Le Thrash a connu une trajectoire assez intéressante. Né comme un outsider bâtard et bruyant dans les années 80, cantonné à des labels spécialisés et à une presse underground, il est rapidement devenu une marchandise commerciale très fructueuse. En effet, comment aurions-nous pu imaginer en 1983/1984 que SLAYER vendrait plusieurs centaines de milliers de copie d’un de ses albums, ou que des groupes comme MEGADETH et ANTHRAX finiraient sur des majors ?
Le genre a donc connu une trajectoire ascendante assez rapide pour un genre aussi hermétique, devenant l’un des sous-styles les plus prolifiques de la décennie 80. Les groupes se sont mis à pousser partout comme des champignons atomiques, générant une offre bien plus forte que la demande. D’autant que la plupart de ces sorties étaient anecdotiques, voire franchement mauvaises, se contentant de reprendre des formules déjà caduques à l’époque de Master of Puppets et Peace Sells.
Et puis, un beau jour, bébé se laisse couler avec l’eau tiède d’un bain aux eaux usées. Alors que l’année 1991 laissait passer les derniers monstres des charts, les nineties se sont avérées meurtrières envers le genre, qui a dû retomber ans l’oubli, redevenir anonyme, et rester finalement cet outcast qu’il aurait toujours dû être.
De là, plusieurs options se présentaient pour les musiciens. S’adapter ou mourir, transformer la brutalité en accessibilité Heavy, et se tourner vers une musique plus ouverte, à l’instar de MEGADETH, TESTAMENT, ANNIHILATOR, ou OVERKILL, plaçant les mélodies en avant et ralentissant le rythme au maximum. De l’autre côté du Rhin, KREATOR commença à tâter de l’Indus, laissant SODOM et TANKARD défendre les couleurs de l’Allemagne.
Se réinventer pour embrasser les désirs de la décennie, et laisser les vieux réflexes au placard. Ainsi naquit le Groove Metal, genre popularisé par PANTERA, mais rapidement adopté par d’autres, comme SEPULTURA, CHANNEL ZERO ou même ANTHRAX.
Ou bien…continuer sur la lancée, au risque de se voir cantonné au rôle de figurant passéiste, à peine plus violent qu’un pétard de 14 juillet explosant le 15 août.
Néanmoins, les nineties ne sonnèrent nullement le glas du genre. Bien au contraire, puisque replongé dans les abysses de l’underground, les groupes se mirent à devenir plus exigeants, plus techniques, et si la génération 90’s préférait de loin les styles façonnés pour leur plaire, comme le Nu-Metal, le Metal Symphonique, le Black Metal ou encore la Fusion, certains de ces jeunes fans redécouvraient une approche née dans la première partie des années 80, et qui visiblement, avait encore des choses à brailler.
Ainsi, ce recensement d’albums méconnus respecte la charte adoptée à l’occasion du premier volet. Veuillez donc vous y reporter pour en comprendre le contenu, et découvrez ou redécouvrez des disques passés à la trappe du succès, complètent ignorés, ou publiés à compte d’auteur très fauché. Inutile donc de vous attendre à lire des laïus honorant les FORBIDDEN, VIO-LENCE, KREATOR ou FEAR OF GOD, le but étant de vous présenter des œuvres restées dans l’ombre, dont certaines ont été réhabilitées par le temps.
Je vous souhaite donc un voyage brutal, et la possibilité de rattraper le temps perdu. Une madeleine de Proust comme une autre…
1 - ACID STORM – Biotronic Genesis
Première entrée dans ce top, et déjà, une ritournelle classique : un premier album, et puis s’en va. C’est le destin de nombreux groupes de cette liste, qui n’eurent guère le temps de marquer les esprits, laissant derrière eux d’énormes espoirs gâchés et des attentes insatisfaites. Durant les années 80, le Brésil avait crânement joué sa carte, mettant en danger la suprématie américano-allemande, en laissant ses musiciens les plus vicieux concocter la recette d’un Thrash/Black bestial, rudimentaire, et salement blasphématoire. De nombreux groupes signés sur Cogumelo acquirent une réputation honorable, et il n’y avait aucune raison que les nineties remettent en jeu cette domination extrême.
Mais les nineties, tout le monde le sait, furent capricieuses, et cruelles avec nos héros d’antan. Exit les permanentes, au-revoir les rythmiques franches et les riffs mosh, et bonjour le spleen et le désespoir. Mais avant de plonger dans les abysses du uncool si bien décrit par nos chers Beavis et Butthead, le Metal savoura une dernière grande année, 1991 étant encore placé sous le signe de la décennie précédente.
Tout ça pour en arriver là, au moment même où les ACID STORM ont débarqué sur le marché avec un disque assez particulier, très éloigné des préoccupations habituelles de la horde cloutée lusophone, et à deux doigts de pouvoir prétendre figurer dans les encyclopédies référentielles du Techno-Thrash.
Formé en 1986 sous le nom d’EXTERMINATOR, ACID STORM a changé pavillon après trois ans de carrière, avant de publier son premier EP Why?... Dirty War en 1989. Recommandable mais encore un peu timide, ce premier EP faisait montre de qualités indiscutables, mais Biotronic Genesis propulsait le quintet deux crans ou trois au-dessus, et étalait des arguments probants. Dans la lignée d’un TARGET flirtant avec OVERKILL, Biotronic Genesis jouait ouvertement la carte de la syncope précieuse et des mélodies fameuses, et se rapprochait d’une version béta de TOXIK, voire d’une digression agressive sur le When Dream and Day Unite de DREAM THEATER.
Beaucoup de riffs, des déviations fréquentes, un chanteur versatile et une paire de guitaristes plus que capables, ce premier album était bien l’achèvement que l’on attendit des brésiliens. Un peu hors du temps, un peu hors des schémas, il replaçait le Techno-Thrash dans son contexte, et refusait le moindre compromis Groove. Et en découvrant le monstre « Galactic Holocaust », on ne pouvait que s’incliner face à tant de brio et de dextérité, sans que l’énergie Thrash ne soit diluée pour faire plaisir aux fans de Heavy Metal.
Basse à la Steve DiGiorgio, chant lyrique, tout était en place, calculé mais spontané, nuancé mais efficace, et trente ans plus tard, cet album s’écoute toujours avec autant de plaisir. Le Thrash brésilien s’éloignait donc de ses obsessions historiques, et faisait un pas de géant vers la consécration internationale, en dehors du succès de SEPULTURA. Réédité par Vingança Music en 2016, Biotronic Genesis est en outre disponible à des tarifs tout à fait raisonnables.
Line Up : Stefano Moliner - basse, Eric Weber & Marcus "Metal" Vinicius - guitares, Mario Pastore - chant et Alessandro Jannuzzi - batterie
Date de sortie : 20/12/1991/Heavy Metal Maniac Records
Recommandations auxiliaires : MX – Simoniacal, ATTOMICA – Limits of Insanity, HEXENHAUS - A Tribute To Insanity
2 – JESTER BEAST – Poetical Freakscream
Contrairement au Brésil, l’Italie n’a guère brillé durant les eighties. Quelques groupes, dont les ineffables BULLDOZER (ajoutons pour l’anecdote NECRODEATH, MONDO CANE et SCHIZO) tentèrent bien d’ouvrir le Marché Thrash à leur pays, mais rien de vraiment notable ne vint bousculer la hiérarchie mondiale.
Au fur et à mesure des années, le pays à la botte commença à rattraper son retard sur ses homologues européens. Ainsi, surgit de presque nulle part JESTER BEAST, groupe appelé à rester anonyme jusqu’à ce que des fossoyeurs de l’histoire ne s’intéressent à son cas. Encore une fois, un seul album viendra sanctionner le parcours de ces originaires de Turin. On notera la présence d’une maquette, et d’un EP tardif, cette discographie éparse témoignant de l’histoire assez erratique de ces turinois. Constat logique mais injuste au vu de la qualité de cet unique LP, qui malgré son retard sur les productions plus up in time, prônait de jolies valeurs techniques et brutales.
Il est d’ailleurs très difficile de situer la démarche des italiens. Entre la bestialité paillarde de leurs confrères de BULLDOZER, la touche Crossover/Hardcore des NEGAZIONE, et une propension à loucher sur un Techno-Thrash raisonnable à la manière d’un HOLY MOSES, Poetical Freakscream avait tout du chien dans un jeu de quille, ou du proverbial grain de sable dans les rouages. Difficile de comparer ces olibrius aux références de l’époque, et si la production souffrait d’un vrillage des médiums, si le chant étrange de Stefano Zapponi donnait parfois le tournis, le tout se montrait étonnamment performant et digeste, grâce à une science bancale de la composition.
Entre Heavy/Thrash nerveux à la ANNIHILATOR/OVERKILL/PANIC et Thrash furieux à l’allemande, JESTER BEAST osait des choses légèrement culottées, et gardait un contact étroit avec les années 80, lorsque les niches commençaient à se creuser dans les catégories les plus extrêmes. C’est ainsi qu’on retrouvait des traces évidentes de Thrashcore (« Claustrophobic Autogamic »), quelques ambitions plus manifestes (« Poetical Freakscream » entre Progressif brutal, HEXX et SADUS), et de violents détournements, plus proches d’un Hardcore très vilain que d’un Metal au burin (« D.A.U. »).
En 1991, Poetical Freakscream était très en marge de la production, refusait les concessions, mais a relativement bien vieilli, malgré un son qui écorche les oreilles. Séparé en 1993 après un dernier single (« Serial Killer »), le groupe se reformera en 2010 pour enregistrer un dernier EP (The Infinite Jest), avant de disparaître corps et âme dans les limbes des anecdotes sympathiques.
Pas essentiel, mais suffisamment puissant et étrange pour justifier d’une écoute, Poetical Freakscream reste une incartade agréable, entre violence débridée et intelligence malmenée.
Line Up : Mario "Pinotto" Garitta - basse, C.C. Muz - guitare, Stefano Zapponi - chant et Tony Lionetti - batterie
Date de sortie : 1991/GLC Records
Recommandations auxiliaires : NUCLEAR SIMPHONY – Lost in Wonderland, MINDWARS – The Fourth Turning, NEGAZIONE - Little Dreamer
3 – MAGNUS – Scarlet Slaughterer
Voici un cas de figure plutôt étrange. Selon les sites, ce premier album est sorti en 1989, ou en 1991, tous s’accordant sur le format tape et sur le label, Mil Records. Toujours est-il que Scarlet Slaughterer reste un enfant de la fin des années 80, entre la franchise Thrash et le radicalisme Death, à l’image de DEMOLITION HAMMER, INCUBUS ou SADUS. Toutefois, je ne veux pas vous orienter sur la mauvaise piste en survendant un album somme toute plutôt honnête. MAGNUS n’a évidemment pas l’envergure de ces trois références, même si son énergie est au moins aussi intense.
Le décalage vient principalement des compositions, qui – ne le cachons pas – sont beaucoup plus brouillonnes que celles des trois groupes précités. Abordons aussi le cas d’une production approximative qui rappelle les sorties sud-américaines des années 80, et finalement, parlons de la trajectoire tout sauf linéaire d’un combo qui en 1992 n’avait déjà plus grand-chose à voir avec ses origines. Fondé en 1987, MAGNUS a foncé enregistrer sa première démo, fortement influencée par le Speed et le Power Metal, et gardant prise avec les mélodies inhérentes aux deux genres. Quelques années plus tard, et après des ajustements de line-up, le quintet trouve sa voie, accélère le tempo, partage la scène des festivals avec NAPALM DEATH et MORBID ANGEL, et Digiton finit enfin par sortir ce premier album en format CD.
On y découvre un groupe furieux qui aurait pu faire les beaux jours de Cogumelo ou Death records, entre SARCOFAGO et CRYPTIC SLAUGHTER. Une vitesse héritée du Hardcore le plus belliqueux, des riffs empruntés à SLAYER et KREATOR, pour un Death/Thrash qui finalement, emprunte plus au Thrashcore ses accents.
MAGNUS se situait donc au bout du spectre Thrash, bien décidé à se faire sa petite place. Une place tout à fait méritée pour les polonais, jamais avares en BPM, mais aussi capables de trousser des ambiances sombres et inquiétantes (« Crosses Of War »). A l’époque, Rob Bandit occupait déjà le poste de vocaliste, et ses envolées suraigües n’étaient pas sans rappeler le timbre de Don Doty, des implacables DARK ANGEL, ce qui achevait de valider le parallèle entre les deux groupes, un certain nombre de plans semblant sortir des deux premiers albums des américains.
Pas de pitié donc, on rentre dans le tas, on laisse couler deux ou trois soli très valables, et on garde surtout la laisse du batteur bien lâche pour qu’il percute la caisse claire comme un gros bourrin. Un peu Black sur les bords, mais totalement Thrash dans le fond et la forme, MAGNUS nous offrait alors un aperçu de la scène Blackened Thrash à venir (« Tomb »), prenant le contrepied total de l’ouverture d’esprit Heavy des légendes du cru.
Totalement déraisonnable (« Pharisee », complètement cramé), mais conséquent et stable dans le propos (« Messenger Of Hell »), capable de pondre des hymnes irrésistibles (« Scarlet Slaughterer »), MAGNUS était d’une franchise agréable, et nous rappelait évidemment les exactions les plus brutales de la décennie précédente, ces morceaux ayant été composés quelques années auparavant.
Les musiciens se permettaient même une crise de folie salement cathartique (« Rabies »), avant de tirer le rideau sur fond de brouhaha maléfique à la VENOM (« Achtung Magnus! »). Plus stable que nombre de ses contemporains, MAGNUS publiera deux autres longue-durée avant de splitter, et de renaitre en 2007 sous l’impulsion de Rob Bandit et Python. Deux autres albums ont vu le jour depuis, sympathiques, mais loin de la folie de ce Scarlet Slaughterer.
