Entre deux confinements de 2021, je m'étais penché par hasard sur l'un des rares groupes internationaux qui avaient tournés pendant cette trêve. Linea Aspera tentait de promouvoir un album de reformation et la découverte fut pour moi un de ces chocs, de plus en plus rares avec l'âge, qui motivent la passion pour la musique et les recherches incessantes. J'étais complètement passé à côté quand Ryan Ambridge l'Anglais et Alison Lewis l'Australienne avaient sortis un premier album en 2012 avant de se séparer presque dans la foulée. En 2019, le duo s'était reformé pour un nouvel album et quelques tournées des capitales en dépit du contexte. Après avoir intensément usé la courte discographie de ce duo à l'activité discontinue, je me suis penché sur les travaux parallèles de la chanteuse, hyperactive plus productive que son comparse – un peu à la manière de Dead can Dance. J'arrivais même à voir Zoe Zanias (de son pseudonyme) assez rapidement, il y a un an, de passage en France pour son projet solo.
Quand parut l'annonce d'une nouvelle petite tournée européenne avec un arrêt aux portes de Paris en fin de semaine, je n'ai nullement hésité car avec les projets intermittents de ce genre d'artistes, une prochaine occasion est très incertaine (même s'ils maintiennent un agenda live assez régulier depuis la réactivation). L'organisation de cette brève échappée impliquait toutefois des sacrifices : la release-party que Soror Dolorosa tenait à organiser à Montpellier fut entretemps programmée pour le même soir. Mais entre revoir l'un et découvrir l'autre je n'ai pas reconsidéré mes choix… j'aurais bien aimé combiner quand même ! Comme avec la venue le lendemain de Camerata Mediolanense dans la campagne francilienne. Quant à Ultra Vomit quelques jours avant, je nous en dispense.
Malgré la neige exceptionnellement précoce je ralliai aisément Montreuil, dans la proche banlieue particulièrement sinistre et glaciale fin novembre, avec la gadoue fondue encore verglacée ici ou là. J'avais préféré prendre un hôtel à deux pas de la salle, mais avec le terme de la ligne 9 encore plus proche tout le secteur est pour ainsi dire dans Paris (je connaissais plusieurs communes voisines, mais pas encore Montreuil).
La Marbrerie est une salle proche de la place de la mairie dans une rue résidentielle peu passante, à l'entrée si discrète qu'il faut avoir le nez dessus pour la repérer (le van immatriculé en Belgique garé devant était un indice, connaissant l'affiche). Il est donc surprenant de tomber sur un espace assez vaste après un long couloir, les commodités et deux sas. L'intérieur n'est pas franchement avenant (peut-il en être autrement dans une banlieue industrielle ?) avec ses murs en parpaings nus et de vilaines poutres en bois, mais confortablement aménagé pour les spectacles avec une scène large, un balcon et un demi-étage sur le côté, dans l'ancien atelier où restent deux tables de travail en marbre rappelant l'histoire du lieu. Dans cet espace intermédiaire éclairé a giorno et chauffé il y a aussi des tables et une cantine avec bar, utile pour y dîner en attendant le spectacle. Toutefois, les affiches indiquent que seul le paiement par carte est accepté, ce qui est illégal et passible d'amende. Le vestiaire au sous-sol, par contre, est payable uniquement en liquide pour parfaire l'absurdité.
La soirée était dans le cadre du festival national "Les Femmes s'en mêlent", attaché à promouvoir la visibilité de la création artistique féminine (une bonne chose). Cela se ressentait dans l'assistance venue en nombre et très féminisé, un public de tous âges et assez typiquement parisien aux yeux du provincial égaré, y compris dans la bonne proportion d'étrangers et de tenues extravagantes.
L'artiste française ouvrant le spectacle venait de Bretagne en la personne de CARRIEGOSS, toute seule derrière sa table et ses claviers, un micro filaire en main. Elle servit un mélange de Synthwave et Darkwave nourri à la Synth Pop, dans une version qui m'a paru beaucoup plus pêchue que sur album. Elle assure elle-même le chant principalement en anglais mais parfois aussi en français, par exemple sur ce titre démarrant avec une ligne de basse réminiscence de l'archi-connu "Axel F." Ses capacités vocales sont réelles, et elle gérait fort bien l'ensemble de la performance avec une attitude aussi tonique et spontanée que sa musique, avec une communication très nature en accord avec l'impression qu'elle dégageait. Ce n'est pas si commun de mener tout ça de front sans aucune difficulté. Entre la puissance des lignes de claviers et la rapidité du tempo titillant l'EBM à plusieurs reprises, j'appréciai cette totale absence de mollesse alliée à une simplicité suscitant pareillement la sympathie. Ceci étant, une forme d'innocence se dégage d'un répertoire qui montre assez vite sa limite : aucun titre lent ne vient explorer d'autres sensations, aucune émotion ne monte vraiment de l'âme à part l'envie de nous faire danser. De même, les thèmes brièvement annoncés avant certains titres sont encore assez naïfs. Ces quarante minutes de légèreté énergique en clair-obscur sont passées agréablement, mais il faut à présent acquérir du fond pour dépasser le cadre du dancefloor.
