Napalm Death est le groupe international que j'ai vu le plus. C'était même symboliquement le dernier avant le premier confinement de mars 2020. On ne s'était pas revus depuis. Je n'ai jamais eu à aller vraiment très loin pour eux, tant ces chiens de tournée passent et repassent souvent en France, et quand j'ai décliné de participer à une expédition pour aller les voir vers Toulon je me doutais bien qu'une nouvelle occasion ne tarderait pas. Mais je ne m'attendais pas à un tel plateau qui justifiait que l'association TAF, gestionnaire de la Secret Place dont je vous parle souvent, décide de délocaliser l'événement à deux kilomètres à Victoire 2, qui n'en finit pas de s'imposer comme la nouvelle salle où ça se passe alors qu'elle est en réalité l'une des plus anciennes.
Sous une pluie fine annonçant une grande bataille façon Gouffre de Helm, je partis tôt car je tenais à ne rien rater. Le parking étant petit pour le gabarit de la salle, j'allais directement à mon plan b de stationnement et arrivai quelques minutes avant l'ouverture des portes. Les quatre groupes avaient du merch', Napalm un peu moins. Je n'étais pas le seul à avoir pris les mêmes précautions, on retrouvait tous les fanatiques de Grind de la région et de plus loin vu que c'était la seule étape de la tournée entre Genève et Bayonne. Pourtant, la salle de 650 places n'a pas atteint la jauge complète.
La raison de mon arrivée très à l'heure s'appelait WORMROT, que nous avions déjà vus il y a un an à peine à la Secret Place voisine. Ouvrant le set tout simplement par un blast, le trio avait employé à nouveau pour cette tournée européenne le growleur d'Implore, le groupe Allemand. C'est à mon avis le meilleur groupe de la jeune génération du Grindcore, complément parfait de la figure de proue du genre. Ils n'ont pas failli avec les riffs urgents, massifs mais soufflants déversés par Rasiyd le guitariste au sourire indécrochable. Après quelques minutes d'hésitation, la fosse se forma et les premiers slams apparurent même, c'était trop bon pour qu'on puisse réserver toute l'énergie pour la tête d'affiche. Dans cette salle plus vaste que l'étroite remise aménagée de la dernière fois, j'ai profité du spectacle de la batterie dès qu'il a pu avoir l'éclairage qu'il réclamait : les redoutables ponts qui parsèment les compos des Singapouriens sont pour beaucoup dans la qualité supérieure de leur répertoire. Le son était évidemment caractérisé par l'absence de basse, mais de toute la soirée je n'ai remarqué aucun problème particulier pour aucun des groupes. Un titre instrumental (je veux dire, sans growl) montrait leur capacité à concevoir des titres construits. Le chanteur revint en tenant son micro filaire comme un encensoir sur la masse de fans agités. Son beuglement était correct, il nous fit même une annonce en français correct. Après quelques photos prises sous une belle acclamation, Wormrot quitta la place au bout d'une demi-heure seulement. Cela partait sévèrement, mais entre le Grind de maintenant et celui des origines, il fallait faire un détour par deux styles apparentés.
PRIMITIVE MAN était déjà venu faire le groupe décalé sur une affiche de Grind il y a quelques années. Les deux joueurs debout sont maintenant tête rase, et ont installé leur arsenal de pédales sur des trépieds à hauteur de mains plutôt que par terre, se tenant de trois quarts. La basse faisait son retour. Je dois avouer que leur Sludge Doom Noisy du Colorado ne m'avait pas emballé jadis et que cela n'a pas été mieux cette fois. Cet étalage très lent de saleté oppressante, très sombre est apparentée à des formations comme Grief, Thou ! ou Indian. Je n'ai pas peur dans ces pénombres froides qui sont familières à une bonne partie du public Montpelliérain nourrie aux soirées légendaires du Black Sheep, mais j'ai toujours trouvé leurs riffs ennuyeux, patauds. D'autres appréciaient mieux ce tempo escargotique parfois relevé d'une bien légère accélération. On dit toujours qu'il faut s'immerger, avec ce genre de groupes. Las, ma tentative d'offrir une nouvelle chance à la formation Américaine de la soirée échoua dans des bâillements qui me poussèrent à aller prendre le frais dehors avec quelques compagnons de combat. Tant pis. Au retour, rien n'avait changé et le set s'acheva peu après sur un remerciement lapidaire du guitariste growleur, tandis que le bassiste brandissait haut son instrument.
Le nom de MASTER est connu et respecté de tous ceux qui connaissent l'histoire du Death Metal. Paul Speckmann était là au tout début, parmi tous les grands pionniers fondateurs de la scène Américaine qui naissaient au milieu des années 80. Mais son groupe n'a sorti son premier album qu'avec un certain retard, alors que ses camarades avaient déjà formé un peloton de tête difficile à rattraper. De plus, la qualité honnête mais moindre de ses productions ne permettait pas de remonter. Relocalisé depuis beau temps en Tchéquie, Master est toujours actif et vient même de sortir un album à ce que j'ai compris.