Line Up : Edi - basse, Python & Bastard - guitares, Rob Bandit - chant et Jaras - batterie
Date de sortie : 1991/1992/MiL Records/Digiton
Recommandations auxiliaires : Morbid Saint – Spectrum of Death, SLAUGHTER – Strappado, PROTECTOR - A Shedding of Skin
4 – NEPHASTUS – Tortuous Ways
Après 2girls1cup, voici le nouveau hashtag de la mort : 1band1album. Cette liste contient en effet une grosse partie de one-shots, de ces groupes émergeant des abysses pour y retourner aussi sec. Et c’est encore une fois au Brésil que cette histoire nous emmène, sur la piste de NEPHASTUS, combo éphémère comme l’histoire du Metal en compte des milliers.
Fondé en 1986 à Campina Grande, NEPHASTUS a pris le temps de sortir deux démos en 1988 et 1990, avant d’enfin sortir un album complet l’année suivante. Ce qui en soi était déjà un petit miracle, puisqu’il fut le premier groupe de l’état de Paraiba à le faire, cette région du Brésil étant l’une des plus pauvres du pays.
Imaginons la fierté que ces musiciens en ont retiré, d’autant qu’ils ne nous ont pas fait perdre notre temps. Si quelques sites recensent Tortuous Ways comme un album de Thrash progressif, c’est sans doute par excès d’enthousiasme, les débats évoluant plutôt en terrain de violence constante, avec tout de même un niveau instrumental assez relevé, spécialement sous une telle vitesse de croisière.
Parlons plutôt d’un Death/Thrash vraiment féroce, mais propice à quelques idées plus nuancées. Après cinq ans de carrière, le quatuor avait eu le temps de faire ses gammes, et d’imposer quelques ambiances plus posées et sombres, comme en témoigne le très SLAYER « Dying Slowly », qui coupe l’album en deux parties bien distinctes.
« Blood And Ache » et « Depressive Dementia » rompent en effet avec ce sentiment de course contre la montre de la première partie, osant des idées plus amplement développées, et des harmonies plus prononcées. Toutefois, pas d’inquiétude à avoir, NEPHASTUS avait toujours le chic de balancer au coin d’un break une accélération dantesque, assez proche de l’INCUBUS de Serpent Temptation ou du SEPULTURA des jeunes et tendres années.
Bourrin, mais assez fin. On se prend parfois à avoir envie de siffloter « Escape to the Void » des frangins CAVALERA, origines brésiliennes obligent, mais ce premier et unique album à ce parfum unique des œuvres sorties avec un peu de retard, et symptomatiques des racines 80’s les plus profondes. En 1991, nous avions encore la possibilité de dénicher de tels disques – en fouillant très bien ceci étant dit – et de les apprécier pour ce qu’ils étaient : une sorte de prolongation de la partie avant la défaite finale.
NEPHASTUS n’est ni le meilleur, ni le moins bon groupe de cette liste très subjective. Il se situe dans une moyenne honnête, et offre des chansons complètes et séduisantes. On appréciera son ambivalence et son efficacité dans la rapidité, certains morceaux renvoyant dans les cordes les 234 BPM de « Stronger than Hate ». Bien sûr, le Thrash brésilien aura produit des travaux plus conséquents, mais je trouve assez intéressant qu’un groupe issu d’une région gangrénée par la misère soit aussi convaincant. On imagine sans peine en écoutant Tortuous Ways tous les obstacles que le groupe a dû franchir avant de pouvoir entrer en studio et enregistrer ses compos.
Et cette rage concrète confère à cet unique album une aura presque sacrée, de ces œuvres dont le contexte est aussi important que la portée musicale.
Line Up : David Lima - basse, Fábio Rolim - guitare, Gilberto Jr. – guitare/chant et Tárcio Rodrigues - batterie
Date de sortie : 1991/Whiplash Records
Recommandations auxiliaires : THE MIST – Phantasmagoria, ANTITESE – Antítese, PROTECTOR - A Shedding of Skin
5 – PSYCHOPATH – Making the Transition
Retour aux Etats-Unis pour y découvrir un autre groupe éphémère, dont la carrière n’aura duré que deux petites années. Un petit tour et les PSYCHOPATH s’en vont, non sans avoir laissé derrière eux un témoignage vivant de la scène Death/Thrash américaine, de ceux que les tops exhument des tréfonds de l’underground de temps à autres.
Originaires de St. Louis, Missouri, ces trois musiciens ont commencé leur parcours par une démo, publiée en 1990, et qui définissait les contours d’un Death Thrash technique, complexe, mais aussi lapidaire lorsqu’il le fallait. Et à vrai dire, il est assez difficile de cerner la démarche de ce power-trio : il semblait en effet alterner la brutalité la plus sourde et la finesse la moins fourbe, créant de fait un décalage parfois au sein d’un même morceau.
Il est donc de fait délicat de les comparer à d’autres concepts de la même époque. Disons pour le compte que leur musique était en phase avec son temps, opérant une transition et une passation de pouvoir entre la Californie et la Floride, mais aujourd’hui encore, Making the Transition fascine, et laisse des regrets amers tant on sent que ce groupe avait de quoi devenir un leader de sa génération.
Si toutefois, la méconnaissance des moyens de ces américains vous empêchait d’adhérer à ce propos, écoutez simplement le court instrumental « Overcast In Essence », délicat et mélodique, nous berçant de son tempo léger et de ses arpèges duveteux, et qui souligne la capacité de proposer autre chose qu’une simple charge virile pendant une grosse demi-heure. On pourrait presque, avec un peu d’imagination, y voir un peu de CORONER, et en tout cas, autre chose qu’un Metal violent et bas du front.
Les capacités individuelles étaient alors mises en avant dans un désir de densifier le propos, ainsi, l’intro démonstrative et percussive de « A Dark Reaction » bloquait la poursuite sur Doug McIntosh, parti dans un délire à mi-chemin entre Pete Sandoval et Gene Hoglan, cymbales malmenées et toms effleurés. Et là où bon nombre de leurs concurrents directs et indirects montraient des signes de fatigue, ou au contraire de prétention excessive, les PSYCHOPATH tenaient sans problème la route, sans perdre en homogénéité.
On pourra reprocher, dans un élan d’objectivité, la linéarité d’un chant empêchant certains plans de s’envoler, mais tout le monde s’accordera à dire que l’ambiance générale, nimbée de flou et de sci-fi occulte contribuaient à rendre cette œuvre unique en son genre, et pas si éloignée de ce que les cadors de la violence proposaient alors.
Et comme Making the Transition lâchait ses deux titres les plus longs et ambitieux en fin de timing, l’impression laissée avait de quoi remuer les méninges, de la même façon que « Performing A Self-Discovery » et « Crystal Clear » nous trituraient les neurones.
Le groupe calmera le jeu avec une démo l’année suivante, avant de disparaitre corps et âme dans les douves de l’histoire. Dommage, car il y avait de quoi rédiger plusieurs tomes de cette histoire passionnante.
Line Up : Ben Trost - basse, Bill Lynn – guitare/chant et Doug McIntosh - batterie
Date de sortie : Octobre 1991/C&C
Recommandations auxiliaires : NOCTURNUS – Thresholds, JUMPIN' JESUS – The Art Of Crucifying, DEAD HEAD - Dream Deceiver
6 – TERRAHSPHERE – Third in Order of the Sun
Dans les années 80, le label New Renaissance Records, dirigé par Ann Boleyn (HELLION), avait pour réputation de dénicher les groupes les plus insipides d’Amérique. On ne compte plus les déchets jetés à la poubelle pour deux ou trois mets plus ou moins appétissants, et la simple mention de la maison de disques en amont d’une chronique suffisait à déclencher des refus polis et autres bâillements de circonstance.
Pourtant, NRR a aussi eu quelques éclairs de génie, en promouvant des groupes vraiment méritants, prenant un minimum de risques et montrant des signes d’élégance dans la brutalité. Et immanquablement, les TERRAHSPHERE faisaient partie de cette catégorie. TERRAHSPHERE fut l’un des premiers combos signé par le label qui connut un hiatus de contrats entre 1988 et 1991, et en écoutant ce Third in Order of the Sun, on comprend l’enthousiasme d’Ann Boleyn tant cette musique semble hors du temps, émanant d’écho spatiaux et de prouesses techniques bien terrestres.
Ann croira si fort en ce groupe qu’elle n’hésita pas à affirmer qu’il allait devenir le leader incontesté de la nouvelle génération de Thrash US. Dommage pour elle, une fois de plus le destin se mêla de l’affaire pour renvoyer les TERRAHSPHERE dans les oubliettes du temps, condamnant de fait le quatuor à ne pouvoir compter que sur les passionnés pour parler d’eux une fois encore.
Soyons clairs, et osons l’affirmation sans ambages. Third in Order of the Sun est tout bonnement l’un des meilleurs albums de Metal de la décennie 90. Un album capable de rivaliser avec les SADUS, les BELIEVER, les OBLIVEON, ANACRUSIS, technique et précis, élitiste mais abordable, et surtout, truffé de chansons complexes bâties sur des contretemps permanents et des mesures impaires en labyrinthe.
Au premier plan, cet axe basse/batterie capable de miracles incroyables, constamment en rupture – ou presque – infusé de Jazz et d’idées un peu folles. Et l’association de cet axe avec le chant totalement halluciné de Phranc Sarcia avait pour effet d’altérer la lucidité, les trois se lançant dans un défi permanent à celui parvenant à rester accroché à la branche sans tomber. Il faut souligner que même si TERRAHSPHERE ne vit le jour qu’en 1989, ses membres s’agitaient déjà dans l’antichambre depuis 1984 sous le nom de GAFFINBASH, et ces sept années de pratique ont été mises à contribution au moment de composer ce premier album, qui une fois encore, ne connut pas de suite…Dommage, car le groupe avait encore une quinzaine de morceaux dans sa besace, pour alimenter un éventuel second album qui ne vit évidemment pas le jour.
La prédiction d’Ann s’avéra légèrement erronée, mais remercions-là pour cet album inclassable, qui prouvait que le Techno-Thrash et le Thrash progressif avaient encore de belles années devant eux.
Line Up : Dave Hartnett - basse, Kevin Kelly – guitare, Phranc Sarcia - chant et Glenn Gillespie - batterie
Date de sortie : 1991/New Renaissance Records
Recommandations auxiliaires : АСПИД – Кровоизлияние, ATHEIST – Peace of Time, SACROSANCT - Recesses For The Depraved
7 – TOXIN – Misanthropy
Ne soyez pas étourdi, les confusions sont faciles. TOXIN n’est pas TOXIK, et Misanthropy n’est pas un album de PROTECTOR. Non, TOXIN est allemand, de Kassel plus précisément, et fait une fois encore partie de ces groupes n’ayant pas eu l’occasion de s’exprimer plus qu’une seule fois en longue-durée. Pourtant, ce quatuor a démarré sa carrière en 1986, en plein boom Thrash mondial, et n’a jeté l’éponge qu’au milieu de la décennie suivante. Largement de quoi asseoir sa réputation, mais au lieu de ça, un seul témoignage de son vivant, et pas mal de regrets de la part des fans d’un Thrash certes violent, mais terriblement intelligent.
TOXIN partageait en outre avec KREATOR la spécificité d’avoir deux chanteurs, l’un à la guitare, l’autre à la batterie. A la manière de Mille et Ventor, Frank et Michael se partageaient donc le micro, pour un résultat tout aussi efficace. Et à vrai dire, le style musical adopté se situait en plein milieu d’une ligne tracée entre la brutalité allemande la plus bestiale et son pendant précieux et technique de la fin des années 80.
Misanthropy était donc une affaire très sérieuse. Et alors que toute les références commençaient à insuffler pas mal de mélodies et de passages Heavy dans leur chaos, ces allemands-là prenaient le contrepied pour défendre la tradition, via quelques compositions béton.
« Misantrophy », le title-track jouait même avec la susceptibilité du Thrash/Death pour laisser les BPM tomber comme des douilles, alors que « Retrospective » se souvenait avec bonheur des percées de CORONER et de l’And Justice For All de METALLICA. Du beau monde pour du beau jeu, et surtout, des idées incongrues, comme ce passage Jazz qui sort de nulle part, à la limite du Rap n’B des années 2000 sur le même « Retrospective », ou cette audace progressive sur le long et épique « Disintegration ». Huit minutes envoutantes, pour une power-ballade amère et symptomatique des accès de tendresse de TESTAMENT et METAL CHURCH, sur fond de soli déchirant le ciel.
On comprenait donc assez rapidement que le quatuor avait les moyens de ses intentions, et que ce premier long avait une carrure plus imposante que ses contemporains. En jouant très finement avec la cadence et la multiplicité des riffs, TOXIN se rapprochait de TERRAHSPHERE en version plus virile et brutale, et incarnait le dernier sursaut d’un genre condamné à se terrer pendant des années.
Tout n’était pas parfait, c’est un fait, mais le travail d’ensemble était remarquable de versatilité. Guitares déchaînées, enchaînements fluides, production efficiente, tout était réuni pour faire de ce Misanthropy un classique du genre appelant une suite au moins aussi bonne. Las, une fois encore, le feu de paille ne prit pas, et le groupe se sépara en 1996, avant de revenir brièvement entre 2002 et 2003, pour se reformer officiellement en 2010.
Mais on attend toujours ce deuxième album que nous avons largement mérité
Line Up : Andreas Wendel - basse, Frank Ungewickel – guitare/chant, Stefan Kaufmann - guitare et Michael Kramer – batterie/chant
Date de sortie : 1991/Black Fantasy
Recommandations auxiliaires : STONE – Emotional Playground, ACCUSER – Double Talk, GRINDER – Nothing is Sacred
8 – ARACHNID – Arachnid
1992, les choses commencent à devenir sérieuses, et l’air du temps dans les charts et dans les salles n’est plus au Metal. Certes, METALLICA, DEF LEPPARD, GUNS N’ROSES jouent encore à guichets fermés, mais l’époque est plus volontiers vouée aux gémonies de l’Alternatif et de la Fusion, faisant basculer les thrashers dans le vide de l’obsolescence programmée.