L'ambiance allait s'assombrir et se rafraîchir avec le duo Belge SKEMER, constitué par Mathieu van De Kerchove d'Amen Râ (la caution Metal de la soirée, en somme) et le mannequin Kim Peers qui se chargeait du chant principal, sur un ton déprimé. Les premiers titres montraient une Electro Indus typée Cold Wave bien de notre époque, donc très froide, minimale, sur laquelle Kim dansait et se dévêtit en partie pour montrer une tenue simili cuir de cabaret érotique. Mathieu s'affairait sur des synthés et un Apple, ou empoignant la guitare pour libérer quelques effets très mesurés, comme ses soutiens vocaux tellement discrets qu'on hésiterait à les qualifier de chœurs. Après trois ou quatre titres de ce tonneau marchant outrageusement sur les plates-bandes de Boy Harsher, la musique se compliqua en montrant mieux sa facette Industrielle sobrement mais astucieusement utilisée, affirmant Skemer comme le groupe le plus exigeant à pénétrer de la soirée. Une certaine rudesse s'en dégageait, en contrepoint à la sensualité glacée déployée par la chanteuse. La fumée, plus généreusement envoyée qu'au premier set, complétait un tableau clairement construit. On pouvait se trémousser à l'image de Kim qui communiquait très peu entre les titres, en anglais. La sensation de rigidité brute, oppressante, sévère et noire qui se ressentait de plus en plus n'était pas sans similitude avec l'esprit d'Amen Râ, bien qu'empruntant un tout autre chemin. Cette approche subtilement plus Industrielle a quelque chose de très Belge aussi, tout simplement. Si le ton n'était plus au rentre-dedans basique, Skemer embarqua une bonne partie du public avec sa contribution distinctive à un style actuellement en vogue dans le petit milieu Gothique mondial, et son esthétique singulière. Ils nous quittèrent toujours sans mot dire, Mathieu se montrant plus amène en tenant leur stand de merch' à l'entrée qui était richement fourni. Moi qui venais d'acheter l'album d'un autre projet parallèle d'Amen Râ typé pur Death Metal brutal et orthodoxe, ce grand écart était intéressant.
L'installation sur scène de la tête d'affiche fut laborieuse, le temps de caler le matériel mais surtout les vocaux en dépit d'un mauvais larsen aussi récalcitrant que douloureux qui manqua de faire perdre patience à la chanteuse. Après un mot d'excuse elle se retira quelques instants en coulisses pour finir de se préparer. Le public s'était sensiblement rapproché et je me retrouvai bien serré dans les premiers rangs.
LINEA ASPERA lança son set sur la longue montée introductive de "Preservation Bias", tout à fait appropriée. Sans aucune décoration scénique au-delà de l'éclairage et de la fumée réglementaires, le duo laisse sa musique prendre tout l'espace à l'image de la complétude des deux personnalités. Ryan, quoiqu'il ne laisse paraître aucune raideur, est manifestement un timide, certainement introverti derrière ses favoris dignes de l'ère Victorienne. Il se concentrait pleinement sur ses multiples synthés afin de restituer au mieux ses créations d'un niveau que je peux qualifier de très rare. Sur une base EBM binaire n'hésitant pas à s'affranchir de ses limites au besoin, sa Dark Wave minimale se coule dans des compositions du plus haut niveau, bâties avec une finesse classique apparentée au meilleur de la New Wave de la grande époque, assumant d'exprimer des émotions accessibles au plus grand nombre. Il y touche au génie, mais cette matière est encore sublimée par le chant d'Alison, parfait ce soir, puissant, subtil et captivant de par la sincérité déchirante de l'émotion qu'elle aussi exprime sur la trame donnée par son binôme. Quand on connaît le travail solo de la chanteuse, pourtant intéressant, il est frappant que sa voix remarquable soit plus sollicitée et sensiblement mieux valorisée dès qu'elle collabore. Le résultat est bouleversant. Je ne comprends pas pourquoi il n'y a pas plus de groupes qui suivent cette direction expressive plus exigeante mais incomparablement plus porteuse que les marmonnements déprimés qui restent la norme dominante. Son attitude plus expansive l'amène à occuper toute la scène autant que possible, à sauter et se bouger micro en main, n'ayant qu'une petite boîte d'effets à gérer par instants, le tout avec une certaine élégance d'artiste à fleur de peau qui montre beaucoup plus qui elle est, avec sa forme d'intelligence très vive et un caractère certain.
