Après avoir écrit un livre incontournable sur SUP et mis par écrit son podcast radio (Metal Bunker), Jérémie revient sur les débuts de la riche et culte scène Death/Thrash français. Il est aidé dans cette tâche par Sam GUILLERAND (BLACK ZOMBIE PROCESSION).
Pour en apprendre plus sur ce pavé indispensable, laissons lui la parole...
01 - Hello Jérémie ! Tu n'y couperas pas mais tu vas devoir, pour ceux qui ne te
connaisse pas encore, te présenter.
Hello. Moi, c'est Jérémie Grima. Je suis l'auteur de deux livres sur le Metal : Trace Ecrite, publié en 2013 chez Camion Blanc, qui est une biographie du groupe SUP / Supuration ; et Metal Bunker, une anthologie de 90 disques choisis et commentés par 30 acteurs de la scène Metal Française. Ce dernier est sorti en 2015 chez Kicking Books et Zone 52 Editions. Parallèlement à cela, je suis le leader du groupe de rock progressif atmosphérique The Black Noodle Project, dont le sixième album, Divided We Fall, est sorti en décembre 2017. Je co-anime une émission mensuelle de radio, Zone 52 l'Emission, qui traite de culture pop au sens large (ciné, séries, musique, livres et jeux vidéos), et suis à l'origine du fanzine Zone 52 qui aborde le même concept. Je gère également, avec mon épouse, Zone 52 Editions, une structure destinée à publier des ouvrages divers et variés. De quoi donc avoir des journées bien chargées en plus de mon métier de professeur des écoles.
02 - Qui a eu l'idée de se lancer dans une telle entreprise ?
C'est Sam qui m'a branché sur ce projet. Nous nous connaissions depuis une dizaine d'années (pour la petite histoire, nous nous étions rencontrés par l'intermédiaire d'un ami commun au festival de Gerardmer en 2006, et avions sympathisé suite à la projection de la reprise du chef d'œuvre de Mary Lambert : Pet Semetary - Simetierre en VF). Ayant beaucoup de goûts en commun, notamment concernant le cinéma de genre (plutôt orienté horreur / séries B et Z), les comic books (avec un attachement commun pour le personnage du Punisher), les romans de Stephen King et bien sûr, la musique, nous avons été amenés à collaborer très souvent dans les projets de l'un et de l'autre. J'ai ainsi, entre autres, écrit quelques articles tout d'abord sur son site Everyday is Like Sunday, puis dans ses fanzines du même nom, participé à un ou deux épisodes de son podcast Now It's Dark ; et il est de son côté intervenu dans tous mes livres, et a écrit également dans Zone 52. Bref, au delà des nos passions communes, nous avons une vision sinon similaire, tout du moins complémentaire de la musique underground. Nous sommes l'un et l'autre attachés à une vision "pure" de ce mode de divertissement, dans laquelle les groupes jouent avec ce qu'ils ont sous la main, et surtout avec toutes leurs tripes, sans se soucier en priorité de l'image qu'ils renvoient ou de la mode sur laquelle ils surfent. Nous avons une tendresse particulière pour ces gens qui, comme les blues men des années 30, se promènent de ville en ville à bord leur van pour jouer chaque soir un show comme si c'était le dernier, et se foutant que le public soit composé de quatre péquins alcoolisés ou de six-mille metalheads venus dépenser leur salaire dans un festival trendy. C'est pourquoi cette idée d'écrire tous les deux un livre sur la scène Thrash Death a sonné comme une évidence lorsqu'il me l'a proposé. Cette scène représente, du moins en surface - on verra dans le livre que ce propos peut être nuancé - un summum de "l'aventure désintéressée". Pendant une grosse dizaine d'année, une bande de gars - et quelques rares filles - ont œuvré pour repousser les limites de la violence musicale dans ses ultimes retranchements, en construisant une scène de bric et de broc, dans laquelle le bricolage était la norme. Mais tous avaient ce feu sacré qui leur faisait passer le plus clair de leur temps enfermés dans un local (souvent le garage de l'oncle ou la grange de la grand-mère) à accoucher de riffs plus agressifs les uns que les autres, dans l'unique but de foutre un beau bordel dans un paysage musical trop fade à leur goût. Certains groupes ont percé (Loudblast, Massacra, Agressor, No Return...) et se sont même parfois professionnalisés, d'autres ont eu une reconnaissance confidentielle... et d'autres sont enfin tombés dans l'oubli. Il nous paraissait donc pertinent et très intéressant de retracer leur histoire et surtout... de leur rendre l'hommage qu'ils méritent.
03 - Et pour le choix des groupes ? Cela a dû être une sacrée sélection !