Beaucoup ont joué la sécurité. En se tournant vers une approche plus modérée et accessible au grand public, MEGADETH, OVERKILL, EXODUS, TESTAMENT ont réussi à plus ou moins surnager dans l’actualité, mais l’underground est reparti dans son monde, et les exceptions sont de plus en plus rares. Le Thrash est redevenu ce cousin bruyant qu’on cachait plus ou moins au reste de la famille, et les albums s’échangeaient sous le manteau des connaisseurs qui refusaient de laisser leur collection prendre la poussière.
De ce marasme émergèrent un tas de groupes sont la trajectoire a été brisée soudainement. J’ai déjà abondamment parlé de ces one-shot qui n’ont guère eu le temps d’imposer leur nom, mais je récidive avec les américains d’ARACHNID, dont les pattes n’ont couru que le temps d’un été.
Formé en 1989 à Portland, Oregon, ARACHNID a fini par rassembler ses esprits pour sortir ce premier et unique album éponyme…en format tape, délicieux anachronisme en 1992. Mais cette sortie n’a fait que conférer une aura encore plus mystique à ce produit qui était tout sauf de la consommation courante. On retrouvait dans ces compositions l’esprit frondeur des Etats-Unis de l’axe 1987/1989, entre vilaine lacération et brainstorming maison, et la recette proposée par ARACHNID avait de quoi ouvrir l’appétit et titiller la curiosité.
Entre Speed/Thrash, Death/Thrash, Techno Thrash et Thrash tout court, ce quatuor se posait comme l’enfant illégitime de DEMOLITION HAMMER et ATHEIST, aussi efficace que complexe, et techniquement intéressant. Et derrière cette très vilaine pochette qu’on pensait exhumée d’un mauvais rêve de 1984 se cachait l’un des albums les plus fascinants de cette première partie des nineties.
Dans le secret des alcôves, ARACHNID œuvrait pour la reconnaissance des puristes, certainement très satisfaits d’être tombés sur un produit de cette qualité. Entre la rudesse d’un DARK ANGEL (« Near Darkness ») et le mordant d’un KREATOR des grandes années (« Beyond Torment »), entre la tradition Bay-Area et le chaos de la Ruhr (« The Witching »), Arachnid jouait les mouches du coche insaisissable pour mieux surprendre, piquer en plein vol et assommer ensuite.
Il est clairement dommage que cet album n’ait pas bénéficié du soutien d’un label plus important, tant son contenu était d’importance à l’époque. Heureusement depuis, de nombreuses maisons de disques se sont relayées pour propager à nouveau la bonne parole, et offrir à ce premier jet une seconde jeunesse. Headsplit records a même eu l’audace d’offrir deux tirages en cassette pour respecter le format d’origine, tandis que Stormspell records et Alone Records se sont partagé l’accès en CD. De quoi redécouvrir l’univers assez particulier d’un groupe qui comme cent autres, n’aura été qu’une anecdote à peine abordée dans des notules à peine lues.
Line Up: Bill Brewer - basse, Paul Nicholls – guitare/chant, Roger DeCarlo - guitare et Charlie Nelson – batterie
Date de sortie: 1992/Wicked Bone Records
Recommandations auxiliaires: NUM SKULL – Ritually Abused, KREATOR – Extreme Aggression, TYRANT’S REIGN – Year Of The Tyrants
9 – FALLEN ANGEL – Faith Fails
Avant que la Suède ne devienne le plus gros exportateur Metal de la planète, elle a ramé dans l’ombre, ne pouvant guère compter que sur une poignée de représentants pour sauver l’honneur. On se souvient d’AGONY dans les années 80, mais peu se rappellent des FALLEN ANGEL, et pourtant, tout avait bien commencé pour eux.
Un début de carrière modeste avec deux démos, un split et un premier EP, avant d’être signé par la référence allemande Massacre, soit de quoi voir venir de loin et préparer un plan de carrière solide. Alors, me direz-vous, pourquoi cet anonymat et ce parcours trop vite brisé ? Bonne question à laquelle plusieurs réponses peuvent correspondre.
D’abord, l’époque. En 1992, le Thrash ne touche plus grand monde, si ce ne sont les fans de PANTERA et SEPULTURA, déjà méchamment orientés Groove Metal. Ensuite, la difficulté de trouver cet album sur le marché, malgré sa prise en charge par une maison de disques connue. Mais Massacre records n’était pas en 1992 le mastodonte qu’il est aujourd’hui, puisque sa fondation ne remonte qu’à 1991, soit un an à peine avant la sortie de Faith Fails.
Et puis, l’argument massue en étant un tant soit peu honnête. Malgré d’évidentes qualités rythmiques et mélodiques, et la présence d’un soliste très bavard, FALLEN ANGEL représentait en quelque sorte le parangon du groupe de Thrash lambda oublié par les eighties, et qui tentait de rattraper son retard comme il le pouvait. En résultaient des compositions certes honnêtes, bien agencées et exécutées avec fougue, parfois à la lisière d’un Techno-Thrash timide, entre le METALLICA de 1988 et l’AGONY de The First Defiance.
Entre l’Allemagne radicale et les Etats-Unis plus fluides, FALLEN ANGEL se battait avec ses propres armes, et parvenait à nous séduire de son classicisme, au point que ce premier album pourrait avoir vu le jour en 2021, sans que personne n’y trouve à redire. Un joli copié/collé des réussites les plus flagrantes de la décennie 80, avec quand même, une recherche dans les ambiances, et une brutalité qui parfois s’exprimait plus ouvertement (« Spectacle Of Fear », belle hargne).
FALLEN ANGEL jouait donc la carte de la variété de ton et de la souplesse de fond. Si le timbre monocorde de Johan Bülow pouvait rapidement lasser, les chœurs renforçaient la puissance vocale de l’ensemble, et lorsque le groupe tentait de s’aventurer en terrain plus lourd, le résultat était à la hauteur des attentes.
Et puis, de fil en aiguille, l’album faisait son petit chemin en nous, jusqu’à ce que son côté honnête et attachant achève de nous séduire. Sans être une pierre angulaire ou même une référence, Faith Fails était loin d’être un échec, et tenait même méchamment la route, même en 1992. Dommage que le groupe se soit arrêté là, et qu’un second tome n’ait jamais vu le jour. D’autant plus que cet unique album n’a bénéficié que d’une réédition en vinyle en 2014, le CD restant un collector qui se négocie à des prix élevés.
Vitesse, agressivité, flair, jetez-vous sur ce petit morceau de passé qui trouve encore un écho dans le présent.
Line Up: Matte Hedenborg - basse, Johan Bülow – guitare/chant, Joacim Persson - guitare et Fredrik C. Linden – batterie
Date de sortie: 1992/Massacre Records
Recommandations auxiliaires: TESTAMENT – Practice What You Preach, SLAMMER – Nightmare Scenario, POLTERGEIST – Behind my Mask
10 – MAJESTER – Misguided Faith
Le Canada a toujours été présent sur la carte de l’extrême, depuis les années 80. Je pourrais recenser tous les groupes que j’ai chéris durant cette période, mais la liste ne serait que d’un intérêt limité, puisque vous connaissez tous les orchestres d’importance. Alors, je me bornerai à parler d’un outsider sympathique, qui en 1992 a sorti son premier et unique album, à compte d’auteur, sans autre prétention que de jouer un Speed/Thrash conséquent, et assez symptomatique des influences de son époque.
MAJESTER, c’est un peu la métonymie, l’exemple type de groupe qui n’a dansé qu’un seul été, et qui pourtant aurait mérité une plus grande attention. Après tout, même dans les années 90, cueillir à froid l’auditeur avec une composition de plus de dix minutes n’était pas chose courante. Même METALLICA, pourtant peu avare en morceaux épiques attendait toujours la deuxième piste pour nous en mettre plein la vue, ce qui en dit long sur la singularité de ce quintet canadien.
« Howlers Of Insanity » se distinguait donc de la masse, sans pour autant prôner une quelconque esthétique progressive. Mais les ambitions étaient concrètes, et le manque de moyens n’a pas empêché MAJESTER de rester un nom prononcé par les connaisseurs des décennies après son split.
Encore un cas d’école, d’un groupe qui n’a pas eu l’occasion de s’exprimer plus d’une fois. Néanmoins, et malgré des déficiences évidentes, Misguided Faith reste un disque sympathique, à défaut d’être indispensable. Il est évident que les canadiens n’allaient pas graver leur nom sur le rocher de l’histoire avec des titres aussi sages et un son de guitare aussi effilé dans les médiums.
Adeptes d’une violence raisonnable et maîtrisée, les cinq musiciens aimaient quand même pousser les meubles pour prendre le temps de twerker grave, et il était tout à fait possible de voir en cet album une sorte de brouillon d’And Justice For All en version plus modeste, mais avec une recherche sonore similaire. Peu d’informations sont disponibles sur ce groupe québécois, et Misguided Faith, étrangement, n’est même pas disponible sur la toile, les rares sites évoquant son cas proposant des liens morts depuis longtemps. Il va donc falloir vous armer de patience, puisque même le CD n’est pas à vendre, et lorsque par miracle il l’est, il se négocie à des sommes indécentes.
Chœurs revanchards, riffs classiques mais syncopés, chant un peu léger, mais grosse basse ronflante, parties de batterie acrobatiques, double grosse caisse omniprésente, effets simples mais percutants, tous les ingrédients sont là pour une Thrash party honnête, entre deux grands classiques du genre. De quoi s’éloigner des sentiers battus, entre un « Inhuman Conditions » dense et évolutif et un « Public Manipulator » sardonique et grinçant.
« The Arraignment Process » en final ambitieux laissait un goût amer dans la bouche, un goût d’inachevé pour un quintet qui méritait plus que cette indifférence polie et cet anonymat dans l’air du temps. Il n’appartient qu’à vous de réhabiliter cette œuvre, qui loin du chef d’œuvre, présentait une approche traditionnelle savoureuse.
Line Up: Jean-Sébastien Bélisle - basse, Roger Boyer Jr. – chant, Mike "Mikey D" Decker & Marc-Antoine Papineau - guitares et Stéphane Corbin – batterie
Date de sortie: 1992/Autoproduction
Recommandations auxiliaires: MAJESTER – Taken for Granted, SILENCE – Visions, DEATHAMIN – Mass of What
11 – MASKIM – Maskim
Tout le monde connaît l’histoire de PANTERA, qui après la laque et le spandex s’est épanoui dans les shorts en jean effilés et les riffs d’acier. Le parcours des texans est même un modèle du genre, leurs photos subtilement glam et leurs pochettes gentiment atroces refaisant surface régulièrement sur la toile, mais ils ne furent pourtant pas les seuls à dévier de leur trajectoire pour finalement atterrir sur un tout autre marché. On pourrait évidemment citer THE CULT et son Goth-Rock devenu pur Hard-Rock, ou les D.A.D., dont le Country-Punk s’est un jour déguisé en Fuel-Rock. Et à cette toute petite liste, je me permettrai d’ajouter un autre nom, totalement méconnu, celui de MASKIM.
Lorsque MASKIM sort son premier album en 1992, il est tout sauf un jeune groupe de jeunes loups. En effet, il se traîne déjà depuis plus de dix ans sur le circuit, dont 5 passés sous la bannière HOT BLOOD (avec une chanteuse, précision qui compte). Mais les fans – car il y en avait forcément - de ces romains ont pu assister de près à la mutation de leur combo fétiche, puisque de fil en aiguille et de 1985 à 1992, le ton se durcit méchamment pour devenir un genre de Proto-Speed-Thrash efficace, mélodique, gentiment violent, et modérément bestial.
Entre AGENT STEEL, ABATTOIR, SANCTUARY, les italiens naviguaient à vue, et nous offraient avec cet éponyme un disque totalement hors de son époque, et beaucoup plus en phase avec les années 80. Entre le timbre versatile mais aigu d’un vocaliste remarquable et un travail rythmique assez conséquent, ce Maskim avait les armes pour forcer les coffres des admirateurs d’un Speed/Thrash fameux mais dilué, à la lisière d’un Techno-Thrash timide, mais notable.
« House of Trial », par exemple, aurait largement pu se frayer un chemin sur le Refuge Denied de SANCTUARY, ou sur le Blessing in Disguise de METAL CHURCH. De bonnes références donc, et malgré de sales baisses de régime sonore pendant les (excellents) soli de Dr. Phibes, l’ensemble se montrait cohérent, se souvenant parfois des mélanges étranges de BLIND ILLUSION ou KUBLAI KHAN (« Fireblind », l’un des meilleurs morceaux).
Amateurs de vitesse à l’occasion (« Bad Taste », « Between the Eyes », « Rat’s Ambition »), ou d’évolutions naturelles presque progressives mais pas moins agressives (« Death Tone), les MASKIM faisaient montre d’une indéniable énergie, et d’une envie de synthétiser tous les sous-courants d’un genre dépassé depuis longtemps, mais toujours présent dans le cœur des fans.
Anecdotique sur le papier, Maskim prenait toute son ampleur une fois écouté. On se prenait d’ailleurs facilement au jeu, en revenant à la case départ sans toucher les francs 20.000, d’autant que l’actualité Thrash de l’époque ne débordait pas foncièrement de sorties d’importance. Et comme quasiment tous ses collègues présents ici, MASKIM se saborda dans l’indifférence générale quatre ans après avoir enregistré cet unique LP. Dommage, il y avait encore de la matière première pour une suite supérieure.
Line Up: Fabio Capulli - basse, Andrea Strappetti – chant, Dr. Phibes - guitare et Stefano Leoni – batterie
Date de sortie: 1992/Zasko Lab
Recommandations auxiliaires: Overthrow – Within Suffering, SILENCE – Visions, NO RETURN – Contamination Rises
12 – MYSTIK – The Plot Sickens
Imaginons un quidam, plus ou moins proche de vous, qui se pose soudainement cette question :
« Et si MAIDEN avait joué du Power Metal à tendance Thrash, ça aurait donné quoi à ton avis ? »
La réponse qui semble saugrenue au prime abord apparait soudainement évidente au fan de Thrash underground qui connaît bien les années 90 : ça se serait méchamment rapproché de The Plot Sickens de MYSTIK. Et en extrapolant un peu, on pourrait même croire d’un autre côté à une résurrection du FLOTSAM & JETSAM de Doomsday for the Deceiver.
