Kalandra + A.A. Williams + Lys Morke

A. A. Williams, Lys Morke

Maison Des Choeurs, Montpellier (France)

du 24/11/2023 au 24/11/2023

Bien qu'il fut annoncé de longue date, je n'avais pris ma place que quelques jours avant le concert de ce soir. Et bien m'en prit car c'était complet 48 heures avant. Même si cette tournée continentale prévoyait trois autres dates à portée de voiture d'ici, l'arrêt à Montpellier a ramené pas mal de têtes nouvelles. L'association What the Fest cumule les pleins grâce à une programmation haut de gamme, éclectique mais cohérente dans des lieux assez exceptionnels. C'était en partenariat avec Garmonbozia, ce soir. Dans un froid hivernal contraignant à ressortir pour la première fois depuis neuf mois les gants et l'écharpe, retour donc vers la "maison des chœurs" qui restera toujours la chapelle de l'Hôpital Général pour les vieux montpelliérains férus d'histoire comme moi. Peu avant l'heure annoncée du premier set, il y avait effectivement bien du monde même si la jauge sévère pour un lieu à part de ce genre fait que ce n'est pas non plus le métro à l'heure de pointe comme parfois ailleurs, c'est agréable.

Nous commencions donc avec LYS MORKE et son acolyte. Sur la scène installée dans le chœur, elle était au micro avec un petit clavier, tandis que lui en avait un autre plus large, une batterie synthétique et une cymbale. Derrière, une toile blanche servait de support à des projections plutôt sinistres parfois animales (du genre le lapin luttant contre la couleuvre ou des mantes religieuses en rorschach) ou empruntées à de l'art très contemporain. Quant à la musique d'Irene Talló de son vrai nom, il s'agissait d'une Electro un peu ambient assez sombre, préférant les rythmes lents mais capables de pousser régulièrement le tempo avec des beats finement retenus mais assez puissants grâce à un volume plutôt élevé, à la manière du bon vieux Trip-Hop. Ces rythmes plutôt sages permettaient que le mélange d'inspiration assez large puisse prendre. Ce qui en assurait complètement l'unité était encore plus cette voix, ce superbe organe déjà bien maîtrisé à un niveau surprenant pour cette jeune Catalane toute menue dans sa robe à facettes (Irene vient de Terrassa, l'une des grandes villes de la banlieue de Barcelone), à se demander si elle n'a pas eu un peu de formation classique malgré son registre tout ce qu'il y a de plus moderne. Entre ce joli chant et ce mélange d'émotions domestiquées, le set d'une demi-heure très consistant m'a laissé l'envie de suivre ce que pourrait donner la carrière à venir.


Peut-être vous rappelez-vous que j'avais déjà vu AA WILLIAMS à l'automne 2019 au Bataclan, première partie des Sisters of Mercy qui était encore largement inconnue avec seulement un mini en stock et un set qui était purement acoustique. Depuis lors il y a eu une collaboration et une tournée avec Mono, un album de reprises marquantes pendant le confinement et deux autres entièrement originaux qui ont donné en peu de temps un tout autre statut et une toute autre étoffe à l'artiste Londonienne. La scène était à nouveau décorée du A. lumineux posé à l'arrière, alors que l'artiste était accompagnée d'un batteur et d'un second guitariste ou claviériste selon les moments. Un peu de brume artificielle bien anglaise (réminiscence des Sisters ?) parvenait de temps en temps à cacher ce dernier, alors que j'étais près de la scène mais très à droite en regardant. Quant à la musique, la reconnaissance acquise par l'artiste s'est rapidement avérée pleinement justifiée. Il s'agit maintenant d'un Post-Rock épuré, lent (forcément), très classique voire intemporel, et redoutablement puissant grâce à la présence très fréquente de la guitare électrique. Mais là encore, la voix précise, basse et bourrée de mélancolie de la chanteuse y trouve le terrain adéquat pour déployer un répertoire bouleversant aux fins souvent brusques à l'image de cet "Evaporate" à déchirer les cœurs.

