Il est certain que la perfection n’existe pas. Elle peut éventuellement se comprendre dans le sens de l’application d’un principe, dans le schéma d’un fonctionnement (la plupart du temps totalement naturel d’ailleurs), mais en art, elle reste une notion si subjective que peu préfèrent s’y référer, à raison. L’art en tant qu’expression d’un sentiment n’est pas sujet à la quantification, et même les manuels proposant des échelles de mesure s’y cassent les dents, le formalisme académique s’accordant fort peu du principe d’émotion. Ainsi, certains pensent encore que les œuvres de De Vinci, de Mozart, de Titien, Schubert, Monet, Molière, Shakespeare sont contestables d’un ou plusieurs points de vue, ce qui en dit long sur l’interprétation du terme en lui-même. Toutefois, en acceptant sa subjectivité, et en limitant le chant d’analyse à un créneau bien particulier, l’emploi du terme reprend des proportions raisonnables, et peut s’accepter, à un niveau évidemment très personnel ou rapporté à un petit groupe d’individus partageant les mêmes conceptions. En restreignant notre champ d’action au Rock, certaines œuvres peuvent bénéficier à posteriori d’une certaine complaisance, et mériter ce fameux label de « perfection » si décrié. Ainsi, Pet Sounds, Sgt Pepper, Hotel California, IV (celui de TOTO), Boston, Aja, Kind of Blue, et pas mal d’autres références se sont vues au travers des années propulsées au grade majeur d’œuvres séminales, référentielles, et osons le terme, exemptes de tout défaut. A un niveau plus modeste, et pour revenir dans le giron d’un Hard-Rock qui nous concerne plus directement, In Rock, Rocks, IV (celui de LED ZEP cette fois), Powerslave, Reign In Blood, Master of Puppets font partie des albums jugés inattaquables, parce que d’une qualité indiscutable, et pierres angulaires d’un genre qui depuis, n’a eu de cesse de s’y comparer. Dans le créneau du Hard-FM et du Hard-Rock mélodique, un consensus s’établit autour de Slippery When Wet (BON JOVI), Honeymoon Suite (HONEYMOON SUITE), Escape (JOURNEY), et bien évidemment Hysteria (DEF LEPPARD) qui représentent peu ou prou la quintessence de cette optique combinant la force du Rock et la souplesse harmonique de la Pop. Et si ces exemples servent de pierres de rosette des années 80, d’autres, publiés plus tard peuvent prétendre à une place égale sur le piédestal, dont le second album des canadiens de HAREM SCAREM, Mood Swings.
Ce long préambule comme vous l’imaginez à un but précis dans le cadre de cette chronique. Décerner à cet album le titre « d’album parfait », dans toute sa subjectivité, et au regard de l’amour que nous, fans, pouvons lui porter. Pour autant, les fans les plus hardcore des canadiens ne s’entendent pas eux-mêmes sur l’œuvre à pointer du doigt au moment de juger de l’acmé d’une longue carrière jonchée de moments de bravoure. Beaucoup considèrent le premier et excellent éponyme comme le pic d’un parcours à peine entamé, d’autres ne jurent que par Weight of the World, le retour en grâce des années 2000, et certains estiment que le plus moderne et symptomatiquement nineties Voice of Reason bat le haut du pavé. Je peux les comprendre et accepter leur choix, pour la simple et bonne raison qu’à l’instar de certains autres artistes, HAREM SCAREM n’a eu de cesse de se remettre en question pour ne pas rester sur ses acquis et continuer à enrichir un répertoire qui a fait d’eux depuis la fin des années 80…le plus grand groupe de Hard mélodique de l’histoire. Le mot est lâché, l’expression osée, et pourtant, rien n’est plus vrai et objectif que cette assertion, à l’heure où les plus grands représentants du genre n’ont fait que répéter des recettes usées jusqu’à la corde, se contentant d’une facilité technique pour enregistrer des albums dispensables et similaires à leurs grandes œuvres. Mais replaçons les choses dans le contexte. En 1987, le groupe est formé par deux musiciens d’exception, le guitariste prodigue Pete Lesperance et le chanteur d’exception Harry Hess, qui avaient déjà joué dans le groupe Heavy BLIND VENGEANCE. Après quelques années de rodage et un line-up complété du batteur Darren Smith et du bassiste Mike Gionet, le groupe enregistre sa première démo qui lui permet de se faire connaître sur la scène canadienne, avant d’enfin passer l’étape du premier longue-durée avec le très mélodique Harem Scarem, caractéristique des sonorités FM américaines de la décennie précédente. Ce premier long leur permettra de se faire un nom et de classer des singles dans les charts, mais déjà, le duo pivot sent que son destin l’emmènera plus loin qu’un simple coup d’éclat tardif. Les sonorités vont se durcir, le style va évoluer, et le tandem Hess/Lesperance commence déjà à envisager l’avenir sous des auspices pluriels, dont le chef d’œuvre Mood Swings sera le premier signe, et le plus probant de tous.