Pourquoi ? A cause de cette rythmique galopante et de cette basse mordant du bout des doigts, à cause de ce côté épique Heavy, à cause de la voix flamboyante de Patrick "Hagas" Hughes, et de pas mal d’autres raisons, qui font que l’hybridation entre Londres et Phoenix a pris un beau jour d’octobre 1992.
MYSTIK en 1992 a déjà un bon parcours derrière lui, actif depuis 1986, mais présent discographiquement depuis 1989 en mode démo. Cinq d’entre elles viendront s’empiler à la porte de ce premier longue-durée, dont l’ultime constituait déjà l’ossature de cet album incroyable. The Plot Sickens est d’ailleurs l’un des albums les plus « light » de cette liste, jouant constamment sur la frontière séparant le Heavy du Power Metal, et le Power Metal du Thrash. De fait, on ne peut pas complètement affilier ces compositions au style qui nous intéresse dans ce dossier, mais on ne peut pas les en dissocier non plus. Alors, autant l’intégrer d’autant qu’il atteint une qualité extraordinaire.
Il est même possible de le concevoir comme le deuxième album que F & J n’a pas eu le temps d’enregistrer avec Jason. On y retrouve le même son, les mêmes intentions, même si MYSTIK est un poil plus sombre. Et un morceau de la trempe de « Method to Madness » suffisait à susciter l’intérêt d’un public fan de Power US bien calibré, entre LAAZ ROCKIT plus inventif, ou OBSESSION moins obsédé. De sacrées comparaisons donc, mais totalement méritées. D’ailleurs, The Plot Sickens est sans conteste possible l’un des meilleurs albums de cette liste, qui compte pourtant quelques poids lourds.
C’est aussi l’un des albums qui compte le moins de fillers. Tous les morceaux étaient compétitifs, charnus, agressifs et velus, et certains trempaient même leurs orteils dans les eaux de la rivière John Bush d’ANTHRAX (« Psychosis »). Trente ans après sa sortie, The Plot Sickens reste toujours aussi passionnant et conséquent, et beaucoup plus intéressant que la plupart des acteurs de cette nouvelle vague de rétro-Thrash qui tourne en rond. Presque Techno par endroits (« », du WATCHTOWER simplifié), mais fondamentalement Heavy/Thrash, The Plot Sickens reste une expérience de premier choix pour les nostalgiques de la scène US des années 80.
Et contrairement à beaucoup d’autres, MYSTIK aura même l’occasion de transformer l’essai quelques années plus tard, via Perpetual Being, très capable, mais tout de même un ou deux crans en-dessous.
Line Up: Joe Kilcoyne - basse, Patrick "Hagas" Hughes – chant, Ed Miller & Roy Gursten - guitares et Kenny Easterly – batterie
Date de sortie: Octobre 1992/Carnage Records
Recommandations auxiliaires: FORTE – Stranger than Fiction, INTRUDER – Psycho Savant, PARADOX – Collision Course
13 – NECROPHOBIC – No More Life
Une précision importante avant d’aller plus loin : ce NECROPHOBIC là n’est pas la bête malfaisante suédoise, mais bien un combo pur Thrash de Pologne. Ne vous attendez donc pas à marcher sur des pentagrammes en entrant dans la cave, le propos ici est moins bestial, et la problématique beaucoup plus étudiée.
Formé en 1988 sous le nom de NECROFOBIC, ce quintet originaire de Rybnik en Silésie a comme tous ses petits copains commencé son parcours via quelques démos bien senties, avant d’enfin plonger dans le grand bain en 1992. Et une fois encore, c’est le format tape qui a été privilégié, avant qu’un CD ne voie le jour en 1993.
Ecouter No More Life en 2022 est une expérience assez sympathique. Le son est toujours d’actualité, l’inspiration claire et le rendu parfaitement précis. Entre Heavy/Thrash puissant et mélodique et Techno-Thrash raisonnable, NECROPHOBIC proposait un compromis fascinant, pouvant s’appuyer sur une paire de guitaristes très en verve, et une rythmique salement compétitive. En résultaient des morceaux évolutifs, marquants, et une construction en progression durant laquelle le formidable batteur Tomasz Michura donnait toute la mesure de son talent de percussionniste (« Happy Pigs » et ses fills permanents).
NECROPHOBIC, ne le cachons pas, rappelait les meilleurs albums du cru, et pouvait même tenir la distance contre des œuvres essentielles des années 80. De temps à autre, le quintet se plaçait en convergence de SACRED REICH et ACROPHET, le côté Hardcore étant défendu bec et ongles par le timbre éraillé et grave du regretté Piotr "Mały" Sobaszek.
Je ne le cacherai pas, No More Life est l’un de mes albums préférés de cette liste et ce, pour de multiples raisons. Sa solidité, son envie d’aller plus loin qu’une simple resucée des eighties réaménagée pour sonner contemporain, et le talent de ces musiciens capables de prouesses individuelles notables, mais aussi d’un esprit de groupe qui permettait une cohésion sans failles. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter le monumental « Back In Auschwitz », qui une fois de plus mettait en avant l’axe basse/batterie, ou bien « No More Life », title-track tenant son rang et qui aurait sans peine pu s’imposer sur le Death Squad de SACRED REICH ou le The New Machine of Lichtenstein d’HOLY MOSES.
NECROPHOBIC ne manquait pas d’humour, certes un peu gras, et terminait sa course par une petite blague grivoise sur fond de Fusion Thrash-Funk à la MORDRED. « I Like Bitches » était un petit plaisir même pas coupable, une dernière pirouette pour échapper à toute étiquette, et apportait une sacrée plus-value à un album déjà très sérieux et solide.
Deux ans plus tard, Fears se perdit dans l’indifférence générale malgré un effort d’adaptation Groove Metal, et NECROPHOBIC finit par se jeter lui-même en pâture aux nécrophiles de l’oubli. Dommage, car ce premier album, certes classique, avait les armes pour mettre à genoux les fans d’un Thrash d’obédience passéiste, mais fameux.
Line Up: Jarosław Bandurski - basse, Piotr "Mały" Sobaszek – chant, Mirosław "Eciol" Cichos & Marek Krzempek - guitares et Tomasz Michura – batterie
Date de sortie: Octobre 1992/Massacre Records
Recommandations auxiliaires: ARBITRATER – Darkened Reality, GLADIATOR – Designation, VULTURE – Fatal Games
14 – SACRAMENT – Haunts of Violence
Etonnamment, le Thrash chrétien se portait très bien dans les années 90. Les sorties majeures faisaient un gigantesque pied de nez aux détracteurs qui pensaient que bondieuseries et Metal lourd ne pouvaient faire bon ménage, et le ballet incessant d’excellents albums avait de quoi donner le tournis.
DELIVERANCE, BELIEVER, TOURNIQUET, VENGEANCE RISING se disputaient le trône avant l’arrivée du Metalcore chrétien, et autant dire que la bataille des anges hargneux faisait rage. Alors évidemment, la suprématie des quatre combos déjà cités était incontestable (il suffit pour adhérer à ce propos d’écouter les chefs d’œuvre que furent Sanity Obscure de BELIEVER ou Pathogenic Ocular Dissonance de TOURNIQUET), pour autant, certaines outsiders tirèrent leur épingle du jeu avec un certain brio.
SACRAMENT faisait partie de cette catégorie de groupes de série B, mais suffisamment solide pour produire une musique puissante, technique, riche et raffinée dans la brutalité. Déjà auteurs d’un très remarqué Testimony of Apocalypse, qui replaçait l’évangile selon St Jean au centre des débats, ces musiciens de Folcroft en Pennsylvanie nous assénèrent le coup de grâce avec le parpaing déguisé en bénédiction qu’était Haunts of Violence.
Symptomatique de cette période de transition entre les années 80 et la décennie 90, ce second longue-durée, classique dans le fond et la forme se rapprochait assez de ce que DELIVERANCE pouvait jouer au début de sa carrière, et se plaçait entre BELIEVER et BETRAYAL, suffisamment technique pour attirer l’attention des amateurs de solfège, mais largement assez percutant pour jouer les prédicateurs d’infortune.
Il fallait évidemment – une fois encore – accepter le postulat de départ : un Thrash chantant les louanges du divin, ce qui dans le milieu paraissait méchamment incongru. Mais une fois acceptée cette règle somme toute assez raisonnable, le headbanging pouvait commencer, au son de riffs formels mais efficaces et de lignes de chant hargneuses et convaincantes.
Plus fin que son frère aîné, Haunts of Violence prônait une violence saine et nécessaire, et martelait son message avec beaucoup de conviction, ainsi, « Carry The Corpse » vous forçait à la génuflexion, tandis que les syncopes de « Destructive Heresies » vous traînaient jusqu’au confessionnal pour y avouer vos péchés les plus sombres.
Sans vraiment provoquer la curiosité, SACRAMENT osait des choses moins prévisibles, et caractéristiques des thématiques en vogue dans le Techno-Thrash (« The Wicked Will Rot »), ou des évolutions mélodiques et alambiquées qui nous entrainaient sur les traces d’une apocalypse prononcée comme jugement définitif (« Souls In Torment »). Et entre efficacité et lourdeur (« Under Threat Of Death ») et épilogue en forme d’épitre (« Portraits Of Decay »), Haunts of Violence traquait les esprits vicieux et autres parjures malheureux pour imposer son point de vue religieux.
Catholicisme et Thrash faisaient donc bon ménage, et si SACRAMENT n’a jamais pu animer les plus grandes messes, il n’en a pas moins acquit un statut d’enfant de chœur très dévoué.
Line Up: Erik Ney - basse, Robert Wolfe – chant, Mike DiDonato - guitare et Paul Graham – batterie
Date de sortie: Octobre 1992/R.E.X. Music
Recommandations auxiliaires: ULTIMATUM – Symphonic Extremities, BETRAYAL – Renaissance by Death, DELIVERANCE – Deliverance
15 – TYPHOON – Take Good Care
L’Autriche n’a jamais été réputée pour abriter en son sein les groupes de Thrash les plus créatifs de la planète. D’ailleurs, qui est vraiment capable de citer deux ou trois exemples de Thrash autrichien produit avant le nouveau siècle, sans s’arracher les cheveux d’un timide RAVENOUS ? On connaît mieux le pays pour ses iconoclastes géniaux, à l’instar des membres de DISHARMONIC ORCHESTRA ou PUNGENT STENCH, et pourtant, ce pays du centre de l’Europe a aussi révélé un outsider de génie, TYPHOON.
Originaire de Feldkirchen in Kärnten, TYPHOON avait toutes les armes pour faire l’unanimité auprès des amateurs de violence intelligente, sauf qu’il est arrivé un peu tard sur la scène, déjà moribonde. Un peu tard mais avec les bons arguments, entre Techno-Thrash simplifié et Speed/Thrash progressif à la VOÏVOD. Loin de la créativité étrange des cousins japonais de DOOM, pas vraiment proche du génie mathématique de TOXIK, SIEGES EVEN ou WATCHTOWER, TYPHOON proposait un compromis intéressant entre la brutalité et la sophistication, et se montrait plus fasciné par la vitesse que ses concurrents les plus directs.
Pour faire simple, TYPHOON pouvait plaire à tout le monde. Les amateurs de Thrash précis trouvaient en Take Good Care l’essence même du style, avec ces constructions alambiquées, ces plans accumulés, tandis que ceux plus versés dans la simplicité et la franchise de la Bay Area ressentaient de nouveau l’impulsion des années 87/89, via une cadence relevée.
Finalement, la comparaison la plus viable rapproche TYPHOON des ineffables OMNITRON. Même tendance à plaquer un break incongru en plein milieu d’un morceau rapide, même envie de briser des lignes mélodiques d’une accélération fumeuse, et même originalité, avec toutefois une option plus raisonnable de la part des autrichiens.
Take Good Care est selon mon modeste avis l’un des meilleurs albums de 1992 qui n’a finalement presque jamais été écouté. Peu connaissent en effet cet effort qui mérite l’attention, et qui accumule les bons points en tension. Pas forcément le plus original mais le plus efficace dans la dualité, et avec de vrais moments ébouriffants (« Wait for Disaster » et son chant théâtral sur fond de riffs à l’allemande), et une prise de contact assez fourbe (« Time Waits Hungry » qui annonce une vraie catastrophe sonique avant de se dégonfler en mode Speed/Thrash).
Tous les morceaux de ce premier album sont d’importance. Ils relèvent tous d’une réelle volonté de s’extirper du marigot Thrash le plus rétrograde et simpliste, et refusent la copie californienne ou berlinoise. On acceptera « Evil Divine » comme le plus bel entretien entre LIVING DEATH et OBLIVEON, et « Fearful People » comme le parangon d’une technique de contournement par l’extérieur d’ambitions progressives manifestes.
Encore aujourd’hui, Take Good Care tient la comparaison avec les plus grandes œuvres du genre, sans vraiment choisir son camp. Compositions longues et évolutives, sensibles (« Try Again »), chantées ou scandées, avec quelques clins d’œil fugaces au Rap, pour un festival de guitares en fusion. La frappe nette, la basse efficace et ronde lorsqu’il le faut permettent de passer le cap des années sans s’émousser, et TYPHOON reste un nom qu’on s’échange sous le manteau. Le groupe se reformera dans les années 2000, et sortira l’honnête A Matter of Time, titre définissant à merveille le parcours tout en patience du quintet.
Line Up: Willi Bauer - basse, Frankie Feutl - chant/claviers, Wolfgang "Wuffe" Tschopp & Christian "Mörke" Mörkinger - guitares, Manfred Weber – batterie
Date de sortie: 1992/Inline Music
Recommandations auxiliaires: DEPRESSIVE AGE – Lying in Wait, DESPAIR – Beyond All Reason, POLTERGEIST – Nothing Lasts Forever
16 – DEAD HEAD – Dream Deceiver
DEAD HEAD fait partie de ces groupes qui fricotent Death pour mieux durcir leur Thrash, comme pas mal d’autres groupes de ce dossier. Ils sont souvent comparés à THANATOS, DEMOLITION HAMMER, INVOCATOR, INQUISITOR, et assument totalement leurs positions. Mais la base de leur approche restant dans un champ d’action Thrash, il était impossible de passer sous silence ici l’excellence de leur deuxième album.