L'accumulation de fortes émotions tristes et rampantes, sur une méthode pas très éloignée d'Anathema ou The Gathering pour leur net côté atmosphérique, ne pouvait laisser le corps statique, ça s'enlaçait ici ou ça ondulait là-bas, dans le public. Le synthé, la guitare sèche ou une seconde couche d'électrique accompagnaient tour à tour ces morceaux élégants et noirs comme les cheveux de l'artiste. Les éclairages estompés par la fumée obéissaient néanmoins à un jeu travaillé. La sincérité de cette musique à laquelle j'ai trouvé un arrière-goût Folk proche de la musique noire américaine et son classicisme permettaient de s'y fondre pleinement sans qu'il soit besoin de connaître les morceaux. C'était facilité aussi sans doute par cette reprise dès le début de set, que je n'arrivais pas à identifier tout en étant certain d'avoir entendu ce morceau (c'était apparemment un vieux single de Placebo, qui n'était pas inclus dans son album de reprises du confinement). Le silence dans l'assistance en disait long. Il n'était pas surprenant qu'en mettant ainsi son âme à nu, la grande Williams n'exprimait entre les titres qu'une communication timide, à voix basse, mais que je crois sincère quand elle nous remercia et loua la beauté de cette chapelle Louis XIV dont le relatif dépouillement seyait si bien à son set. Car je veux bien croire qu'une salle sortant de l'ordinaire puisse pousser les artistes à donner leur meilleur. Surtout pour une musique aussi spirituelle et charismatique, dont elle géra la sortie en s'agenouillant sur ses pédales et sortit sous une grande acclamation. AA Williams est au-delà des promesses aperçues il y a quatre ans à Paris, c'est déjà une incontournable de son genre musical.


Même si ça s'activait sur la scène derrière la jolie ferronnerie servant jadis de table de communion, le dernier interlude laissait le temps de remonter les jauges tandis que la foule se massait un peu plus vers l'avant.


Sans être de la toute première vague, KALANDRA aussi est devenu rapidement une figure de proue du drakkar de son style. Étant moins amateur de Folk nordique, je me le suis fait confirmer par une vieille amie qui, elle, s'y connaît bien. Et après un premier titre immersif, il fallait admettre la maîtrise très professionnelle du quartet, qui ne doit manifestement pas son succès uniquement à sa proximité humaine avec les autres grandes formations du genre. Une touche beaucoup plus moderne et Pop était très nette pourtant, dès que l'on voyait l'un des deux guitaristes prendre un archet pour le premier titre, ou dans les vocalises de la chanteuse et les synthés qui emmenaient l'air de rien dans les territoires de Björk. Sous les chapeaux et tenues vaguement folkloriques, le spectre musical était large sans pour autant verser dans un brouet opportuniste. Avant un titre en Norvégien (nynorsk ou bokmål on ne saura pas), la chanteuse nous mit au défi de chanter avec elle. Concentrée sur sa performance, elle montrait néanmoins un charisme plus communicatif en suivant la musique par ses gestes, en se penchant parfois sur un petit clavier, ou par des signes de complicité avec ses trois comparses.

Le voyage entre Pop et Folk marchait bien grâce à ces compositions de qualité servies par ces musiciens bien moins expansifs qu'elle – de vrais Vikings. Quant au batteur, il était l'air de rien assez sollicité dans sa tenue bizarre, une veste d'uniforme sans manche droite, laissant ce bras nu. Dans un jeu d'éclairages varié, une touche de Metal surnageait régulièrement dans l'emploi de guitares jamais complètement saturées mais évoluant dans des sonorités familières. Mais pour bien marquer l'ancrage fondamental, un titre instrumental à la corne joliment modulée se glissa en milieu de set. Les chaleureux applaudissements n'étaient pas volés pour un répertoire qui est certes dans le sens de certaines modes, mais travaillé, goûteux et fort de plusieurs couches. L'avant-dernier titre était un inédit où la chanteuse utilisa un bout de bois pour le frapper avant qu'une touche Metal presque à la Primordial ne prenne le dessus. L'ultime morceau apparemment bien connu des fans avec son début à chant aigu sur guitare sèche culmina la communion en un lieu dont là encore, la chanteuse ne manqua pas de dire combien ils l'avaient apprécié. Les rappels ne cessant pas après un premier salut, les quatre Scandinaves revinrent s'incliner une seconde fois pour faire comprendre qu'ils n'avaient plus rien en stock après un show qui n'avait laissé aucune place à l'imprévu.


Ne restait plus qu'à se retirer lentement vers un grand froid nocturne de circonstance, le cœur chargé d'émotions. Ce sont des soirées enchanteresses de ce type qui me motivent à aller voir inlassablement des affiches sortant des styles que j'écoute à la maison. On ne peut que remercier une orga' audacieuse qui prend le relais après que d'autres structures aient dû abandonner.


par RBD le 27/11/2023 à 11:11
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