Kraftwerk 3 D

Kraftwerk

Paloma, Nîmes (France)

du 10/05/2022 au 10/05/2022

Les tournées reportées à cause de la pandémie commencent enfin à venir. En l'occurrence, le concert de ce soir devait se tenir il y a deux ans quasiment jour pour jour et a été reporté deux fois. Peu après l'annonce de la première déprogrammation, l'un des membres fondateurs est mort en avril 2020 (il ne participait plus aux tournées depuis un moment déjà, mais bon). À ce point, le billet d'entrée devenait un placement à long terme. Enfin cette fois, nous y étions. Bien plus que la longueur négligeable du trajet, la distance allait être énorme avec le festival de Grindcore à peine digéré trois jours avant !

J'en entends déjà maugréer que Kraftwerk est hors-sujet, ce n'est pas du Metal. Ils sont invités à expliquer leurs arguments aux membres de Treponem Pal, puis quand ils auront ramassé leurs dents et recousu leur nez, ils pourront revenir. Et puis c'était probablement la dernière occasion que j'avais de les voir avec au moins un membre originel encore.


Parmi la file d'attente sagement enroulée au soleil du soir le long de la salle, il était clair que des gens venaient de loin, ça sentait aussi parfois l'Allemand qui passe sa retraite dans le Midi. En tout cas la moyenne d'âge était élevée. Peu avant de présenter mon ticket imprimé en 2019, une personne devant moi montrait à l'agent de sécurité un certificat médical pour son stimulateur cardiaque lui interdisant les portiques et fouilles à la poêle à frire… Mais il y avait quand même une part plus jeune, jusqu'à la génération des petits-enfants, qui savaient ce qu'on doit à Kraftwerk. Et pourtant, j'ai l'impression que ce n'était pas tout à fait complet. Avant d'entrer, on distribuait des lunettes 3D ; ça change des bouchons.


Il n'y avait pas de première partie. Comme pour Slayer il y a huit ans. C'est le privilège des très grands, en France. Selon sa présentation habituelle, KRAFTWERK se compose de quatre hommes en pyjama uniforme curieusement rayé, qui jouent sur des claviers posés dans des supports empêchant de les voir. Derrière, des projections en trois dimensions illustrent les titres. Et après une intro traditionnelle, dès "Numbers" puis "Computer World" il était évident que cela ferait de ce concert une expérience unique. Le travail était encore plus soigné avec "Spacelab" où l'écran montra successivement une carte google avec une punaise posée sur le site de la Paloma, le Pont du Gard avec la soucoupe volante passant devant, pour se poser finalement devant la salle ! Succès public garanti. La finesse du son n'était pas en reste, à se demander si tout n'était pas enregistré, simulacre suprême… En tout cas les longues incursions fréquentes dans la Techno contemporaine apparaissaient comme l'aboutissement de décennies de travail. En écoutant ensuite "the Man-Machine", force était d'admettre que ce groupe est tellement fondamental que même quand on n'est pas fan, on connaît tous les classiques. En scrutant spécialement Ralf Hütter à l'extrême gauche en regardant la scène, on le voyait murmurer les paroles, certes filtrées vingt fois, mais en parfaite synchronisation avec ce qu'on entendait, comme certains gestes. On remarquait aussi que Schmitz et Hilpert avaient chacun une pédale discrète sous le pied droit. C'était du vrai live !

Bien que captivés par le spectacle, certains dansaient un peu sur cette musique posée mais irrésistible, dont le legs se retrouve autant dans l'Electro, la New Wave, la Techno en général, la Minimale comme l'EBM, la Synth Pop… et même le Hip-Hop. Il fallait quand même jouer des coudes pour s'éloigner des emmerdeurs superficiels qui se croient en club ou au Teknival et qui commentent tout à voix haute, avec un humour de faible niveau. Quand on va voir ailleurs de temps à autre, on se rend compte que le public du Metal extrême est quand même l'un des meilleurs.