Dream Deceiver, sorti en 1993, est le prolongement le plus logique à The Feast Begins at Dawn, sorti deux ans plus tôt, dans une version augmentée, resserrée, brutalisée et compactée. Pour beaucoup, il s’agit du chef d’œuvre de ces hollandais, qui dès 1989 testaient leur force via une première démo assez remarquable.
DEAD HEAD est surtout une référence de l’underground, et l’un des rares groupes de cette liste à toujours exister en 2022 et à sortir de nouveaux albums, comme en témoigne le très bon Slave Driver publié cette année. La recette du quatuor est simple. Une alternance de plans lourds et d’accélérations fulgurantes, pour déstabiliser l’auditeur et l’entraîner dans un monde de bestialité froide et d’attaques cliniques.
De fait, Dream Deceiver est un véritable modèle du genre, à placer sur le podium juste sous Beyond the Unknown et Epidemic of Violence. Dur, sans concessions, dominé par la voix grave et grasse de Tom van Dijk, frontman plus que capable, plaquant ses harangues vocales sur une rythmique impeccable et impitoyable, comme le souligne avec force décibels « Dream Deceiver », title-track dans la veine d’un « Beyond the Unknown » d’INCUBUS.
Enregistré aux Westerhuis Audio de Nieuwleusen, Dream Deceiver est un modèle de savoir-faire comme on en rencontrait de temps à autres dans les nineties. Agrémenté d’arrangements de claviers rappelant NOCTURNUS, de plans techniques soudainement ravagés par une montée dans les BPM (recette SADUS, déposée et protégée), et animé d’une violence incroyable et flirtant avec le chaos, ce deuxième album faisait montre d’une maturité incroyable, et d’un dosage au milligramme. Entre Techno-Thrash/Death et Death/Thrash foncièrement brutal, DEAD HEAD faisait le choix de ne pas choisir, et rappelait ses frères d’arme de PESTILENCE, semblant baver de méchanceté, les babines ruisselant d’écume.
Les titres forts ne manquaient pas, d’autant que le groupe faisait preuve d’une ambition manifeste. Ainsi, « I or the Needle » osait la perspective progressive malsaine, tandis que « Crimson Remains » prônait la complexité instrumentale avec ses partitions précises et exigeantes.
Composé de titres aussi forts qu’intelligents, Dream Deceiver est un petit miracle dans la production 90’s. Il tient encore aujourd’hui salement la route, pavée d’albums moins perfectionnistes, mais tout aussi recommandables. DEAD HEAD, groupe qui n’a jamais déçu, et qui reste aujourd’hui une figure iconique de la culture Death/Thrash. A juste titre.
Line Up: Tom van Dijk - basse/chant, Robbie Woning & Ronnie Vanderwey - guitares et Marco Kleinnibbelink – batterie
Date de sortie: 1993/Bad Taste Recordings
Recommandations auxiliaires: INQUISITOR – Walpurgis - Sabbath of Lust, SCYTHELORD – Toxic Minds, THANATOS – Realm of Ecstacy
17 – GEISHA GONER – Catching Broadness
Attention : ceci est sans aucun doute possible la plus grosse surprise de ce dossier pourtant conséquent. Avec son nom à consonance japonaise et sa musique précise, GEISHA GONER semblait venir du pays du soleil levant, mais rien n’était plus faux. En effet, ce quintet était en fait originaire de Varsovie en Pologne, et Catching Broadness était son premier LP, paru juste après une première démo lâchée en 1991. De fait, peu de fans étaient au courant de cette sortie, qui plus est soutenue par un label indépendant national, ce qui fait que GEISHA GONER reste aujourd’hui encore l’un des secrets polonais les mieux gardés.
Il était donc temps de réhabiliter l’affaire. Pour la simple et bonne raison que Catching Broadness est l’un des meilleurs albums des années 90, de ceux que l’on écoute religieusement une ou deux fois par an, à la bougie et les mains jointes. En découvrant les pistes de cet album, on se rend compte de la créativité bouillonnante d’un quintet qui n’avait cure des modes, et dont l’unique but était d’enregistrer le meilleur album de Thrash progressif possible. C’est ainsi qu’après deux compositions agressives et complexes, GEISHA GONER nous servait sur un plateau le lacrymal et délicat « The Last Letter », dernière lettre d’un condamné, moment d’émotion assez proche de METALLICA ou TESTAMENT.
Mais ne vous y trompez pas, Catching Broadness avait les arguments pour défier les cadors de l’époque sur leur propre terrain. Narguant les CYNIC, ATHEIST, BELIEVER avec une morgue incroyable, GEISHA GONER redonnait ses lettres de noblesse au Techno-Thrash le plus brutal et alambiqué, allant parfois jusqu’à accumuler cinq ou six plans différents rebondissant sur une texture d’origine très élastique.
A ce titre, « Catching Broadness » reste un bijou de savoir-faire et de déviances harmoniques. Inserts jazzy, coupures arythmiques, accélérations en bris de cervicales, tout était passé en revue et amplifié, accéléré, densifié. Chaque titre était un chapitre du roman le plus passionnant écrit en 1993 (1992 pour la première édition), un roman assez proche de ce qu’ATHEIST avait pu raconter sur l’insurpassable Unquestionable Presence (« D.I.O.W. To S.Y.S. (Dying is the Only Way to Save your Soul) ».
Aujourd’hui encore, alors que je connais cet album par cœur, je continue de découvrir de petites astuces et autres easter egg planqués entre deux idées plus formelles. Je continue aussi d’apprécier à sa juste valeur l’énorme « Necropolis », labyrinthe de riffs, et de déguster le délicieux « Among The Lies », inspiré des aventures de WATCHTOWER et TOURNIQUET.
Jusqu’au bout, GEISHA GONER tient la corde, et se montre passionnant. Aucune faute de goût, aucune facilité, aucune évidence, mais beaucoup de pertinence et d’audace, alors même que le Groove Metal commençait à tout ravager sur la planète Thrash. Suite à cet album, le groupe sortira discrètement en cassette Hunting For The Human en 1994, avant de jeter l’éponge deux ans plus tard.
Collectionneurs, soyez prêts à bouffer votre PEL pour acquérir cet objet, qui se négocie à des sommes indécentes. Depuis plusieurs années, la réédition de 2002 s’échange pour près de deux cents euros sur Discogs, alors que la première édition CD s’est vendue pour la dernière fois en janvier 2022 pour la modique somme de…1222 euros.
Labels, je pense qu’une nouvelle sortie d’impose ?
Line Up: Robert Żurek - basse, Paweł Zakrzewski & Marek Szcześniak - guitares, Maciek Taff - chant et Paweł Gawrychowski – batterie
Date de sortie: 1993/Carnage Records
Recommandations auxiliaires: EQUINOX – Xerox Success, ANACRUSIS – Screams and Whispers, WOLF SPIDER – Drifting in the Sullen Sea
18 – OBLIVEON – Nemesis
Le Nom d’OBLIVEON est sans conteste le plus connu de ce dossier, un cran au-dessus des DEAD HEAD. J’avais d’ailleurs cité le groupe dans la première partie de ce dossier consacrée aux années 80, encensant à juste titre le chef d’œuvre qu’est From This Day Forward. Mais pour être honnête, j’aurais pu utiliser toute la discographie des canadiens pour étayer mes propos, tant chacun de leurs albums est une pierre angulaire du style.
Rois du Techno-Thrash à la canadienne, les membres d’OBLIVEON font partie de cette caste rare de musiciens capables d’évoluer sans renier leurs principes de base. A l’instar de GORGUTS, MESHUGGAH, ou PRONG, OBLIVEON mutait très intelligemment pour rester en phase avec son époque, et si Nemesis ne fut pas la catharsis nineties qu’on attendait, il n’en était pas moins un deuxième album qui confirmait bien des promesses faites à l’occasion de From This Day Forward.
Plus rythmique, moins alambiqué, plus grave, Nemesis était évidemment un album de riffs, mais aussi un exercice de style rythmique impressionnant. Assez proche de ce que BELIEVER avait pu offrir avec Dimensions, il prônait des valeurs de concision dans la complexité, se reposant sur un tracklisting homogène. Les morceaux se suivaient et se ressemblaient beaucoup, conférant à l’œuvre une patine de concept album, moins complexe et abscons que le terrifiant Obscura de GORGUTS, mais plus musical et abordable.
On sentait clairement la filiation avec les superbes FATAL OPERA, avec une petite touche de PANTERA. Martin Gagné et Pierre Rémillard se lâchaient complètement, sans se demander s’ils en faisaient trop, tandis que la batterie de Demers adoptait les contretemps d’un marteau-piqueur poussé à plein régime. Prouesses individuelles au service d’un collectif incroyablement soudé, et une évocation de cette époque charnière, lorsque le Thrash mutait sous l’impulsion d’une approche Indus assez prononcée.
De fait, Nemesis est certainement l’un des albums qui a le mieux vieilli, de par sa production énorme et son approche futuriste. Et s’il est impossible de mettre un morceau en avant (quoique « Dynamo » soit franchement impressionnant, tout comme sa suite directe « Frosted Avowals »), il est tout à fait remarquable de constater l’évolution d’un quatuor qui ne souhaitait pas rester enfermé dans une case élitiste trop restrictive.
Encore aujourd’hui, OBLIVEON reste unique, créature polymorphe capable de se fondre dans un décor temporel sans paraître opportuniste. Et s’il est tout à fait possible de rester bloqué sur le phénoménal From This Day Forward, il est en revanche impossible de nier que Nemesis incarne sa suite la plus logique. Linéaire de prime abord, il reste un disque incroyablement intelligent, dont la pertinence s’insinue en vous comme un virus létal.
Line Up: Stéphane Picard - basse/chant, Martin Gagné & Pierre Rémillard - guitares et Alain Demers – batterie
Date de sortie: 1993/Autoproduction
Recommandations auxiliaires: АСПИД – Кровоизлияние, CHEMICAL BREATH – Fatal Exposure, MARTYR – Hopeless Hopes
19 – VALKYRIA – Valkyria
Totalement inconnue en Europe, la scène Metal russe a bénéficié des largesses de la perestroïka et du désir d’ouverture de Mikhaïl Gorbatchev pour se faire connaître, et exploser d’un vivier impressionnant de groupes. Dès le rideau de fer baissé, non seulement les groupes européens et américains purent jouer en territoire russe, mais les groupes nationaux purent enfin bénéficier d’une exposition non négligeable. Et si pas mal de scories sortirent des mines, certains diamants furent enfin exposés au grand jour.
On se souvient évidemment de SHAH, de MASTER, de GORKY PARK, mais derrière cette vitrine se cachaient des mannequins méchamment mobiles, et portés sur un Thrash pas si classique qu’il n’aurait dû l’être. Ainsi, VALKYRIA, originaire de Zelenograd et fondé en 1989 a pu publier ses albums qui sont aujourd’hui devenu des classiques de l’underground.
Non, il n’y avait pas que les américains et les allemands pour taquiner la complexité du Techno-Thrash et du Thrash Progressif. En témoigne ce premier album éponyme impressionnant de maturité et d’ambitions, que les collectionneurs chérissent depuis des années. Entre Speed/Thrash nerveux et Techno-Thrash heureux, ces cinq musiciens très capables nous signaient un album quasiment parfait de bout en bout, truffé d’idées incroyables et de plans acrobatiques, le tout souligné de quelques arrangements de claviers à la NOCTURNUS.
Entre SANCTUARY et GEISHA GONER, VALKYRIA pouvait se prévaloir d’un sens de l’à-propos technique affuté et pertinent, et chacune des huit chansons de ce premier album était un modèle d’un genre exigeant, qui ne pardonnait pas la moindre erreur. Parsemé de riffs tous plus persuasifs les uns que les autres, dominé par un chant aigu et lyrique, Valkyria était le type même d’album que les années 90 dissimulaient sous une épaisse couche d’Alternatif et de Groove Metal. Mais une fois « Ravens » digéré, on comprenait que ce groupe faisait partie de la première ligne d’attaque russe, bien déterminée à provoquer le reste du monde sur son propre terrain.
Avec un jeu d’influences très habiles (METALLICA, CORONER, TOXIK, SANCTUARY, SIEGES EVEN), VALKYRIA marquait le coup, et donnait le signal de départ d’une carrière erratique, mais riche en rebondissements.
Il est inutile de jouer le track-by-track ou même d’essayer de mettre un titre en avant plutôt qu’un autre, puisque les huit compositions formaient une symphonie ininterrompue en hommage au Thrash le plus précis et musclé, et malgré ses trois décennies, ce premier album n’a pas pris une ride, pouvant encore rivaliser aujourd’hui avec nombre de sorties récentes. Même la production - pourtant le point faible de nombreux groupes russes travaillant avec deux bouts de ficelle - n’accuse pas trop le nombre des années, et en l’état, Valkyria reste largement écoutable, à mi-chemin du Metal progressif et du Thrash technique.
Suite à ce premier album, VALKYRIA splitta pour se reformer en 2000 sous le nom de ВАЛ'КИРИЯ, sans vraiment convaincre, comme si la flamme avait été éteinte. N’en reste pas moins que ce premier et unique album sous la bannière de VALKYRIA est un témoignage important de la vitalité de la scène russe des années 80/90, et un apport non négligeable au bréviaire Techno-Thrash de la même période.
Line Up: Vasily Dronov - basse, Paul Nekrasoff - chant, Alexander Dronov - claviers, Leonid "Rodrigo" Fomin & Sergey Savin - guitares et Maxim Udalov – batterie
Date de sortie: 1993/Death City Records
Recommandations auxiliaires: ТРИЗНА – Out Of Step, КРУИЗ – Волчок, HIERONYMUS BOSCH – The Human Abstract
20 – AFTERMATH – Eyes of Tomorrow
Dommage.