Tu peux le dire. Mais avant toute chose, il faut savoir qu'on ne trouve pas que des groupes dans Enjoy The Violence. La scène Thrash Death était composée de groupes, bien sûr, mais elle vivait également par le biais de fanzineux qui ont publié des dizaines de fanzines qui ont été la clef de voute de la scène entre le milieu des années 80 et le début des années 90. En complément du tape trading, les fanzines créaient un des liens indispensables qui existaient entre la musique et le public. C'est dans leurs pages qu'on trouvaient des formations obscures dont personne n'avait jamais entendu parler, et qu'on se dépêchait de contacter pour se procurer la dernière cassette de démo. Le fanzine - mode de communication malheureusement tombé en désuétude avec l'arrivée d'internet - se devait d'être représenté dans notre livre par l'intermédiaire de ceux qui le faisaient vivre. Nous avons donc interviewé un certain nombre de ces "guerriers de l'ombre". Nous avons également laissé une bonne place aux illustrateurs, qui ont donné à ce mouvement musical étrange une identité visuelle, des codes graphiques qui continuent de nous hanter aujourd'hui Nous avons également donné la parole à des label managers, qui, avec les quelques sous qu'ils avaient en poche, montaient des petites structures grâce auxquelles tu pouvais te procurer un vrai album en support vinyle, enregistré en studio, d'un groupe qu'aucun autre label indépendant n'aurait voulu. Bref, nous avons donné la parole aux activistes de la scène, et pas seulement aux musiciens. Et j'insiste sur "donner la parole" : Enjoy The Violence est écrit sur le mode de l’histoire orale. Nous nous sommes effacés derrière les intervenants. Ce sont eux qui parlent, pas nous. Quant à savoir si la sélection a été ardue... oui et non. La liste a été entamée le lendemain de la proposition de Sam, et a gonflé de manière exponentielle dès les premiers jours. D'un contact à l'autre, les noms de groupes et de personnes impliquées dans la scène se sont mis à pleuvoir, du plus évident au plus obscur. Le plus dur a été de dire "stop" à un moment.
04 - A-t-il été facile de contacter les groupes ?
Oui, cela a été relativement facile. Sam et moi avions déjà pas mal de contacts dans cette scène. Et un contact en amenant un autre, comme je te le disais, la toile s'est tissée d'elle-même. La grande différence entre l’époque que l'on traite dans le livre et aujourd'hui, c'est que 99% de la population mondiale est traçable en deux clics de souris - pour le meilleur et parfois pour le pire. Cela a donc été assez simple de "mettre la main" sur les gens que nous voulions voir apparaitre dans notre bouquin. Nous avons galéré pour les 1% qui ne sont pas connectés au monde moderne, mais comme nous savons également nous servir d'un stylo BIC et d'une feuille de papier, nous avons pu arriver à nos fins.
05 - D'ailleurs tous les groupes contactés ont-ils répondu présents ?
Oui, à 95%. En fait, nous avons tous les cas de figure imaginables. Certaines personnes nous ont fait part d'un enthousiasme dingue d'entrée de jeu, nous envoyant des tonnes de documents d'époque, de photos, de cassettes, et en nous donnant des interviews qui auraient pu remplir la moitié du livre à elles-seules. D'autres ont été plus taiseux, et il a fallu gratter un peu la surface pour réussir à leur tirer une ou deux anecdotes. D'autres se sont montrés chauds bouillants de prime abord... puis ont mystérieusement disparu de la circulation quelques semaines plus tard. D'autres sont au contraire arrivés de nulle part en nous racontant des histoires incroyables sur des groupes dont nous ne soupçonnions même pas l'existence.
06 - Et comment le projet a-t-il été accueilli chez les groupes interviewés ?
Comme je te le disais, à part un ou deux récalcitrants - pour des raisons qui n'appartiennent qu'à eux et que nous respectons - tout le monde a été super partant pour "faire vivre" le livre. Et nous les en remercions. En fait, nous avons senti chez les différents intervenants, plus qu'une envie, un réel besoin de parler de cette époque qui les a marqués au fer rouge. Tous ont vécu une aventure hors du commun qui les a façonnés. Et comment aurait-il pu en être autrement ? Qu'y a-t-il de mieux, lorsque tu es un ado à peine pubère, que d'enfiler une sangle de guitare, monter un groupe avec tes potes, et jouer la musique la plus outrancière et la plus violente qui ait jamais existé ? En plus de cette satisfaction purement musicale, beaucoup de ces groupes, et de ces activistes, ont pu faire partie d'un réseau de passionnés qui vivaient littéralement le Metal extrême, et ainsi créer des connexions très fortes avec des misfits du même acabit qu'eux. Parmi toutes les personnes que nous avons rencontrées et interviewées, pas une seule n'a jeté un
regard froid sur cette période de sa vie. Tous ont vécu un moment charnière de leur existence, et celui-ci a pour tous eu une résonance sur toute leur vie d'adulte.
07 - A partir du moment où vous avez eu l'idée du livre et maintenant, il s'est
passé combien de temps ?