"Autobahn", titre crucial dans la carrière du groupe et probablement dans l'histoire de la musique toute entière, était illustré par un clip informatique qu'on aurait trouvé très moderne il y a quarante ans, et qui représentait un monde encore plus ancien où roulaient coccinelles et berlines Mercedes. Les plaques d'immatriculation faisaient discrètement référence au groupe, sa ville d'origine et l'année de cet album. L'enchaînement avec l'obsédant "Radioactivity" (légèrement réécrit pour être plus dansant malgré son sujet angoissant, en lui incluant des vers en japonais), puis le mélancolique "Metropolis" aurait pu résumer l'esthétique totale de Kraftwerk, louant la modernité pour mieux en critiquer les dangers mortels et la déshumanisation qu'elle porte, jusqu'à la désincarnation. Et pourtant cela est toujours exprimé sous un angle résolument rétro, exacerbé avec l'irrésistible "The Model" et ses illustrations parfaitement désuètes et légitimement acclamé. Kraftwerk, au fond, est un artiste majeur de la science-fiction.

Le groupe est aussi polyglotte, les versions françaises étaient ici privilégiées avec "Les mannequins" ou bien sûr un long "Tour de France" mêlant ensemble images anciennes et récentes artificiellement vieillies, comme si la grande boucle se répétait sans fin hors du temps. Ils nous avaient enlevés dans un monde parallèle qui copie le nôtre, un simulacre du réel décidément, ample, transversal mais cohérent jusqu'aux projections en faux relief. Cela s'achevait avec un faux voyage nocturne en "Trans Europe Express" fédérateur. Que ce soit en voiture, à vélo, en train ou en ovni, la sensation du voyageur en route reste le dernier plaisir authentique dans leur réalité. Là-dessus, ils se retirèrent une première fois, après une heure et demie qu'on n'avait absolument pas sentie passer, captivés.


La sono envoya alors "The Robots" et sa mélodie entêtante, le titre qui inventa l'EBM avant l'heure. La toile de fond s'affala et laissa apparaître au fond de la scène en surplomb quatre mannequins costumés en rouge et noir, avec une diode rouge comme épingle à cravate, qui agitèrent lentement leurs membres à l'unisson sous la clameur de la foule. Un crétin momifié monta sur scène pour exhiber ses maigres talents de danse, avant d'être vite exfiltré. Le rappel fut très techno avec un hommage explicite à la scène de Detroit (on aurait cru du Jeff Mills), puis à la Minimale avec "Mini Calculateur" (toujours le français) et le désespoir acide de "Computer Love", en version plus dansante sous ses vocaux toujours vocodés, houellebecquien avant l'heure. Enfin un long "Music Non-Stop" servit à faire atterrir doucement l'assistance. Les membres se retirèrent lentement un à un, saluant chacun l'assistance après être descendu de l'estrade. Ralf Hütter, en dernier, salua en trois langues et partit le dernier sous les vivats dus à une légende encore présente, après deux heures et deux minutes exactement.


Dans un créneau moins physique que d'habitude, j'ai quand même pris une énorme claque qui m'a fait oublier la déception des annulations et reports de Front 242 et des Krupps qui devaient passer les prochains jours – ç'aurait été un mois ultra EBM ! Les versions live actuelles des grands classiques de Kraftwerk me sont mieux passées dessus qu'en original pendant un apéritif coincé sur un bout de divan. Ils nous les ont tous faits. Bien que loin d'être l'affiche dont j'aurais rêvé toute ma vie, ce concert restera certainement inoubliable.


Setlist synthétique : Numbers/ Computer World/ Spacelab/ un titre quasi-Techno minimale/ The Man Machine/ Electric Café/ Autobahn/ Radioactivity/ Metropolis/ The Model/ Les Mannequins/ Tour de France/ Trans-Europe Express/

The Robots/ Planet of Visions/ Mini Calculateur/ Computer Love/ Music Non-Stop


par RBD le 14/05/2022 à 16:25
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