Depuis quelques années, l’association What the Fest se démène pour faire vivre les musiques déjantées et gentiment provocantes à Montpellier. Son activité culmine à l’automne avec l’organisation d’un festival joliment baptisé "Ex Tenebris Lux" qui court sur le mois d'octobre et qui va pas mal nous occuper les prochaines soirées, même si je ne participerai pas à toutes les dates. Mais rien que la soirée d'ouverture méritait l'attention. L'Antirouille est une salle à deux pas de chez moi qui a été constamment sous-utilisée pour le live, malgré son ancienneté sur la place et son excellente configuration avec une grande scène dans une pièce en largeur, qui met à l'aise autant les artistes que le public. Il faut dire que les exploitants successifs ont été généralement réticents : il est bien plus facile et rentable de programmer à jour fixe des soirées dansantes pour étudiants que des petits concerts au succès incertain.
Pour la soirée d'ouverture du festival, la salle était pleine comme je l'ai rarement vue, peut-être complet. L'affiche rassemblait non seulement les membres de l'association sans doute, les proches du groupe local d'ouverture et les quelques fans d'Industriel de la région. Un bon ticket qui augure, on l'espère, d'un succès d'ensemble des festivités prévues.
Le groupe d'ouverture était on ne peut mieux choisi à propos, incarnant l'espoir en cours d'accomplissement de la scène locale au moment de la sortie d'un premier album longtemps attendu. "Reconstruction" vient enfin de sortir, produit par Alan Douches en personne, et exhibe les progrès fulgurants d'UNSPKBLE en quelques mois. Le quartet s'installa un par un dans le sillage d'un lent arpège réverbéré du guitariste androgyne. La confirmation du statut actuel est apparue rapidement évidente, malgré un son trop compressé aux marges – mais bien mixé. L’album étant mis à l’honneur, Unspkble a servi ce Post-Punk aux tendances gothiques, ambitieux et maîtrisé, qui forme son identité actuelle. Tirées par cette guitare cristalline et tintinnabulante au moyen d’une réverbe subtilement dosée, les compos sollicitent aussi la basse (ce qui fait plaisir quand on sort de New Order) et des parties de batterie pas toujours simples. En effet, le tempo n’est pas toujours rapide malgré l’engagement revendiqué des paroles. Cette retenue crée des ambiances froides et raffinées à la Bauhaus, qui montrent que le groupe s’est partiellement affranchi de l’influence du premier Killing Joke – le Post-Punk – qui était très prégnante auparavant. Même de loin, on saisit vite que le combo rassemble quatre fortes personnalités distinctes, ce qui peut être le terreau pour de grandes œuvres, si tant est que ce trait caractérise les groupes les plus marquants au prix de tensions parfois légendaires. L’osmose semble cependant excellente sur scène, et bien entendu avec aussi les amis des premiers rangs qui mettaient une ambiance englobant la salle entière.
L’un des atouts très précieux de la formation est d’avoir un chanteur d’origine britannique, qui maîtrise donc l’anglais mieux que personne tout en jouant d'une facette expansive bien de chez nous, son gobelet de pastis à la main. Aidé par un jeu d'éclairage riche (la salle est bien équipée à ce niveau), le groupe montrait un sens du show, une truculence que le chanteur partage avec les autres et qui est peut-être même trop débordante. Elle équilibre la froideur brute des compositions mais on avait du mal à capter toutes ces phrases euphoriques combinant l’anglais, le français et expressions méridionales. Peu importe, le rythme s’accélérait devant un public conquis depuis l’origine et malgré un temps qui passait sans qu’on s’en rende compte, par exemple avec ce "Struggle" au refrain simple, hargneux et fédérateur qui pourrait devenir un classique. Au bout d'une heure (!), un ultime titre final clôtura le set en apothéose, sur sa structure ternaire avec des parties de batterie tribales à la "Big Paul" Ferguson et un mini theremin qui chuintait entre les mains du chanteur. Sans chauvinisme ni rien devoir aux membres d'Unspkble, je crois que l'on tient le prochain monstre de la scène locale depuis Verdun, dans un style certes bien distinct. Les amateurs de Post-Punk, Rock Gothique ne peuvent passer à côté.