Trop longtemps (rires). Au moment où nous nous sommes mis au travail, nous pensions boucler ce projet en un an et demi... deux ans maximum. Le fait est que cela fait aujourd'hui quatre ans que Sam et moi bossons sur ce livre... et en voyons enfin le bout. Ce laps de temps s'explique par la considérable somme de travail qu'il nous a fallu abattre. Outre le nombre dantesque d'interviews que nous avons menées (70 intervenants), il nous a fallu réunir toute l'iconographie que tu trouveras dans le livre. Et nous n'y sommes pas allés de main morte concernant ce dernier point. Il nous était impensable de ne pas blinder le livre de photos, de pochettes de démos, de flyers, d'affiches de l'époque. En effet, la scène Thrash Death était aussi une affaire d'images (avec un S et au sens propre, pas celle que tu essaies de renvoyer pour plaire à qui que ce soit). Têtes de mort, cadavres putréfiés, croix renversées, Grands Anciens Cthuliesques, bécanes chevauchées par des zombies chevelus, logos pointus dessinés au stylo plume... ce courant musical véhiculait une imagerie forte et unique, puissante malgré son mauvais goût apparent. Et il était plus que logique que notre livre en soit le réceptacle. Nous saluons d'ailleurs au passage le travail de titan qu'a accompli Matthieu Nedey pour mettre en page ces centaines et centaines de documents. Tout cela a donc pris du temps, sachant que nous ne sommes pas des écrivains professionnels - j'entends par là que nous ne percevons pas de salaire pour écrire et qu'il nous faut bien remplir le frigo par ailleurs.
08 - Comment vous êtes vous répartis la tâche, sachant que vous n'habitez pas l'un à côté de l'autre ?
Il y a eu plusieurs phases dans notre travail. Concernant celle des interviews à proprement parler, nous avons essayé de les mener à deux le plus souvent possible. Nous avons régulièrement fait des allers-retours entre Besançon (où habite Sam) et la région parisienne où je suis, et partions de là pour aller trouver telle ou telle personne. Aujourd'hui, avec le TGV et les auto-radios pour passer le temps sur l'autoroute, cela se fait sans trop de problèmes. Ensuite, nous nous sommes répartis l'épluchage de ces heures d'enregistrement (et de ces pages de texte lorsque les interviews ont été faites par écrit), et les avons traitées chacun de notre côté, en faisant valider et modifier par l'autre nos travaux par le biais de milliers d'e-mails. Encore une fois, c'est la magie d'internet, qui peut donc servir à autre chose qu'à regarder des vidéos de demeurés qui jouent les parties batterie d'"Enter Sandman" avec des godemichés. Sam a eu un rôle prépondérant pendant cette phase car il a pris en charge un bon nombre de textes. Bref, tout cela s'est fait naturellement et a plutôt bien fonctionné, même si ça a été plus long que prévu. En fait, le plus difficile a été de garder la flamme. Quand tu bosses quatre ans sur un même projet, tu as parfois l'impression, plus que de n'en pas voir le bout, de "perdre" un peu de vue tes objectifs initiaux et de te noyer dans ce que tu voulais raconter à l'origine. Là encore, le fait de travailler à deux a fait que nous avons su nous recadrer quand il le fallait.
09 - Au niveau de l'édition et de la distribution, comment ça se passe ?
Nous devions sortir ce livre chez Camion Blanc - le contrat était même prêt à être signé - mais nous avons finalement opté pour une solution qui consiste à tout faire par nous-mêmes. Sam et moi sommes tous deux habitués à fonctionner de la sorte et c'est un mode de production qui nous convient parfaitement. C'est donc par le biais de ma structure, Zone 52 Editions, que sortira Enjoy The Violence. Cela nous laisse la main libre sur la mise en page, la manière de présenter le livre, de le distribuer et donc de mener ce projet de A jusqu'à Z. Pour être sincère, écrire un livre pour moi ne se limite pas à taper du texte et à s'en débarrasser auprès d'un tiers. J'aime "faire" des livres, et cela implique de les imaginer, puis de les rédiger, de les mettre en page, puis de les porter auprès des lecteurs. Toutes les parties sont intéressantes et enrichissantes, et apprennent de nouvelles choses à chaque nouveau projet.
10 - Quelles sont tes attentes concernant la vie de cette future Bible ?
Ma seule attente est d'être fier de ce travail et d'avoir l'esprit libre pour enchainer sur un futur projet. J'espère néanmoins qu'il plaira à ceux qui ont connu et vécu cette période fascinante de l'Histoire de la musique et qu'il leur permettra de se remémorer de bons souvenirs, et de les partager pourquoi pas avec leurs proches et leurs amis. J'espère également qu'il intéressera les nouvelles générations - celles qui halllucinent que quand tu avais leur âge, internet n'existait pas. Ce livre leur montrera peut-être qu'avant que la scène Metal ne soit tombée dans le domaine public de la pop culture, elle n'était qu'un microcosme composé de fous furieux prêts à tout pour dévisser les oreilles de leurs prochains, quitte à écrire 100 lettres manuscrites par jour pour promouvoir son groupe, à rédiger des fanzines à l'aide de machines à écrire rouillées, ou à jouer dans des bars-tabac-PMU les mercredis après-midis au fin fond de la Dordogne.
11 - Jérémie, je te laisse conclure cette interview.
Merci à toi et n'oublie pas : ENJOY THE VIOLENCE !!!
Quand on se souvient du petit son des années 80... Mais la prod ne fait pas tout, ça reste du pilotage automatique. C'est pas avec un truc pareil que je vais me réconcilier avec eux, et ça fait 20 piges que ça dure.
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