Le label Head Records est une institution qui incarne un large pan de la scène locale. L'explosion du Rock Indé, du Hardcore New School, du Noise et du Grunge dans les années 90 avait donné vie à des groupes comme Lunatic Age, Tantrum et Drive Blind, puis SpinningHeads dont faisait partie Abel Gibert, aujourd'hui à la tête (…) de son label. Head rassemble beaucoup de groupes régionaux ou d'ailleurs, suivant un spectre assez large mais cohérent. C'est aussi une quantité impressionnante de concerts organisés sur la même période, faisant venir et revenir nombre de groupes américains légendaires à prix cassés dans de petites salles, pour se fixer dans la cave du Black Sheep, cave d'un bar rock dont Abel devint programmateur. Il reçut même un prix pour ce travail. Hélas, il n'a pas été possible d'accéder à nouveau à cette salle après le déconfinement définitif. Nous lui devons tant que la présence à l'anniversaire des vingt ans était obligatoire. Le Rockstore n'était pas plein, mais l'affluence n'aurait pas pu rentrer dans l'une de ces arrière-salles que nous avons tant fréquentées ensemble.
L'idée était de faire jouer pas mal de groupes en peu de temps, le Rockstore étant aussi une boîte de nuit qui termine donc ses concerts tôt, surtout un samedi. Aussi ADOLF HIBOU avait ouvert bien à l'heure avec le show le plus barré de la soirée. Ce trio guitare-batterie-chant a repris après une période d'inactivité. Il mélange Noise, Grind et Rock dans un esprit expérimental gravement surréaliste. Le chanteur avait un short noir et fluo, et sur la tête une cagoule de couleur à laquelle pendait la boule à pointes d'un fléau d'armes bien moyenâgeux – qu'il finit par enlever violemment au bout d'un moment. Entre ses growls et ses cris, il utilisait aussi un jouet de chien qui couinait, comme un instrument à part entière revenant souvent. Les riffs et compos étaient tout autant déjantés, le guitariste allant même gratter les cordes dans la tête de l'instrument. Cette démarche déjantée n'en est pas moins fort agressive ou lourde comme un sauropode selon les moments, avec des sonorités qui ne peuvent se reproduire parfaitement en live. Cette explosion d'énergie est tellement spontanée et paradoxale qu'elle ne peut susciter que des avis tranchés. Après un morceau rajouté après la défection de deux groupes sur les huit au programme, cela s'est achevé par des salves de confettis assez cohérents avec l'ensemble.
LOONS se présentait aussi comme un trio, mais de membres extrêmement jeunes en comparaison avec le reste de la programmation et la moyenne du public… Ils confessèrent qu'eux-mêmes n'avaient même pas vingt ans. Et pourtant, ils s'inscrivent droit dans la tradition de cette scène locale en mêlant du Noise avec de nombreuses touches de Deftones dans le riffing et le chant, et une touche globale de Shoegaze. On était saisi par la maîtrise décomplexée qu'ils montraient de cet exercice, aucunement impressionnés bien qu'autrement plus graves que le combo précédent. La crise sanitaire aurait pu avoir raison de ces vocations naissantes, mais ils y ont puisé patiemment une maturité musicale très rare à cet âge. On passait du chant clair à des hurlements, des riffs montés au tempo d'une section rythmique qui fait le boulot – étant entendu que ce n'est pas le genre qui la sollicite le plus, tout en étant indispensable. Reuno apparut soudainement à ma gauche, simple spectateur curieux avant de monter à son tour sur scène. N'ayant encore qu'un mini à leur actif et soucieux de perpétuer la tradition de cette scène Montpelliéraine dont ils incarnent la nouvelle génération, les trois Loons terminèrent avec deux reprises de Drive Blind, groupe mythique qui incarna avec succès la déclinaison languedocienne du Grunge dans les années 90. La première était instrumentale (et excellement choisie), la seconde accueillit les chœurs d'une invitée. S'ils en portent les t-shirts, c'est aussi parce que l'un des anciens membres les a aidés dans leurs premiers débuts. Sincèrement, Loons est parti pour aller très loin vu le niveau qu'ils ont dès leurs débuts, ça fait chaud au cœur de voir que ça continue si joliment.
Tant que nous allons chercher une pinte, savez-vous qu'après la séparation (assez tendue à ce que je crois savoir) de Drive Blind, l'un des membres est parti dans le groupe Electro Rinocérôse, dont l'un des titres a servi de générique à l'émission d'Hanouna pendant des années ?
On continuait avec MUDWEISER, l'une des signatures les plus prestigieuses du label. Le combo de Reuno et d'ex-Eyeless est d'un grand professionnalisme dans son style néanmoins bien relax. Leur Stoner à une seule guitare penche vers un Rock Blues charpenté que vers le Sludge poisseux. Le déhanché de Reuno, réinvention de celui d'Elvis Presley, en résume tout l'esprit. Si les morceaux sont honnêtes, son chant est le véritable atout d'une musique emballante qui transpire le Sud. Et puis ça change de l'entendre en anglais. On peut ricaner tant qu'on voudra de Lofo', Reuno ne se considère pas comme une star trop bien pour des labels ou des événements quasi-familiaux de ce genre, pas plus qu'il n'oublie ses années Montpelliéraines. Il nous racontera comment il a rencontré Abel, alors qu'ils avaient besoin d'un camion pour tourner, qu'il tenait à en rester le conducteur, et qu'il leur casa qu'il avait un petit label… J'ai mieux profité de Mudweiser sur cette scène correspondant au charisme chaleureux que le combo dégage, par rapport à des caves serrées. Ce fut court mais plaisant.