Le combo était lui aussi en formule trio, Speckmann avec sa barbe, sa cartouchière et sa basse dont il jouait les doigts nus, son guitariste de l'autre côté. Musicalement, la recette était simple : un Death-Thrash sur un tempo D-Beat, débouchant systématiquement sur un solo à la Slayer géré au vibrato par le guitariste avec une basse fuzzante en fond. Alors que les annonces du père Speckmann étaient juste marmonnées, son growl nature et marqué par les ans passait tout à fait. Avec le micro haut perché et ce rythme Punky constant, l'inspiration Mötörhead était criante. L'ensemble rappelle évidemment les premiers Death, Mantas, Massacre, Obituary et Autopsy, et ne peut que conquérir aussi les fans de la vieille scène Suédoise malgré un son légèrement différent. Master avait relancé sans aucun mal la fosse, sur sa propre cadence moins serrée mais tout aussi infernale que celle du Grindcore. Mieux encore on remarquait ça et là des t-shirts à l'effigie de ce groupe qu'on aurait cru oublié (attention, référence tordue à un concert récent) et même des fans vociférant muettement les paroles de tel ou tel morceau. Je n'avais jamais réalisé jusqu'ici que ce vétéran honorable avait réussi à constituer sa propre petite base à force de longévité tenace, le regain d'intérêt pour le Death à l'ancienne bénéficiant pleinement à tous ces groupes que l'on négligeait dans les années 90.
Le set privilégiait les vieux titres, à en croire les millésimes que le vieux druide mentionnait dans ses annonces. Une certaine redondance était incontestable mais personne n'en avait cure, tant le spectacle incarnait l'Old-School de tradition dans la pureté de ses origines. Après consultation de la coulisse, un dernier titre nous fut accordé sans aucun changement de direction. Il faudra donc aussi retenir de cette soirée que le temps a rendu justice à ce vieux cofondateur et son Death D-Beat tranquille mais pas mou.
Sans nous faire trop attendre une fois la batterie débâchée et la toile de fond bien visible, NAPALM DEATH lança les hostilités avec un "F.E.T.O." imparable, bourré de rage, Barney tenant les poings serrés derrière la tête selon son vieux tic d'autiste libéré, enchaîné avec un titre tiré de l'album de 2000 qui avait définitivement relancé l'institution dans une direction radicale. Dès la première pause, l'inusable voix du groupe fit mine d'être très surpris de ne pas être à la Secret Place pour ce énième arrêt à Montpellier. Il en profita pour confirmer avec un humour tout britannique que le bassiste à son côté n'était évidemment pas Shane, que ce dernier n'était ni viré ni gravement malade mais qu'il était resté à la maison, le poste étant temporairement confié à Matt Sheridan (Pro-Pain, Siberian Meat Grinder), grand mince à la barbe fournie qui s'exécutait avec énergie. Le propos redevint vite politique, avec une brève exhortation à accueillir les réfugiés que n'aurait pas reniée le Pape François et qui fut accueillie assez favorablement pour introduire "Contagion". J'étais déjà bien à fond quand enchaîna un inattendu "Rise Above" puisé dans le mythique EP "Mentally Murdered" qui marquait à la fois la dernière collaboration avec Lee Dorrian, la première avec Colin Richardson encore novice dans le Metal, et le virage vers un Death redoutable. John Cooke fait maintenant partie des meubles et il assure parfaitement un titre aussi ancien et rare.
Greenway reprit la parole avant "Resentment…", titre issu de l'ultime EP, pour nous expliquer que la haine pouvait être un sentiment légitime au début mais qu'elle finissait par nous gagner entièrement jusqu'à ce qu'on en oublie la cause pour devenir un état d'esprit permanent et terriblement néfaste. La violence du répertoire oscillant entre Grind plus ou moins pur et Death Metal ne laissait pas le temps de méditer telle réflexion. Un fan un peu devant moi, au premier rang à droite en se tournant vers le pied de la scène, réclamait régulièrement des titres comme une blague à épisodes avec Barney au long du set, le chanteur lui répondant à chaque fois. La fosse était dans le chaos total, en me tenant à proximité je pouvais bouger plus à mon aise mais il fallait régulièrement amortir les moshers centrifugés ou les slammers, rapides mais pas toujours adroits dans leurs incursions sur la scène (les micros filaires en firent les frais une ou deux fois). Je perdis définitivement la raison en entendant le riff d'ouverture d'"If the Truth…", un de mes titres favoris issu du mythique troisième album conçu au Morrissound, qui m'emballe plus que le classique jumeau obligatoire "Suffer the Children", efficace mais beaucoup entendu avec son habituel discours de présentation sur les religions vues comme des désordres mentaux.