C’est clairement le mot qui vient à l’esprit lorsqu’on écoute pour la première fois Eyes of Tomorrow d’AFTERMATH. Dommage que plus de fans ne l’aient pas écouté, dommage qu’il soit sorti beaucoup trop tard, et dommage que le groupe n’ait pas persisté dans cette voie royale. AFTERMATH est l’un des noms les plus connus de ce dossier, et pourtant peu ont vraiment écouté ce premier et fantastique album qui donnait un sacré coup de pied dans la fourmilière Thrash, alors en pleine mutation.
Fondé en 1985 à Chicago, AFTERMATH aurait gagné à hâter le pas. Préférant enquiller les démos, le quintet enregistra cet unique album de sa première période deux ans seulement avant sa séparation, et ce timing a de quoi rendre tristes tous les fans d’un Techno-Thrash de premier choix, de celui capable de rivaliser avec les meilleurs ANACRUSIS et taquiner les TOURNIQUET et autres DELIVERANCE sur le terrain de l’ouverture d’esprit.
En presque une heure de jeu, Eyes of Tomorrow sortait la grosse artillerie, peaufinait ses arrangements, comptait ses riffs sur les doigts de trente mains, et nous servait encore bouillants des plans incroyables et des transitions hallucinantes. En piochant au hasard du tracklisting, on ne pouvait tomber que sur un petit chef d’œuvre, mêlant complexité, élitisme et mélodies magnifiques, soli inspirés et flamboyants, et interventions vocales syncopées.
Archétype de ce que la scène Thrash arty avait de mieux à proposer, Eyes of Tomorrow reste un album complexe, à classer entre le séminal Screams and Whispers d’ANACRUSIS et le Pathogenic Ocular Dissonance de TOURNIQUET. Inflexions funky à la MORDRED, accélérations rentre-dedans, chant rappé à la FAITH NO MORE, arpèges acides et troublants, la variété était de mise et le résultat tout bonnement ébouriffant.
« Experience » semblait vouloir donner une leçon à tous les iconoclastes opportunistes de la planète de ses saccades incessantes, tandis que « Afraid of Time » rappelait le meilleur d’ATHEIST, celui de Piece of Time et Unquestionable Presence. De sacrées références donc, pour un disque complet, audacieux, s’affiliant de lui-même à la scène Techno-Thrash la plus royale, terrain de jeu de nombreux groupes dans les nineties.
Aussi puissant et violent qu’intelligent et pensé, Eyes of Tomorrow tenait du petit miracle, alors que la scène Metal dérivait le long de l’Alternatif, du Power Metal, et du Néo-Metal. Ici, le Metal était traité comme dans les années 80, perméable à certaines influences extérieures, mais en aucun cas réduit à sa plus simple expression cliché ou dilué dans des arrangements électroniques. Du classicisme donc, pour un chef d’œuvre insurpassable, et probablement le meilleur album de cette année 1994.
AFTERMATH se reforma en 2014, et n’aurait sans doute pas dû au vu des avis catastrophiques relatifs à la sortie du très moyen There Is Something Wrong. Il y avait en effet quelque chose qui n’allait pas : la magie avait disparu depuis longtemps.
Line Up: Chris Waldron - basse, Charlie Tsiolis - chant, Steve Sacco & John Lovette - guitares et Ray Schmidt – batterie
Date de sortie: 1994/Zoid Recordings
Recommandations auxiliaires: ASTHAROTH – Gloomy Experiments, ACRIMONY – In Unknown Direction, CORONER – Mental Vortex
21 – ALLEGIANCE – D.e.s.t.i.t.u.t.i.o.n.
Après la Russie et les Etats-Unis, direction l’Australie, terre plus connue pour ses représentants Rock réchauffés que pour ses Thrash-acts endiablés. Ceci étant dit, Melbourne, Perth, Sydney, Brisbane et Canberra n’ont pas non plus rechigné à élever certains des groupes Thrash les plus recommandables, dont MORTAL SIN, HOBBS ANGEL OF DEATH, ADDICTIVE, RAMPAGE ou ALLEGIANCE.
ALLEGIANCE faisait donc partie de cette seconde génération de groupes, nés à la fin des années 80, et évoluant sur les glissantes années 90, décennie de toutes les mutations. Mais ALLEGIANCE n’était pas du genre à brader son Metal pour se faire accepter par le mainstream international, et ce premier album en acronyme s’avérait l’un des plus féroces et futés des années 90.
Construit sur un schéma simple de successions de plans Heavy, Thrash ou Progressif, D.e.s.t.i.t.u.t.i.o.n. permettait de humer une fois encore les embruns des années 80, lorsque le style était à son apogée et incarnait encore le parangon de l’extrême. Enregistré aux Planet Sound Studios de Perth, coproduit par le groupe lui-même, D.e.s.t.i.t.u.t.i.o.n. était une solide affaire d’agression permanente, et se plaçait sous l’égide du mentor MORTAL SIN, tout en louchant sérieusement du côté de METALLICA, TESTAMENT et autres CHANNEL ZERO. Et la franchise rythmique d’un « One Step Beyond » nous ramenait des années en arrière, avant que la Fusion et le Néo-Metal ne deviennent les uniques sujets d’une actualité brûlante.
Incroyablement solide et puissant, ce premier longue-durée était de ceux fait…pour durer. Rien de vraiment novateur, rien de surprenant, mais une constance sérieuse dans la qualité, et une manipulation précautionneuse des codes Thrash, avec en exergue quelques brûlots évolutifs, aussi malins que fourbes. Ainsi, « Hate Frenzy » alignait carton sur carton via une poignée de riffs terriblement addictifs, alors que « Torn Between Two World » citait SACRED REICH dans le texte pour mieux traduire MEGADETH.
Titillant la corde sensible des nostalgiques, D.e.s.t.i.t.u.t.i.o.n. détonait méchamment dans le paysage sonore de 1994. Après tout, 1994 était l’année des débuts de KORN et MACHINE HEAD, et ce Thrash rétrograde n’avait pas vraiment les moyens de rivaliser avec la modernité. Néanmoins, grâce à une habile succession de plans ultrarapides et d’inserts Heavy du meilleur goût, ALLEGIANCE osait taquiner le haut du panier, et pas seulement à cause de la pauvreté de la production Thrash de l’époque.
Consistant de bout en bout, pas si éloigné que ça d’un OBLIVEON des grands jours, D.e.s.t.i.t.u.t.i.o.n. se montrait sous un jour très homogène, mais suffisamment varié pour ne pas compter tout le temps sur les mêmes arguments. Aujourd’hui encore, il fait la nique à bien des postulats Rétro-Thrash des années 2000/2010, et offre un visage différent de notre style préféré. En combinant formalisme de surface et ambitions de fond, ALLEGIANCE s’attirait un public de connaisseurs éclairés, trop heureux d’écouter une musique intemporelle, et si brillamment agencée.
Le groupe australien aura même le temps d’enregistrer un second long en 1996, Skinman, moins recommandable, mais toujours plus agréable que ce Thrash de photocopieuse que l’on subit depuis ces quinze dernières années.
Line Up: David Harrison - basse, Conrad Higson - chant, Jason Stone & Tony Campo - guitares et Glenn Butcher – batterie
Date de sortie: 1994/Id
Recommandations auxiliaires: – ADDICTIVE - Kick 'Em Hard, XENTRIX – Kin, RAMPAGE – Veil of Mourn
22 – REPULSA – Repulsa/Sex Pig
J’avoue que sur ce coup-là, je ne sais pas trop quoi dire. REPULSA, aka Tambre Bryant était une sorte de projet solo encadré par des musiciens capés, trop heureux de rejoindre ce coup de dingue tenté en 1994. Mené de voix de fer par une vocaliste enragé, REPULSA proposait un Metal dur, à la lisière entre le Thrash, le Heavy Metal et le Speed, et signait une palanquée de morceaux assez stimulants, entre la simplicité crasse du Punk et l’épaisseur du Heavy/Thrash.
Totalement anachronique dans son époque, Sexpig reste une affaire obscure, d’autant que l’album est sorti dans deux versions. La première, celle qui nous intéresse, fut soutenue par Electric Blue, tandis que l’autre, débarrassée de son titre provocant fut promue par S.O.B. Entertainment. Les deux versions étaient identiques, sauf au niveau de la pochette, qui troquait une photo à la Kate Bush de Tambre contre une cover anonyme de verre brisé.
En étant honnête et objectif, Sex Pig était loin de pouvoir rivaliser avec les autres groupes de cette liste, et n’est cité ici qu’à cause de son aura étrange et son caractère singulier. A la façon d’une Wendy O’Williams téléportée dans un univers Heavy/Thrash, Tambre jouait plus un rôle qu’elle ne se contentait de chanter, son timbre de voix étant l’un des atouts principaux e cet unique album.
A la manière d’un Horror Metal eighties, entre HELLION et l’ineffable THE GREAT KAT, REPULSA provoquait les sens, parfois en insistant lourdement sur le Heavy le plus gras du bide (« F.T.W », ou « Fuck the World » en version étendue), ou en osant des paroles teintés de provocation sur fond d’instrumental plus fin que d’ordinaire (« I Want Sex », proche d’un WHITE ZOMBIE primitif).
Sans vraiment savoir pourquoi, j’ai toujours été séduit par ce disque que j’ai découvert sortant de nulle part, un beau jour des années 90. La pochette m’avait immédiatement attiré, certains morceaux font même encore partie de ma playlist Thrash idéale (« Bag Lady »), et cette façon de provoquer une rencontre entre Leather Leone et Nicole Lee sur fond de Thrash basique (« Self Proclaimed J.C. ») avait quelque chose de terriblement attachant. Il est évident que trente ans plus tard ou presque, l’album n’a pas vraiment bien vieilli, mais il reste une anecdote sympathique, et témoigne de la vitalité de l’underground Thrash de l‘époque.
Certainement l’un des albums les plus faibles de ce dossier, mais aussi l’un des plus étranges, Sex Pig s’écoute comme on écoute une incongruité fabuleuse surnageant dans une mare de conformisme et d’opportunisme. Dommage qu’il n’ait pas été suivi d’un second tome, qui aurait éventuellement pu faire décoller les débats à un niveau moins amateur.
Line Up: Carlton Lee - basse, Tambre "Repulsa" Bryant - chant, Devin Walker, Mark McGee, Randall Markham & Tony Giuliani - guitares, Scott McKenzie & Tom Hunting – batterie
Date de sortie: 1994/S.O.B. Entertainment
Recommandations auxiliaires: DETENTE – Recognize No Authority, MEANSTREAK – Roadkill, THE GREAT KAT – Worship Me or Die
23 – END ZONE – First Bequest
Nous voilà parvenus à la moitié des années 90, alors que le Metal a opéré sa plus importante métamorphose, et divisé les fans en deux camps : la nouvelle génération, adepte de Fusion, de métissage et de mélanges disparates, et l’ancienne, attachée à ses valeurs Metal héritées de la NWOBHM, de la vague Hair Metal de 1986, ou du mouvement Thrash germano-américain. Les deux factions s’affrontent, mais la première remporte victoire sur victoire, en se basant sur le succès grandissant de RAGE AGAINST THE MACHINE, KORN, et tous leurs suiveurs. Les magazines n’en ont plus que pour les survêtements brillants et les coupes à la colore-moi-le-nœud, mais dans l’arrière-boutique, les puristes continuent de s’affairer au son d‘albums moins marqués par leur époque.
Ainsi, la Russie continua son travail de sape et s’empara d’une grosse partie du territoire Thrash, avec des guerriers de premier plan qui ne craignaient plus la domination américaine et allemande. Et 1995 fut l’année de parution d’un album d’importance, le premier d’un groupe venu de Moscou, et prêt à en découdre avec toutes les légendes de l’époque.
END ZONE est en quelque sorte l’exemple le plus frappant de la scène Thrash Progressive de Russie. Avec un premier long qui taquine l’heure de jeu (treize morceaux, il faut oser, même en plein milieu des nineties), le collectif moscovite nous en donnait pour notre argent, d’autant que ses options à cheval entre le Techno-Thrash et le Heavy agressif et mélodique se montraient pertinentes et efficaces.
De plus, le groupe pouvait aussi compter sur des arrangements inhabituels à base de flûte et de claviers, sans s’aventurer en terre gothique comme la plupart des héros de l’époque. Avec un bassiste rappelant le jeu du regretté Roger Patterson (ATHEIST), un chanteur/guitariste hargneux aux riffs acérés, et un batteur au rendement maximal, First Bequest était un sacré pavé dans la mare, et l’affirmation de la domination de la scène Russe sur la scène Thrash internationale.
Difficile de croire que l’ex-URSS ait pu rattraper son retard avec autant d’aisance. Alors que les groupes des années 80 faisaient sourire de leur amateurisme, leurs descendants directs s’affirmaient comme des techniciens redoutables, ce que prouvent ici des compositions aussi alambiquées que « Conqueror Night » ou « Dangerous Gift ».
Assez proches de leurs collègues de HIERONYMUS BOSCH, les END ZONE jouaient à un jeu dangereux, et rappelaient les meilleurs dealers de technique des années 80/90, les ATHEIST, CORONER et autres VENDETTA, avec ce petit plus d’originalité slave qui ne crache pas sur les fantaisies brusques.
En 1995, cet album pouvait paraître anachronique, mais moins que d’autres œuvres antérieures évoquées dans ce dossier. La production assez efficace et anonyme permettait de ne pas rattacher les compositions à une époque trop précise, et les montées en puissance autorisaient même des accointances Death qui n’étaient pas pour déplaire aux fans d’extrême multiple.
Histoire de montrer sa culture et son respect des ainés, END ZONE se fendait même d’une reprise de SODOM, via l’un de ses morceaux les plus niais (« Remember the Fallen », pas indispensable mais clin d‘œil sympathique), avant d’aller decrescendo jusqu’à la fin d’un disque aux morceaux de plus en plus courts, mais pas moins fascinants pour autant. D’ailleurs, un instrumental complètement fou réconciliant JETHRO TULL et DEATH ANGEL servait de passerelle à un épilogue logique (« Candlestick of Parcass »), et achevait de démontrer toute la singularité d’un groupe qui ne souhaitait pas se fondre dans la masse.
