Carcass + Brujeria + Rotten Sound

Brujeria, Carcass, Rotten Sound

Victoire 2, Saint-jean De Védas (France)

du 19/01/2025 au 19/01/2025

Celle-là, on l'avait cochée depuis beau temps ! L'affiche de ce soir était impossible à rater. Cela faisait quelques années que Carcass n'avait plus tourné en tête d'affiche, et pour ma part je ne les avais jamais vus dans ces conditions : toujours en festival, ou en appui de groupes plus populaires. Mais cette première partie de l'Europa Rigor Mortis tour sillonne la partie la plus occidentale du continent avec un maillage serré, s'arrêtant jusque chez nous. À ma connaissance, les Liverpuldiens (de Liverpool) ne nous avaient jamais honorés jusque-là, y compris au XXe siècle où ils étaient passés vers Toulouse. Les plus anciens passionnés d'entre nous pourraient nous en dire plus. Carcass a été l'un des premiers groupes de Death et Grind que j'ai découvert, au temps de "Swansong", l'évolution déjà accomplie au sein de leur discographie étant passionnante pour l'époque, leur humour typiquement anglais et la partie la plus facile m'aidant à me familiariser à la plus extrême et à tous les groupes qui cherchaient alors à leur ressembler. Il fallut attendre longtemps une reformation et laisser encore passer des occasions ratées pour enfin les voir, en l'absence du regretté Ken Owen.

C'était dimanche, on pouvait donc se pointer tôt pour rejoindre la longue file devant l'entrée de Victoire 2. Le concert avait ramené beaucoup de gens qu'on ne voit plus habituellement mais qui avaient succombé à l'appel. Ce alors même que la tournée repassait pas loin une dizaine de jours plus tard. J'avais essayé de mobiliser quelques anciens, qui firent défaut l'un après l'autre les jours précédents, de toute façon c'était complet et le Tout-Puissant reconnaîtra les siens là l'arrivée…De l'autre côté de l'agglomération se tenait le concert des Enfoirés mais manifestement cela n'a pas pesé sur l'affluence ici, on se demande bien pourquoi. Bref, en délocalisant l'événement dans la salle voisine plus grande, la TAF a bien calculé son coup.


Il n'y avait pas de première partie locale et comme ouverture de luxe venaient donc les Finlandais de ROTTEN SOUND et leurs trente années au service de la cause. Pas de fioriture introductive à part cet éclairage brut et froid qui leur va si bien. Keijo le chanteur nous annonça vingt titres de Grindcore et demanda de venir plus près. La fosse érupta violemment dès la première note de leur Grind arraché, à la production Punk branchée sur la HM-2. Le début du set fut coupé quelques instants en raison de la mort subite du micro de la grosse caisse après cette attaque soudaine. Une fois tout en ordre, ce fut l'orgie pour les Moshers, avec le tempo qui passait régulièrement par du D-Beat pour varier le plaisir. Il y a du Crust chez eux, Discharge et Mötörhead rôdent. La basse joue ainsi son rôle même si elle se limite à suivre. Et pour moi c'était parfait pour s'échauffer la nuque avant la suite. L'absence de barrières permit les premiers stage-divings. Engagé, le groupe exprima son rejet de la politique et la timide espérance laissée par le cessez-le-feu enfin en vigueur à Gaza depuis ce jour même. Apparemment satisfait de sa place un peu ingrate au vu de son ancienneté, Keijo nous fit aussi acclamer les deux autres groupes. Cet agréable tabassage déboucha sur un paquito mosh bien de chez nous au milieu de la fosse pour le dernier titre, figure qui laissa Keijo assez amusé de cette tradition locale et réitéra ses félicitations pour notre passion. Nous partions sur des bases sérieuses bien que j'en eus volontiers pris plus que la demi-heure réglementaire.


Le merch des trois groupes était fourni, tant en habillage qu'en vinyles et autres babioles. Ayant déjà un vêtement et récolté un mediator la dernière fois, allons plutôt nous hydrater et saluer en chemin les nombreux compagnons d'armes que nous retrouvions ce soir.


