusieurs choses. D’une, que l’album ne soit pas plus long, évidemment, mais aussi que le groupe n’ait pas pu continuer sa carrière pour proposer des travaux un peu plus personnels et originaux. Malgré le niveau instrumental relativement élevé, on sent que les musiciens s’en cantonnaient alors au Techno-Thrash le plus classique, celui popularisé par la fin des années 80, alors même que dans les années 90 des groupes comme ANACRUSIS ou BELIEVER allaient lui donner ses lettres de noblesse. Pourtant, certaines idées présentes ici donnaient le sentiment que les allemands étaient capables du meilleur, et de plans plus osés, comme en témoigne le break Reggae-Jazz de « Random Victims (Potential Killers) », immédiatement suivi d’une embardée Punk du plus bel effet. Si bien sûr les guitaristes se taillent la part du lion, c’est surtout la patte griffue du batteur Matt Bauer qu’on remarque, son style de jeu rappelant celui de Rick Colaluca de WATCHTOWER. Le percussionniste en collait alors partout, faisant preuve de flair dans ses fills et de solidité dans son arythmie. Les possibilités techniques et créatives du quatuor étaient flagrantes des « End Of Society's Sanity », morceau d’ouverture encore légèrement mainstream dans son attaque, mais déjà symptomatique d’une complexité qui dominait l’album de bout en bout. Son intro légèrement dissonante et rythmique en fusion de VOÏVOD et CORONER était absolument délicieuse, avant que le tempo n’accélère à la façon d’un « Instruments of Random Murder », prouvant que les allemands ne craignaient pas la concurrence la plus relevée. Mais End of Society's Sanity avait ce côté hypnotique et progressif symptomatique des travaux les plus élaborés du genre, et au fur et à mesure de l’écoute, on prenait pleinement conscience du potentiel de la formation. Ainsi, si « Rat Race » en à peine trois minutes et quelques donnait la mesure de la fertilité des plans, tout en appuyant encore sur l’agressivité (au point de ressembler à une sorte de FAITH NO MORE Techno et un peu louche), c’est à partir de « Human Machine World » que la machine se mettait véritablement en branle, allongeant le timing pour imposer des ambiances tamisées étranges et confuses.
Les mélodies se teintaient alors d’une touche de discordance, tandis que les riffs se densifiaient, au point d’évoquer un pendant négatif de RUSH confronté à la rudesse germaine. Mais évidemment, le point d’orgue de cette réalisation restait le long et épique « The War Of Khyr », acmé de la méthode ENTOPHYTE avec sa longue intro en percussions inquiétantes. Rappelant le MEKONG DELTA le plus mystique pendant quelques minutes avant de prendre son envol de classe, ce morceau reste l’un des plus admirables du bréviaire Techno-Thrash, et l’un des plus méconnus aussi, osant de longues minutes instrumentales avant de verser dans le Thrash/Jazz inextricable, et pourtant ébouriffant. La voix d’Harry Kortboyer pouvait évidemment rebuter avec ses inflexions légèrement juvéniles et son timbre médium refusant les envolées lyriques et les cris sourds, mais en dehors de cette remarque somme toute mineure, End of Society's Sanity ne souffrait d’aucun temps mort ni défaut notable. Et après des années d’invisibilité underground, l’album a enfin bénéficié d’une réédition digne de ce nom, via le label chinois Awakening Records, qui en a proposé une version augmentée en 2019, ajoutant un titre au listing d’origine, une nouvelle pochette, et une réhabilitation enfin méritée. Petit bijou oublié par le temps mais pas par les fans, cet unique album/testament reste un témoignage crucial de l’activité Techno-Thrash des années 90, lorsque le genre avait déjà effectué sa mutation.
Titres de l’album :
01. End Of Society's Sanity
02. Rat Race
03. Random Victims (Potential Killers)
04. Human Machine World
05. The War Of Khyr
06. A Day Less Than Zero
07. Imprisoned Souls
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