Hautement recommandable, First Bequest reste aujourd’hui un témoignage important de la revanche russe sur le destin et le calendrier, et précéda même deux autres LP dont la teneur est aussi intense. A réhabiliter d’urgence.
Line Up: Roman Senkin - basse, Igor Lobanov - guitare/chant, Oleg Mishin - guitares/claviers/flûte, Valeri Dedov – batterie
Date de sortie: 1995/MetalAgen
Recommandations auxiliaires: HIERONYMUS BOSCH – The Human Abstract, CORUM – Riffhead, SHAH – Terror Collection
24 – ABHORRENT – Rage
1996. L’année du Roots de SEPULTURA, d’Evil Empire de RATM, de Heaven Shall Burn... When We Are Gathered de MARDUK, d’October Rust de TYPE O ou du séminal Ænima de TOOL. Comme vous le constatez, l’heure était assez trouble pour le Metal classique et le Thrash formel, ce qui n’a pas empêché un groupe brésilien de se faire une toute petite place dans l’actualité de l’underground, via un album assez intéressant.
Puissant, malin, ancré dans son époque. Voilà comment définir en quelques mots le premier longue-durée des brésiliens d’ABHORRENT, dont le nom aiguillait faussement sur la piste d’un Death rageur et agressif. La première trace discographique d’ABHORRENT remontait alors à 1988, l’année de parution d’Horrible Slaughter, leur première démo, qui précéda de quatre ans la seconde, Blood on Your Lips. Et quatre autres années furent nécessaires à l’élaboration de ce premier long, noyé dans la masse des sorties de l’année 1996.
Ces originaires de Brasília n’avaient cure des modes de l’époque, et refusaient le moindre compromis. Passionnés par le Thrash des années 80, la décennie qui les vit naître, les ABHORRENT n’en étaient pas moins conscients des impératifs de leur temps, et proposaient donc un subtil mélange de Thrash classique, de Groove Metal up in time et de Techno-Metal humble, mais manifeste. Et l’un dans l’autre, en mode poupées russes, il était tout à fait possible de concevoir Rage comme l’assemblage des syncopes southern d’EXHORDER et du sens de l’à-propos du SEPULTURA des années Arise.
Ajoutez à cette pâte une réelle envie d’en découdre à la ACCUSER, et une facilité de riffs à la EXODUS, et vous obtenez toutes les composantes de l’équation, facile à résoudre.
Contrairement à beaucoup d’albums de cette liste, Rage ne se voulait pas enfant spécial, mais bien le fils de sa génération, avec quelques nuances. Si en effet les réflexes de PANTERA trouvaient un écho sur le petit marteau des brésiliens, ils n’en restaient pas moins fidèles à des méthodes que FORBIDDEN ou SLAYER prônaient quelques années auparavant. On retiendra de ce premier album une rage qui transpirait des sillons, une production parfaite à la caisse claire sèche, mais surtout, une propension à composer des morceaux vraiment explosifs, à l’image imparable de « The Witch », qu’on aurait pu trouver sur l’insurpassable The Law d’EXHORDER.
Mais Rage devait aussi beaucoup de son impact à sa brièveté. Alors que l’époque était aux longues digressions et aux CD remplis jusqu’au dernier bit, Rage jouait l’impact is imminent, et ne se dispersait pas en palabres inutiles. Ce qui n’empêchait guère Marcos Vireoli et Ricardo Thomaz de lâcher un nombre impressionnant de riffs, dont la méchanceté crasse était admirablement mise en valeur par le timbre rauque et sauvage de Robson Aldeoli.
Comme vous le constatez, l’efficacité dans l’agencement était la préoccupation majeure des brésiliens. Avec ce sens de la pertinence, Rage a pu traverser les années sans sonner obsolète ou trop connoté 90’s, et reste aujourd’hui un formidable témoignage de la force de la scène brésilienne. ABHORRENT publiera trois albums, recommandables à divers degrés, et incarne encore aujourd’hui l’autre visage du Metal des mid-nineties.
Line Up: Robson Aldeoli - chant, Marcos Vireoli & Ricardo Thomaz - guitares, Fabrício Cinelli – batterie
Date de sortie: 1996/Autoproduction
Recommandations auxiliaires: CRIONIC – Different, ANTAGONIST– Antagonist, EQUINOX – Labyrinth
25 – BEWITCHED – Diabolical Desecration
J’avoue que sur ce coup-là, j’ai hésité. Longuement, et ce, pour plusieurs raisons. La première et la plus importante : tout le monde ou presque connaît BEWITCHED, ce qui rend cette entrée obsolète et non avenue. La seconde, BEWITCHED n’a jamais joué durant ses primes années de Thrash, mais plutôt un Blackened Speed tel qu’on le conçoit aujourd’hui, avec force clous, cuir, pseudos fleuris et mélodies souillées. Mais j’ai fini par me laisser tenter à en parler dans ce dossier au regard de l’importance d’un premier album qui a pris pas mal de monde à rebours à l’époque.
BEWITCHED vient d’Umeå en Suède, et jouait dans les années 90 avec les codes du Black Metal et du Heavy Metal, produisant une musique beaucoup plus fine que ces bracelets cloutés et ce maquillage ne laissaient augurer. Qui plus est, BEWITCHED est l’un des rares groupes en ces pages à toujours exister en 2022, même si son dernier témoignage date de 2006.
Mais, back in 1996, Diabolical Desecration se posait là, et faisait la fierté de son label Osmose, spécialisé dans les exactions BM et les crachats de bile Death. BEWITCHED était donc le trublion de son catalogue, mais un trublion génial, paillard, et très au fait des œuvres de MOTORHEAD, VENOM et IMPALED NAZARENE. Et l’image est là : Diabolical Desecration était le gros bâtard né des folies sexuelles du coït entre Cronos et Lemmy, le tout sous le regard malveillant de Mika Luttinen.
Préfigurant la vague old-school qui nous noie depuis deux décennies, BEWITCHED jouait la carte du flou et de l’ambivalence, et obligeait l’auditeur à jouer le disque pour savoir de quoi il en retournait. Aussi efficace qu’une cuite au gros rouge, ce premier album plaçait déjà la barre très haut, et prévenait des dommages cérébraux à venir.
Pas moins de treize morceaux pour quarante-sept minutes de boucan, tel était le menu copieux de ce longue-durée décidément très vicieux. Mais s’agissait-il de Thrash pour autant ? Oui, à condition de considérer VENOM ou AT WAR comme tel, non en termes d’épaisseur et de violence, la brutalité étant ici très modérée, et plutôt axée sur un chant nasillard et fourbe que sur des riffs lourds et tranchants.
Mais dans le marasme des nineties et son lot de métissages improbables, Diabolical Desecration faisait office de bouée de sauvetage pour les fans d’extrême pas encore prêts à se jeter dans le bain bouillant du Black Metal. Euphorique, ce disque incarnait le pendant positif d’un underground alors voué aux gémonies de la Suède et de la Norvège, ou aux exactions Grind de l’Angleterre et des Etats-Unis.
Ce disque assez différent il y a moins de trente ans, semble parfaitement dans son élément en 2023. Il démontre d’ailleurs que bien des combos de la nouvelle génération doivent payer leur tribut aux anciens, et remercier BEWITCHED d’avoir ouvert l’autoroute du Blackened Speed/Thrash, si souvent empruntée de nos jours. Chouchou de la fanbase du quatuor suédois, Diabolical Desecration est une expérience temporelle excitante, et reste aujourd’hui l’un des albums les plus pertinents de son créneau. Et pourtant, BEWITCHED lui offrira quatre frères, qui n’ont pas réussi à surpasser ce premier cri.
Line Up: Blackheim - guitare/chant, Vargher - guitare/chant, Reaper – batterie et Wrathyr - basse
Date de sortie: 12-08-1996/Osmose Productions
Recommandations auxiliaires: VENOM – Black Metal, WITCHERY – Restless & Dead, KAT – Szydercze Zwierciadło
26 – BURNT OFFERING – Walk of the Dead
Le parcours de BURNT OFFERING a été plutôt erratique. Formé en 1986, ce quatuor de River Grove dans l’Illinois a publié deux démos à un an d’intervalle, avant de nous régaler d’un premier album éponyme solide et pugnace. Mais alors qu’on les croyait lancés définitivement, ils se sont murés dans le silence après une troisième démo (Monster’ed, 1990) au lieu de confirmer ce tonitruant départ. Dommage, mais parfois, le hasard fait mal les choses et empêche les plus valeureux de savourer leur victoire.
N’exagérons tout de même pas, BURNT OFFERING n’ayant jamais dépassé le statut d’espoir underground de la cause Thrash, bien loin derrière les valeurs les plus sûres. Et c’est en 1998 qu’on les retrouve, armés d’un second longue-durée tout aussi persuasif que le premier, quoique plus sauvage et frontalier.
Frontalier de quoi ? Du Death et du Thrash, la frontière étant fine dans ce cas précis. Entre un HEXX plus solide et un INFERNÄL MÄJESTY moins occulte, Walk of the Dead avait tout d’un pèlerinage post-apocalyptique parmi les hordes de zombies, de créatures de la nuit et autre mutants radioactifs de routes encombrées par les véhicules abandonnés. Se basant sur une texture Thrash pour y greffer des éléments de Death américain de l’orée des années 90, BURNT OFFERING était une curiosité dans l’espace clos de la fin des années 90, qui avait célébré le comeback de grosses têtes d’affiche et l’avènement d’outsiders prêts à prendre le pouvoir.
Envisageons donc ce deuxième album pour ce qu’il représentait. Une sacrée accolade au métissage furieux de la fin des années 80, avec un catalogue impressionnant de riffs, et une prestation rythmique incroyable de justesse. Entre Death lourd et Thrash souple, BURNT OFFERING osait le mi-chemin sans compromis, et signait l’un des disques les plus attachants de sa génération. Ainsi, entre deux soli purement Metal se cachaient des breaks en coup fourré, mais la fluidité de l’ensemble lui permettait d’éviter l’emploi de gimmicks trop évidents.
Sans vraiment incarner le renouveau d’un genre qui renaissait de ses cendres, Walk of the Dead était une bouffée d’air frais dans le marasme ambiant, et la confirmation que tous les musiciens ne cédaient pas à l’appel des sirènes du modernisme. Loin d’un SLAYER tâtant du Nu-Metal pour rester à la mode, BURNT OFFERING restait les deux pieds campés en terre eighties, ce que confirmait la sympathique reprise du classique « Black Metal » de VENOM.
Vitesse, épaisseur, allusions multiples, BURNT OFFERING continuait son chemin sans se poser de questions, mais en soignant de très bonnes chansons. Si la production un peu fouillis sonne datée aujourd’hui, les prouesses en fills de Mitch et la multiplicité des thèmes proposés par Martz permettaient de se dégager d’une tutelle trop encombrante, ou de prendre l’eau de toute part sur la mer d’une époque trop connotée Fusion des sens.
Pas indispensable mais savoureux, Walk of the Dead était une carte postale d’une autre époque, et une profession de foi Thrash qui flattait les sens les plus sincères. Le groupe, en hiatus depuis vingt ans n’a pour le moment pas renouvelé ses vœux, mais pourrait bien débarquer un beau jour soutenu par un label indépendant. Anne ma sœur Anne, préviens-moi si le soleil poudroie.
Line Up: Martz - guitare, Hal Shore - chant, Mitch – batterie et Dolph Ciringione - basse
Date de sortie: 1998/SOD Records
Recommandations auxiliaires: INFERNÄL MÄJESTY – Unholier than Thou, AFTERLIFE – Surreality, ADRAMELECH – Psychostasia
27 – DROŸS – And If…
Il en fallait un avant la fin, et il fallait que ce soit celui-là. Comme beaucoup d’autres, ce fut une fulgurance géniale avant le retour à l’oubli, mais DROŸS peut se targuer d’avoir sorti l’un des plus grands albums de Thrash progressif des années 90.
Fondé en 1989 à La Verrière en Île-de-France, DROŸS a rongé son frein pendant dix ans, vivant de démos, d’un EP et de multiples concerts, convertissant toujours un plus grand nombre de fans. De fait, lorsque le premier album vit enfin le jour, ces mêmes fans étaient à même d’apprécier le chemin parcouru par les français. Dans la plus droite lignée du Thrash agressif et technique popularisé par ATHEIST, SADUS, NOCTURNUS et une poignée d’autres, And If… ne sonnait comme aucun autre disque de l’époque, même si la scène française des nineties avait révélé des cas assez remarquables de musiciens enfin désireux de produire leur propre musique, et non plus de se contenter de copier les références internationales.
Nous avions eu SUPURATION, CARNIVAL IN COAL, PROTON BURST, la quintessence de l’avant-garde capable de rivaliser avec les plus grandes productions étrangères, nous avions désormais DROŸS, avatar génial d’une génération décomplexée, et très consciente de ses possibilités.
Ce premier album n’a qu’un seul défaut : il fut le dernier. Pourtant si vous parcourez le net, vous trouverez des myriades de reviews élogieuses, tapant parfois dans le mille d’un 100% de satisfaction, ce qui est chose normale : And If… était imperfectible, sauvage, indomptable et à la valeur au moins égale aux plus grandes œuvres du genre. Pendant cinquante minutes, le quintet nous prenait en otage d’un monde complexe, étrange, sombre et inquiétant, superposant des mélodies biscornues à des accélérations rythmiques ventrues.
Sans chauvinisme aucun, puisque je considère que la musique ne doit pas connaître de frontières ou montrer ses papiers à la douane, cet album est de loin mon préféré de cette liste sélective. On y trouve tout ce que le Thrash progressif a pu offrir de plus culotté, avec cette touche purement Death que NO RETURN et LOUDBLAST ont manipulé à merveille. Avec ses inflexions jazzy, cette basse incroyable de Jean-Michel Boudet, et ces riffs incessants de la paire Erik Moisset & Benoit Antonio, DROŸS jouait sur la dualité soie/barbelé, et nous envoyait un bon coup de triphasé dans les neurones.