Honnêtement je n'attendais pas grand'chose de BRUJERIA, son univers au second degré ne m'ayant jamais emballé et sa musique pas mieux. Néanmoins, maintenir cette tournée en dépit des décès de Juan Brujo et Pinche Peach survenus il y a quelques mois à peine, forçait un respect certain. Prenant possession de la scène sur une chanson mexicaine à plein tube, le gang entama avec un vieux titre que j'ai reconnu, avec les foulards sur le visage troués au niveau de la bouche. Inutile de beaucoup décrire leur Death Grind très groovy, mais il faut reconnaître qu'il a contribué à ouvrir la voie au Slam Death actuel à bien des égards et c'est peut-être l'une des raisons de leur succès persistant. De fait, ça fonctionnait assez bien et la fosse reprit son activité avec une intensité moins agressive. Seul chanteur dorénavant avec son micro filaire, El Sangrón assura sans aucun mal toutes les parties jadis partagées avec les membres historiques disparus l'été dernier. Communiquant d'abord en anglais, il s'aperçut rapidement que le public comprenait bien ses interventions en espagnol et il se mit à doubler ses propos dans les deux langues, demandant aussi s'il y avait des latinos dans l'assistance (si, por supuesto).

À mesure je reconnaissais encore pas mal de titres, alors que je n'avais pas réécouté Brujeria depuis des siècles : comme quoi quelques paroles marquantes ou intros comiques peuvent poinçonner la mémoire même quand la musique ne touche pas… En parlant de samples, celui de "Raza odiada", avec les musiciens mimant les tirs avec leurs instruments, avait une saveur particulière à la veille de la seconde investiture du président Trump. Le titre qu'ils avaient consacré au personnage n'étant cependant pas joué. Bien sûr, on mendia de la marie-jeanne et un titre consacré à cette plante fut martelé en chœur par le public sur un tempo bien Slam. Avec toutes ces transgressions primaires et provocatrices, l'ambiance était assez complice et le guacamole prenait un peu mieux que ce que je pensais. Certains riffs étaient typiques de Dino Cazares pour qui est habitué à son style. Mais c'était en réalité Anton Reisenegger (Criminal et Lock Up) qu'on pouvait reconnaître à la guitare malgré son visage caché. Quant au batteur, je pense qu'il s'agissait du fils de Juan Brujo. Après un ultime titre où El Sangrón brandissait de sa main libre une machette, les saluts se prolongèrent sur une chanson enregistrée consacrée à nouveau à leur herbe de prédilection.


Cette fois pas d'errance pendant la seconde pause, on en profite pour se placer au mieux en vue de ce qui va suivre, dans une bande-son oscillant entre vieux Punk et vieux Heavy, dans lesquels les fondateurs de la tête d'affiche avaient baigné dans leur jeunesse.


CARCASS ménagea la montée d'excitation collective en entrant progressivement sur scène dans une demi-pénombre au son d'un riff enregistré, avant l'explosion quand Jeff Walker arriva en dernier sur le riff introductif dévastateur de "Buried Dreams". Et dès lors je succombai sans retour dans une euphorie pathologique qui se maintint à un haut niveau constant au fil du set…Impossible de ne pas headbanguer sur ces riffs Heavy pionniers de tout le Death mélodique, qui m'accompagnent depuis mes premiers pas dans le Metal extrême. Un titre du dernier album passait bien derrière quoi qu'on puisse en penser à froid. Le groupe retranscrit bien sur scène sa production studio, particulièrement digeste à l'oreille. Quand l'intro légendaire d'"Incarnated Solvent Abuse" monta à nouveau dans la semi-obscurité, les fans de la période la plus extrême se réveillèrent vers la fosse : comment résister à des compositions aussi rigoureusement bâties sous leurs habits de Death Grind un peu compliqué et dérangé ? Je me décrochai un peu plus les vertèbres quitte à prendre et donner quelques coups sur des voisins heureusement compréhensifs ou vaquant à la même occupation. Sur l'estrade, la chose la plus frappante était le grand Jeff et sa longue basse, qui est assez changé maintenant qu'il a rasé ses dreads historiques.