Pour le coup, la variété du tempo et des sentiments dessinés par la musique et par le chant formait une expérience musicale pure assez intense. Le public était parfois pénible, le metalleux ne se fait pas au sans-gêne si fréquent partout ailleurs des papotages interminables aux premiers rangs. La setlist oscillant entre les deux albums et même la compilation d'inédits, et introduisant officiellement "Mycelium", nouveau titre sorti à l'occasion de cette tournée, qui est dans la droite lignée du second opus à la texture légèrement plus Pop et moins austère, soulignant même l'appétence de Ryan pour les boucles mélodiques. Les fortes acclamations meublaient largement les quelques pauses. Le seul véritable incident, assez comique, fut l'intro sèchement coupée sur "Hinterland", apparemment sur une erreur de manipulation de Ryan qui fendit ainsi un petit peu l'armure quelques instants, avant de relancer la machine. Certains titres remportèrent un succès spécialement marqué, comme cet "Attica" très marqué EBM ou le saisissant "Decoherence". Sur un temps de jeu assez long, il y avait la place pour fouiller en profondeur un répertoire limité à deux albums et une compilation, d'une qualité exceptionnelle. Ayant communiqué surtout par sourires et remerciements brefs, Alison annonça le dernier titre et, sortant un keffieh noir, commença par affirmer que la France avait toujours été du bon côté de l'histoire à la différence des Allemands – sachant qu'elle a vécu dix ans à Berlin ! – et se lança dans une déclaration de soutien à la Palestine (prévisible puisqu'elle avait fait de même à Marseille l'an dernier alors que la guerre commençait à peine). On se termina donc au bout d'une heure dix de jeu sur "Reunion", titre de clôture du premier album, la chanteuse quittant la scène avec force démonstration d'affection, Ryan finissant seul le morceau puis désertant à son tour le plateau en feignant l'indifférence aux bruyantes manifestations de satisfaction d'une salle qui espéra un instant un rappel difficilement envisageable en réalité.
Laissant passer l'affluence au vestiaire, je passai au stand sachant qu'Alison Lewis est du genre fusionnelle avec ses fans, embrassant à bras ouverts les uns et serrant les autres pour des photos. Il n'y avait plus de t-shirt à ma taille, mais elle a voulu me prendre les mains quand je lui ai simplement dit que je l'avais vue l'an passé à Marseille en solo, par exemple. Cette attitude est plutôt inhabituelle chez les anglo-saxons.
L'hôtel était tellement pratique par rapport à la salle que le lendemain matin je retombais sur le groupe dans le hall, prêt à attendre la voiture pour l'aéroport et Madrid où ils devaient jouer le soir même. Je repartais moi-même peu après, ayant un autre concert prévu à la maison et ne pouvant envisager de passer la fin de semaine à Paris. En tout cas le déplacement valait le coup.
Je ne suis pas au courant.. il s'est passé quelque chose récemment avec le groupe Al Namrood?
26/11/2024, 14:44
This band was part of a scene that's not there anymore. Squads, working class boys, demos and tons of hours in the street was the main on this mid 2000's punk/underground Santiago scene. Spend 4 years living t(...)
25/11/2024, 19:28
Merci pour le report ! Failli m'y rendre mais l'appel de la chair a supplanté celui des décibels . Mis&(...)
25/11/2024, 16:07
Bonne idée et en plus ça élargira les connaissances de bon nombres d’incultes pseudo metalleux en se produisant un peu partout
24/11/2024, 19:51
J'imagine que ça va fonctionner. Tournée dans les grands festivals assurée.
24/11/2024, 09:50
Alors, autant j'apprécie beaucoup Wolfheart, et cette news ne va rien y changer, autant, pour moi, l'Arabie Saoudite est l'un des pires pays au monde... Alors, je ne suis pas arabophobe, mais ce pays pue terriblement ! Je plains les Saoudiens (et surtout les Saoudiennes) qui(...)
21/11/2024, 18:01
"...jouer un concert en Arabie Saoudite. Un honneur absolu et un privilège. Les loups du nord apporteront la tempête hivernale à Riyad !"Un véritable honneur absolue de jouer en Arabie Saoudite, la ou les apostas sont condamnés &agra(...)
21/11/2024, 08:46
Quand on se souvient du petit son des années 80... Mais la prod ne fait pas tout, ça reste du pilotage automatique. C'est pas avec un truc pareil que je vais me réconcilier avec eux, et ça fait 20 piges que ça dure.
19/11/2024, 21:57