Comme à l'époque mythique où toutes ces scènes naissantes cohabitaient à l'aise malgré leurs grandes différences, le changement d'ambiance était net avec le duo Chicagoan HIDE.
Dans une pénombre épaisse on scrutait d'un côté une table de mixage, confiée à un blond aux cheveux longs qui attirait la sympathie avec son t-shirt Autopsy. De l'autre, une grande chanteuse dont la tête était encagoulée dans un filet à mailles épaisses. Dès les premières notes on était dans le bain de sonorités primaires, accompagnant les cris filtrés et distordus de la chanteuse Heather Gabel. L'obscurité était zébrée par des éclairs blancs calés sur le tempo, effet visuel fondamental commun à toute cette scène. Car vous l'aviez pressenti, il s'agit d'Industriel pur dans la grande tradition. Avant le titre suivant, Gabel le dédia à la personne qui l'aurait insultée en coulisses pendant qu'elle se changeait. Plus tard elle se mit dans une position pour le moins suggestive dans ses vêtements déchirés laissant voir beaucoup de ses tatouages… Dans ces territoires musicaux si extrêmes, on ne s'étonne pas de telles provocations qui ne sont qu'une manière d'exprimer ce que les mots ne peuvent dire. Sa danse macabre dégingandée sur ses paroles brutes et torturées parachevait un spectacle malaisant mais familier dans le genre. Et pourtant, elle ne supportait pas d'être filmée et partit plusieurs fois dans le public pour faire baisser des téléphones qui la filmaient, voire jusqu'à en confisquer un… Pas commode, mémère, mais c'est habituel aussi dans ce milieu !
Les morceaux déroulaient de l'Industriel tout à fait classique à la Throbbing Gristle ou SPK, mais qui se distinguait par la sobriété de ses effets qui ne s'empilaient jamais en plusieurs couches. Une musique somme toute très simple dans sa dureté, ce qui explique sans doute pourquoi le public demeura accroché, applaudissant parfois malgré l'atmosphère horrifique et tendue qui s'était installée. Voir la chanteuse mimer sa pendaison au micro filaire sur un morceau dédié aux femmes Iraniennes était dérangeant mais nullement exceptionnel pour de l'Industriel. Elle finit par quitter sa cagoule pour lâcher un peu mieux sa chevelure abondante et montrer un visage torturé dans sa performance habitée et apparentée à ce que fait Lingua Ignota (avec qui elle va jouer prochainement). Alors que tout le répertoire niait ostensiblement la conception commune du rythme musical, un titre balança un kick primaire sur un temps peu courant, comme un métronome de répétition mal calé, mais venant à point pour délasser l'auditeur sans se compromettre. L'amateur éclairé s'était de toute façon coulé sans difficulté dans cette musique si difficile, si extrême et pourtant inépuisable et profondément vraie. Le set s'arrêta brusquement sans cérémonie, dans une certaine confusion, au bout d'une quarantaine de minutes seulement. Je ne sais si c'est vraiment un effet voulu qui serait cohérent ou si Gabel en avait marre de nous, en dépit des quelques salves d'applaudissements et cris persistant après son départ. Cela fait plaisir de voir au fil des ans que l'Industriel vit toujours bien et sans rien concéder malgré sa relative ancienneté, dans son univers à part au fin fond d'usines abandonnées. Les authentiques connaisseurs du genre étaient aux anges, les novices impressionnés par ce show minimal, sombre et spectaculaire.
On pouvait un peu pousser vu qu'il n'était pas tard. Espérons que le succès et la qualité de cette première étape se maintiendront pour la suite des événements.
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21/11/2024, 08:46
Quand on se souvient du petit son des années 80... Mais la prod ne fait pas tout, ça reste du pilotage automatique. C'est pas avec un truc pareil que je vais me réconcilier avec eux, et ça fait 20 piges que ça dure.
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15/11/2024, 09:51
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J'imagine que c'est sans Alex Newport, donc, pour moi, zéro intérêt cette reformation.
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