Si les extraits de "Heartwork" étaient les plus fédérateurs envers la partie la plus large du public (car il y avait pas mal de touristes ou curieux venus par effet de bande, en vérité), deux ou trois extraits de "Swansong" apportèrent la part Rock la plus affirmée qui ne jure pas avec le reste tant l'inspiration Heavy Rock sous-tend une très grande partie de leur discographie. Dans cet esprit, l'ex Napalm Death Bill Steer partageait ses solos avec le nouveau co-guitariste James "Nippy" Blackford, parfois en duel d'un côté à l'autre de la scène. Bill, autre membre originel de Carcass, accuse nettement moins le poids des ans avec sa silhouette fine dans un t-shirt rouge vif, ses traits grimaçants à la serpe, sa vieille Gibson et ses cheveux toujours aussi longs. Son interprétation reste toujours appliquée en solo et engagée en rythmique malgré la variété substantielle des titres servis. Sur les plus anciens il assura les chœurs avec un micro sur pied, fidèlement aux originaux. Quant au petit dernier, il utilisait une imitation de Gibson avec laquelle il se borna à restituer impeccablement les parties à sa charge.

L'une des caractéristiques de Carcass est de ne guère relâcher la tension en cours de jeu, et cela s'est encore vérifié avec de nombreux enchaînements. On repassait ainsi à un Death mélodique aux gimmicks Heavy comme taper des mains en chœur au Gore Grind le plus antique avec le sample de "Genital Grinder" provoquant la fusion nucléaire des cerveaux des plus vieux fans. Le mosh devant était relancé de plus belle avec l'unique extrait du deuxième album, ainsi que le headbang sur la bordure du pit, devant parfois aider quelques slammers à passer ou atterrir. Jeff continue toujours à semer des mediators dans le bouillonnement du pit, parfois des bouteilles d'eau, et à blaguer même si son accent scouse au débit rapide n'aide pas à le comprendre. Des deux albums – fort ressemblants – de la période de reformation c'est le dernier qui fut privilégié, mais pas autant que lors du set abrégé de 2022. Pas de quoi relâcher mon excitation : quand je marque des breaks le bras pointé au ciel, c'est que je suis hors de moi.

Le rappel ne tarda pas à être consenti, Jeff lançant au micro un puissant "Sacrebleu !" avant que n'arrive l'un des plus fameux titres de "Necroticism", son sample et son démarrage à la double mythique. Le batteur Dan Wilding fut remis à contribution sur un solo de batterie que Jeff le contraignit à prolonger de manière comique en faisant mine de le regarder jouer, bière à la main, totalement détaché. Le sketch percuta avec le public avant d'amener vers l'intro d'un vieux titre greffé depuis longtemps sur d'autres morceaux postérieurs, qui fut ici l'éponyme de l'album le plus populaire du groupe, résumant à la fois une agressivité dont je n'avais cure et cette appétence pour le riff Heavy de tradition bien britannique sur des growls criés qui ne faiblissent pas encore au fil des ans. De même, le plan final de "Carneous Cacoffiny" servit comme toujours pour clôturer définitivement un set d'une heure dix devant une forêt de cornes tendues à bout de bras.


Buried Dreams/ Kelly's Meat Emporium/ Incarnated Solvent Abuse/ No Love Lost/ Tomorrow Belongs to Nobody (raccourci)/ Death Certificate/ Dance of Ixtab/ Black Star – Keep on Rotting in the Free World/ Genital Grinder - Pyosisified / Exhume to Consume/ 316L Grade Surgical Steel/ This Mortal Coil/

Corporal Jigsore Quandary/ Ruptured in Purulence-Heartwork-Carneous Cacoffiny.


En reprenant mes esprits je me constatais en nage avec le cou fracassé. Mais jamais je n'avais vu Carcass aussi bien mis en valeur, et des roustes d'un tel niveau j'en veux bien encore tous les mois. Le temps que la salle se vide lentement dans la grise douceur d'entrées maritimes, il y avait la place pour se désaltérer et débriefer très élogieusement dans un esprit de communion genre sortie de messe. Au reste, je m'en suis remis plus vite que d'autres gros concerts brutaux de ces dernières années. Il y aura encore du Death Metal au programme des prochaines soirées, mais dans un style différent, et aussi des sorties plus éclectiques. En attendant, quelle mémorable soirée !


par RBD le 23/01/2025 à 12:15
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