Superbe de bout en bout malgré sa durée étendue, And If… fédérait tous les publics, malgré sa production un peu rêche. Les Thrasheurs, les fossoyeurs Death, les esthètes du Progressif, et évidemment les acharnés de l’avant-garde et de l’expérimental, malgré une emprise bien concrète. Empruntant au vocabulaire de VOÏVOD de quoi traduire ATHEIST, DROŸS jouait crânement sa carte, et capitalisait sur une décennie de peaufinage, explosant en plein vol d’une énergie incroyable.
Comme je le précisais plus en amont, cet album fut l’épiphanie mais aussi l’oraison de DROŸS. Alors que la voie semblait pavée pour une carrière fantastique, le groupe disparut corps et âme dans le néant, nous laissant avec des espoirs méchamment déçus et des attentes frustrées. Ecouter cet album en 2023 est une expérience toujours enrichissante, et reste la preuve - s’il en était besoin - que les années 90 incarnaient le réveil d’une scène française extrême de qualité internationale.
Line Up: Erik Moisset & Benoit Antonio - guitares, Alexandre Zangueneh - chant, Nicolas Borg – batterie et Jean-Michel Boudet - basse
Date de sortie: 1998/Polymorphe Records
Recommandations auxiliaires: MEGACE – Human Errors, SUPURATION – The Cube, CATACOMB – In The Maze Of Kadath
28 – THORNCLAD – Coronation of the Wicked
La Suède, à nouveau, pour un album qui pourra paraître bien anonyme aux lecteurs de ce dossier, mais qui dans l’imbroglio de la fin des nineties incarnait un point de liaison avec un passé pas si éloigné.
THORNCLAD n’aura connu qu’une très courte carrière, entre 1995 et 2000, et n’aura proposé qu’un seul longue-durée, un an avant sa séparation et la publication d’une dernière démo en 2000. D’obédience très classique, le Thrash de ces originaires de Linköping était toutefois intéressant, puisqu’il semblait compiler toutes les tendances de la décennie. Un peu technique, un peu Groove, mélodique mais agressif, il synthétisait toutes les possibilités offertes par un genre relooké et revisité, et finalement, symbolisait mieux que n’importe quel autre disque tous les mouvements des années 1991/2000.
C’est pour cette raison qu’il se retrouve dans cette liste, et non simplement au regard de son importance ou de ses qualités. Si les morceaux étaient assez bien construits, la voix de Viktor Klint, un peu chevrotante dans les graves était assez difficile à supporter sur la durée, mais heureusement, le côté lapidaire de titres comme « Two Leads One » ou « Master the Flesh » permettaient d’oublier les approximations et les quelques erreurs de débutant.
Bénéficiant d’une production honnête, Coronation of the Wicked tentait le coup du grand écart entre Metal expérimental mais harmonique et Thrash évolutif, et réussissait son coup la plupart du temps. Grace à une rythmique méchamment pulsée, THORNCLAD parvenait à citer SLAYER, ACCUSER, NO RETURN, mais restait tout de même sagement entre des balises fixes. Et si cet album ne pouvait en aucun cas rivaliser avec les références de l’époque, il est l’un de ceux qui ont le mieux vieilli, justement parce qu’il se montait allusif à toutes les étapes Thrash franchies depuis 1983.
Reconnaissons aussi au quatuor suédois une étonnante facilité dans les transitions, passant sans heurt d’un plan ultrarapide à une cassure Heavy mélodique. C’est d’ailleurs le point fort de Coronation of the Wicked, dont chaque titre était constitué d’une ossature solide sur laquelle venaient se greffer des déviations soudaines.
Pas grand-chose d’autre à dire à propos d’un groupe qui aura disparu aussi discrètement qu’il n’aura émergé, si ce n’est qu’une reformation pourrait éventuellement confirmer un potentiel assez intéressant.
Line Up: Filip Carlsson - guitare, Viktor Klint - chant/guitare, Adrian Hörnquist – batterie et Jonas Remne - basse
Date de sortie: 1999/Loud 'n' Proud
Recommandations auxiliaires: HAVOC MASS – Killing The Future, FORTE – Destructive, PARADOX – Collision Course
29 – CABAL – Midian
Un seul nom pour justifier de la pertinence de cette entrée dans ce dossier : Killjoy. Killjoy, aka Frank A. Pucci fut l’un des acteurs les plus prolifiques de la scène Thrash/Death mondiale, eu égard à ses contributions au sein de NECROPHAGIA, THE RAVENOUS, KILLJOY, VIKING CROWN, HIDDEN, ou WURDULAK, pour n’en citer que quelques-uns.
Insatiable compositeur et musicien, Killjoy n’a pas chômé suite au split de NECROPHAGIA en 1987. Il se lança dans une autre aventure sous son propre sobriquet, avant de monter projet sur projet, dont ce CABAL, sorti de nulle part et responsable d’un seul album au tournant du nouveau millénaire. Et si la simple évocation de son nom suffisait largement à anticiper ses moindres exactions, CABAL n’en reste pas moins l’un de ses concepts les plus immédiats et violents.
Quand on pense CABAL, on pense inévitablement à Clive Barker, allusion plus que marquée par le titre de ce Midian y faisant directement référence. Frank n’a d’ailleurs pas eu besoin de chercher bien loin ses compères pour cette nouvelle aventure, puisque le line-up comprenait trois anciens membres de KILLJOY, Rob Albaneso, Paxton House et Mark Wolfe, plus un ARCH RIVAL, Dave Gilliland. Le résultat de cette association ? Un Thrash/Death lapidaire, construit sur la brutalité de transitions abruptes, et agrémenté de quelques mélodies et ambiances sombres pour relever le tout.
Mais relever un tel plat épicé relevait du sadisme pur.
En effet, Midian est incontestablement l’un des albums les plus brutaux de cette liste. Loin des turpitudes techniques et progressives, ces sept titres rentraient dans le lard, à la mode NECROPHAGIA, et la cadence d’abattage de Paxton House avait de quoi donner le tournis, même si les plans Heavy imposés par la paire Mark et Dave permettaient de reprendre son souffle.
En résulte un album immédiat, efficace, puissant, fidèle à l’éthique de Killjoy, trop heureux de pousser les curseurs au maximum une fois de plus. Mais là où l’anecdote est intéressante, c’est que cet album a été enregistré au légendaire Morrisound entre septembre et octobre…1990. Dix ans entre l’enregistrement et la sortie, ce qui explique ce style ancré dans les eighties, et la remasterisation effectuée en 1997 a permis d’actualiser le son, et de le rendre plus épais et plus brutal.
CABAL est en fait né des cendres de KILLJOY, lui-même conçu après la mort de NECROPHAGIA. Les anciens comparses de Killjoy souhaitaient emprunter une voie différente, plus consensuelle entre SCORPIONS et QUEENSRYCHE, ce qui fit que le célèbre chanteur enterra le projet. Mais même après avoir fondé un nouveau groupe sous son propre surnom, Killjoy avait une fois encore envie de dévier, et de donner naissance à une nouvelle entité, avec le même line-up que KILLJOY. On se perd un peu en conjectures, mais ce qui est certain, c’est que ce Midian a bénéficié de nouvelles compositions, et ne résulte pas d’un simple assemblage d’anciens morceaux de KILLJOY.
Et Killjoy l’affirme lui-même : CABAL était destiné à être le plus Heavy de ses projets. De fait, Midian est le plus 90’s des albums sortis en 2000, et reste aujourd’hui un autre témoignage de la créativité du bonhomme. Il s’écoute toujours aussi bien, et incarne le versant le plus nihiliste de la scène Thrash/Death de la fin des années 80. Frank décéda malheureusement en 2018 d’une faiblesse cardiaque, mais a laissé derrière lui un des héritages les plus fondamentaux de l’extrême.
Line Up: Mark & Dave - guitares, Killjoy - chant, Paxton – batterie et Rob - basse
Date de sortie: 2000/Red Stream, Inc.
Recommandations auxiliaires: NECROPHAGIA – Holocausto De La Morte, THE RAVENOUS – Assembled In Blasphemy, KILLJOY – Compelled by Fear
30 – FATAL EMBRACE – The Ultimate Aggression
Il était impensable de ne pas achever ce tour d’horizon des trésors cachés des nineties sans revenir au point de départ : l’Allemagne. En 2000, le Metal classique connaît depuis quelques années un net regain d’intérêt de la part de la nouvelle génération, avide de savoir quelles sont les influences de ses groupes préférés. Et évidemment, cette quête devait la mener outre-Rhin, là où tout ou presque a commencé en termes de Thrash violent et bestial.
Bonjour les SODOM, DESTRUCTION, KREATOR, TANKARD, DEATHROW, HOLY MOSES, VENDETTA, et bonjour FATAL EMBRACE, digne héritier de cette noble lignée paillarde, mais diablement efficace et parfait contrepoint de la préciosité américaine.
Formé en 1993 à Berlin, FATAL EMBRACE incarne quelque part le point de départ de cette vague rétro-Thrash qui va squatter les colonnes des webzines, alors même que le quintet accuse déjà sept ans d’existence au moment de la naissance de ce The Ultimate Aggression. Le titre était alléchant, mais la musique trahissait un classicisme incontournable, et cette agression ultime se montrait quand même assez sage, et proche de ce que KREATOR avait pu enregistrer de plus médium, ou de ce que FLAMES et HOBB’S ANGEL OF DEATH avaient prôné en leur temps comme valeurs de violence.
De fait, ce premier album (second si l’on compte The Way to Immortality, considéré comme une démo ou un LP selon les sites) était le parangon d’une attitude de fidélité envers un style qui avait encore son public. Alors que les valeurs sures continuaient leur parcours en déviant quelque peu de leur trajectoire d’origine, FATAL EMBRACE s’accrochait à SLAYER ou EXODUS pour parler un langage universel inventé entre les années 1983 et 1984.
Rien de foncièrement notable, mais une sacrée énergie, de l’épaisseur dans les moments Heavy, et une foi sans faille placée en des riffs traditionnels, mais mémorisables, avec une tendance à coller aux tympans dans les moments les plus sombres (« The Last Rites »), ou à cavaler à bride abattue dans les instants les plus empressés (« Breeder Of Insanity »). Thrash jusqu’au bout du médiator, avec cette petite touche Death conférée par le chant graveleux d’Heiländer, FATAL EMBRACE tirait le coup de feu annonçant le départ d’une cinquième vague Thrash européenne, très à cheval sur les principes, et fondamentalement nostalgique des bases.
Sympathique à défaut d’être indispensable, The Ultimate Aggression était l’ultime agression avant la floraison, et nous ramenait aux grandes années de la guerre amicale entre les Etats-Unis et l’Allemagne. Nous en sommes tous sortis vainqueur, et FATAL EMBRACE a continué sa carrière sans jamais connaître de rupture, sortant régulièrement des albums attachants.
Comme quoi, (presque) tous les chemins mènent à Berlin.
Line Up: Karsten & Christian Grigat - guitares, Heiländer - chant, Martin Pfeiffer – batterie et Ronald Schulze - basse
Date de sortie: 2000/Gutter Records
Recommandations auxiliaires: SODOM – Get What You Deserve, DEKAPITATOR – We Will Destroy... You Will Obey!!!, INSANE – Wait And Pray
Oh bon dieu... quel boulot encore une fois ! Je vous tire mon chapeau cher collègue !
De la lecture et des découvertes en perspective !
+1 avec le commentaire ci-dessus !
Respect !
Je me suis converti l'intégralité de la partie 1 du dossier en PDF. Je crois que je vais faire pareil avec la partie 2
Excellent !
Merci beaucoup pour les découvertes (j'ai déjà jeté une oreille sur les albums de Acid Storm, End Zone et Droÿs qui m'ont l'air très bon ).
Merci beaucoup,
Allez jeter un œil sur le Métal Argentin:
Notamment V8 avait sa place ici, surtout avec son 1er album "Luchando por el Metal"
L'Argentine à produit beaucoup de très bons groupes. C'est une Terre de Métal.
A+
@Alain974 : V8 est en effet un excellent groupe, mais plus Heavy que Thrash. Ses trois albums sont excellents, mais ils sont sortis dans les années 80, et ce dossier traite des années 90.
Ce qui ne vous empêche pas d'aller les découvrir évidemment, je recommande particulièrement El Fin De Los Inicuos, leur troisième album et le plus abouti.
Superbe travail : chapeau !!!
M'en vas écouter tout cela, j'en connais les 3/4 mais encore des pépites méconnues ici. Bravo
"...jouer un concert en Arabie Saoudite. Un honneur absolu et un privilège. Les loups du nord apporteront la tempête hivernale à Riyad !"Un véritable honneur absolue de jouer en Arabie Saoudite, la ou les apostas sont condamnés &agra(...)
21/11/2024, 08:46
Quand on se souvient du petit son des années 80... Mais la prod ne fait pas tout, ça reste du pilotage automatique. C'est pas avec un truc pareil que je vais me réconcilier avec eux, et ça fait 20 piges que ça dure.
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J'avais pas vu cette chronique. J'étais au soir avec Ulcerate et je n'ai pas du tout regretté...Le lieu : il y a forcément un charme particulier à voir ce genre de concert dans une église, surtout que le bâtimen(...)
15/11/2024, 09:51
Le who's who des tueurs en série. Un plus gros budget pour l'artwork que pour le clip, assurément. (...)
14/11/2024, 09:20
J'imagine que c'est sans Alex Newport, donc, pour moi, zéro intérêt cette reformation.
11/11/2024, 16:15
NAILBOMB ?!?!?!?!Putain de merde !!! !!! !!!J'savais pas qu'ils étaient de nouveau de la partie !!!Du coup, je regarde s'ils font d'autres dates...Ils sont à l'ALCATRAZ où je serai également !Humungus = HEU-RE(...)
11/11/2024, 10:09