En deux ans seulement, le glissement est palpable en quelques secondes d’écoute. Bien que satisfaits de leur premier album, les canadiens souhaitent s’orienter vers quelque chose de plus incisif, et échapper à l’étiquette un peu restrictive et péjorative de groupe FM dont les anciens fans se méfient alors comme de la peste. Enregistré aux Cabin Fever studios, et produit par Kevin Doyle, Harry Hess et Pete Lesperance, Mood Swings propose un son beaucoup plus âpre et dur que son aîné, ce qu’on comprend dès l’ouverture tonitruante de « Saviors Never Cry ». Le riff d’intro de Pete est resté dans toutes les mémoires avec cette syncope passée à la postérité débouchant sur une osmose énorme entre les quatre musiciens. En moins de trente secondes, le ton est donné, et le HAREM SCAREM cuvée 1993 sera bien plus agressif que celui de 91, sans perdre de ses qualités mélodiques intrinsèques qu’on retrouve sur un premier refrain fédérateur. Contrairement à beaucoup d‘autres groupes du cru, les canadiens ne se contentaient pas d’un couplet facile mettant en relief un refrain enjôleur, mais travaillaient la moindre partie, le moindre détail pour rendre la globalité d’une chanson imperfectible. Déjà remarqué en tant que guitariste d’exception, Lesperance va lâcher les lions sur cet album, épaississant son jeu en rythmique pour encore plus affiner ses soli, d’une précision redoutable. Mais au-delà de cette perfection de jeu et d’arrangements, c’est la versatilité de cet album qui choquait, sans remettre en cause la cohésion d’ensemble, elle aussi redoutable. On sentait que les musiciens étaient à l’aise avec cette nouvelle approche, plus musclée, qui ne les empêchait pas d’assumer leur côté romantique sans trahir cette rudesse de ton. Mais le Heavy était alors à l’honneur, et impossible d’enchaîner avec un titre moins puissant. C’est alors que « No Justice » se mit à résonner de son énorme riff ample et multiple, avec sifflantes, harmoniques, déliés, avant de laisser la place à un delay souple dans la plus grande tradition de BRIGHTON ROCK et DEF LEPPARD. En parlant de DEF LEPPARD justement, celui de Hysteria n’aurait pas hésité une seconde à inclure le monumental « Stranger Than Love » à son tracklisting, l’approche délicate des canadiens s’accordant très bien des aspirations QUEEN et radiophoniques des anglais.
Ce qui ne les empêchait guère d’introduire avec beaucoup de flair le cadencé et rugueux « Change Comes Around », à la longue intro progressive menant sur un couplet rageur et fumeux. Une fois encore, la voix d’Harry, la magie des chœurs, le talent de Pete, et l’assise d’un pivot rythmique solide permettaient aux canadiens de faire à peu près tout ce qu’ils voulaient, et en quatre morceaux, le bilan tombait, incontestable : Mood Swings était déjà l’achèvement d’un groupe parvenu à maturation. Et pourtant, l’album n’en était pas encore à sa moitié, ce qui aurait pu laisser craindre une baisse de régime somme toute assez légitime après un tel départ. Mais une fois encore, la guitare magique de Pete triturait un riff Heavy pour le faire sonner bluesy et funky, et nous offrir la délicatesse du très EXTREME « Jealousy ». Pur produit d’eighties flamboyantes, « Sentimental Blvd. » était le quart d’heure de gloire de Darren Smith qui s’offrait un lead vocal sur ce hit encore une fois digne du meilleur DEF LEP. Variant les ambiances, multipliant les approches, le groupe définissait les standards d’un album de Heavy mélodique digne de ce nom, et s’enfonçait encore plus dans la perfection en agitant sa musculature sans plastronner via le trépidant et syncopé « Empty Promises », aussi DAN REED que KING’S X. La fin de l’album approchant à grand pas, il était largement temps d’appuyer sur la corde sensible, et de lâcher ces fameuses ballades dont le groupe allait se faire le dépositaire unique, et « If There Was A Time » de se rapprocher encore une fois d’Hysteria et New Jersey sans en singer les tics les plus symptomatiques. Le quatuor tenta même le saut périlleux du morceau a cappella sans se prendre les pieds dans le filet, nous caressant d’un « Just Like I Planned » qui de son titre semblait dire que tout se passait comme prévu. « Had Enough » en clôture laissait Pete jouer les Van Halen/Bettencourt pour le plus grand plaisir des amateurs de guitare rugissante et prolixe, offrant à Mood Swings l’épilogue explosif dont il avait impérativement besoin pour tutoyer le sans-faute.
De là, nous revenons en conclusion à cette notion de perfection si subjective. En prenant appui sur la discographie seule du groupe, il est évident que Mood Swings l’incarne au regard de la suite des évènements, assez erratiques. Plus en aval dans les nineties, le groupe cèdera au modernisme, enregistrant des albums se voulant le reflet de leur époque, avant de raccrocher les gants. On peut apprécier à des niveaux différents Rubber, Karma Cleansing, ou Big Bang Theory, mais les fans les plus endurcis préfèrent se souvenir de la première fin de carrière du groupe, et des œuvres plus consensuelles comme Weight of the World ou Higher. Je n’ai moi-même jamais lâché le groupe, ni même les musiciens (qui ont produit chacun de leur côté des LPs de haute tenue), accepté tous leurs changements de cap, et me réjouis encore de pouvoir chroniquer un nouvel album des canadiens comme je l’ai fait cette année avec l’excellent Change the World. Mais quelque chose me poussera toujours à retourner vers cette année 1993, qui, assez morne en termes de Heavy mélodique classique nous avait offert le plus beaux des cadeaux, et l’album le plus subjectivement parfait, objectivement parlant. Et aujourd’hui, il n’est pas subjectif de dire que HAREM SCAREM restera à jamais le plus grand groupe de Hard mélodique de tous les temps, l’histoire ayant rendu son verdict depuis très longtemps.
Titres de l’album :
01. Saviors Never Cry
02. No Justice
03. Stranger Than Love
04. Change Comes Around
05. Jealousy
06. Sentimental Blvd.
07. Mandy
08. Empty Promises
09. If There Was A Time
10. Just Like I Planned
11. Had Enough
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