À l'image du catalogue d'Head Records, le public était assez varié dans plusieurs styles de fans de Rock en tous genres, assez féminisé également. Au fond, il y a plusieurs familles d'habitués pour un seul et même label, dont le relatif éclectisme était plus palpable ce soir que du temps des concerts classiques plus ciblés d'un coup à l'autre vers telle ou telle frange. Certains groupes avaient un peu de merch.
La dernière fois que j'avais vu SUPERBEATNIK devait remonter aux années Chirac-Villepin… Le trio a évidemment pris de l'âge après une longue séparation, mais l'alchimie prenait rien qu'à revoir leurs chevelures et moustache, comme si les 70's n'avaient jamais pris fin. C'est l'une des plus anciennes signatures du label, comprenant le guitariste de Marvin. Sur le rythme puissant et acharné du batteur surnommé "Chinois" à l'époque, ça envoie un Stoner énervé teinté de Punk voire de Hardcore par moments. Comment ne pas penser à Mötörhead ou Zeke ? Les vocaux sont partagés entre le bassiste et le guitariste, qui se renvoyaient un peu d'humour pince-sans-rire. Leurs vocaux restaient vraiment incompréhensibles, comme jadis, mais ça fait partie du plan. À l'époque l'album avait été enregistré à quatre, mais encore en 2023 le format à trois favorise une meilleure circulation d'énergie entre les membres qui s'entendent musicalement au poil, une vraie trinité sonore. De quoi nous remuer dans la bonne humeur, l'efficacité restant la priorité d'une musique délicieusement datée et franchement directe. D'autres dates sont prévues, le groupe paraît de retour pour de bon.
Le reste de la soirée était voué clairement au Metal, la part la plus sombre et dure du catalogue. Les Sétois de STUNTMAN ont eux aussi passés vingt ans de carrière, avec une discographie assez fournie en partie publiée chez Head Records, une expérience certaine des tournées en Europe et une capacité notable à renaître constamment malgré un personnel changeant. Un nouvel album est en gestation, et le groupe vient de recruter son nouveau bassiste. Comme d'habitude, ce fut une déflagration chaotique causée par le très explosif mélange de Hardcore, Noise, Post-Thrash et Stoner… Pour Brassens, vous repasserez. Cela s'agitait bien, devant, et si c'était la première fois que je voyais le combo sur une scène de cette dimension il n'était pas du tout écrasé par l'enjeu. Certes l'ancien bassiste de Darjeeling Opium était encore assez réservé et appliqué, mais c'était normal pour son premier concert avec sa nouvelle formation. Avec de la place et des éclairages à profusion, ça prend meilleure consistance. Lâchant comme toujours toute sa colère accumulée sur scène, le hurleur Rodolphe arpentait vivement la scène au point de tomber par mégarde dans la fosse qui le rattrapa sans mal et sans que la musique n'en souffrit. La setlist a vraiment évolué au fil des ans, mais Stuntman s'est encore durci et l'impact n'en est que meilleur. Avec un nouveau disque à l'horizon, si j'ose dire, demain leur appartient.
Enfin VERDUN venait terminer en apothéose la soirée, étant actuellement la formation la plus connue du lot, de retour dans la rue même où le groupe a trouvé son nom. Le quartet actuel a asséné son Doom Sludge habituel entre le vieux Sab', Saint Vitus et des réminiscences de Neurosis, à contre-jour dans une lumière rouge qui persista longtemps avant de varier. Comme la dernière fois ici même, David Sadok jouait de sa masse sombre de vocaliste aigu, la réverbération apportant le liant avec les riffs lourds et clairs, tirant vers le Psychédélique, que la guitare envoie sur les coups plus sales marqués par la batterie. Il fallait voir Abel en personne, mimant une grande prosternation sur le côté de la scène ! Le chanteur en profita pour demander de lui retrouver son portefeuille perdu en cours de soirée, et ça n'était pas une blague. Verdun ayant à présent une histoire assez riche, il était bien que la formation actuelle évoque son passé. De plus il leur revenait de par leur position de distribuer des remerciements à tous. Ainsi, un coup d'éclairage rendit un hommage largement mérité à Arbre, le mixeur planqué à sa table au milieu de la salle, qui avait déjà officié pour plusieurs des précédents groupes et qui est fort de l'expérience accumulée jadis au Black Sheep et dans son propre combo (Pay Day). Mais surtout, vers la fin de set, les deux anciens guitaristes furent successivement invités à doubler sur d'anciens titSotres et y apportèrent un regain de compacité sans nuire à la limpidité du son, ces vieilles compos restant plus obscures que les récentes. Cet achèvement triomphal laissa les spectateurs dans la joie malgré les défections de Nwar et Goodbye Diana.
Alors que nous nous faisions lentement mais fermement pousser vers la sortie, la pluie nous attendait dehors. Nous ne pouvons que souhaiter longue vie encore à Head Records et remercier pour tout ce que nous lui devons depuis tant d'années.
Merci pour cette belle chronique !
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NAILBOMB ?!?!?!?!Putain de merde !!! !!! !!!J'savais pas qu'ils étaient de nouveau de la partie !!!Du coup, je regarde s'ils font d'autres dates...Ils sont à l'ALCATRAZ où je serai également !Humungus = HEU-RE(...)
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