L'abattage et le coffre du grand Barney sont assez stupéfiants pour son âge et après une carrière aussi intense, on le retrouve tel qu'il y a vingt ans, sans aucun signe évident de vieillissement ni de lassitude à tourner les trois quarts de l'année. Les titres datant du XXIe siècle passaient sans difficulté, avec un petit prêche pour la tolérance envers tous qui récolta quelques applaudissements, réaction plus fraîche ou plus solennelle je ne saurais dire… À côté de vieux camarades on remarquait une petite bande de fans exaltés venus clairement d'outre-Pyrénées qui cherchaient à sympathiser avec les Français qui les entouraient. J'abordais l'un d'eux en castillan, il me répondit en anglais de base qu'il me comprenait mais préférait échanger dans cette langue-là. Cela faisait longtemps, même là-bas, que je n'avais pas croisé des indépendantistes aussi radicaux mais surtout, c'était bien la première fois que je tombais à Montpellier sur des fans Catalans ou Espagnols pour un concert en pleine semaine ! D'autant que Napalm était passé à Barcelone en novembre dernier seulement (avec Shane). C'est dire l'attachement des fans.
"Mass Appeal Madness" ouvrit une séquence de très vieux titres plutôt Grind, courts, voire ultimement courts si vous voyez ceux auxquels nous eûmes droit avec cet enthousiasme taquin qui en font la saveur incomparable… "Scum" déclencha un mosh tempétueux dont les séquelles se faisaient encore sentir trois jours après. Au milieu, "The Code Is Red…" que j'aime beaucoup m'offrit un beau moment de communion avec l'un des Catalans d'à côté, qui partageait cette préférence et me prit par le cou presque tout le titre, me relâchant à la fin en râlant de plaisir "Temazo ! Temazo…", terme pour le coup bien espagnol qui est synonyme de "tube musical" en français. Cet esprit de fraternité était souligné aussi par Barney en personne, satisfait de retrouver au premier rang certains visages bien connus au fil des tournées. Et Danny dans tout ça, au fond ? Le batteur n'était pas mis en valeur par l'éclairage mais se tenait moins avachi que d'habitude, sans que la qualité de son jeu n'en souffre. La rigueur de la baston en cours tenait essentiellement à son aisance à enfiler des titres au rythme enragé mais peu constants.
La curiosité procurée par l'annonce d'une reprise retomba vite quand il s'avéra que ce serait celle bien connue des DK, servie avec un nouvel appel à nous, Français, à ne jamais laisser le fascisme revenir. Le final fut encore consacré au Grind pur des origines, avec le primaire et emballant "Instinct of Survival" comme dernière salve pour la fosse, suivi du titre de clôture d'"Utopia Banished" dans son style totalement inspiré par ce que faisaient les Swans au début, autre influence importante pour le groupe. Les plus grands fanatiques du pit en profitèrent pour se retirer dès lors, pour ma part j'appréciais bien cette perle oubliée en final avec sa citation tirée de "Full Metal Jacket" dûment restituée. Les Anglais quittèrent la scène sans se presser, après distribution de setlists et serrements de main aux premiers rangs.
From Enslavement to Obliteration/ Taste the Poison/ Next on the List/ Continuing War on Stupidity/ Contagion/ Rise Above/ Resentment Always Simmers/ That Curse of Being in Thrall/ Amoral/ If the Truth Be Known/ Backlash Just Because/ Fuck the Factoid/ Suffer the Children/ Mass Appeal Madness/ Scum/ M.A.D./ Success?/ You Suffer/ The Code Is Red... Long Live the Code/ Dead/ Nazi Punks Fuck Off/ Instinct of Survival/ Contemptuous
Je regagnais lentement l'extérieur, éreinté par cette nouvelle rencontre avec ce mythe toujours bien vivant et aussi remonté que jamais. C'était probablement l'une des fois où j'en ai le mieux profité et pour prolonger l'expérience je suis resté encore un long moment à reparler avec les uns ou les autres vétérans locaux de nos souvenirs ou de l'actualité musicale. S'il fallut quelques jours pour s'en remettre, on se souviendra encore longtemps de cette tournée.
Étant un grand fan de la Secret Place, je dois avouer que la visibilité de la scène à Victoire 2 aide quand même à profiter du show dans de meilleures conditions! une fois de plus, quel concert ! Les années passent et ne laissent pas de traces sur Napalm…
Dans ce genre de concert, pas de réf à un t-shirt porté...
T'es malade RBD ?
Merci pour ce live-report. Lecture fort plaisante ! Etonnant ce Napalm sans Shane.
P#t@i# ce que j'aimerais les revoir dans mon secteur.
@ Francis : Ha ha ! En relisant tu constateras qu'on parle d'habillement à propos de Master. C'est le seul moment où j'ai trouvais intéressant d'en parler. Les fans de Napalm ne passent pas beaucoup de temps devant leur glace... Il y avait beaucoup de t-shirts à leur gloire, le mien parmi eux, il y a encore un peu de marge avant d'en voir autant qu'à une date de Slayer ou des Sisters, mais on s'en rapproche doucement.
@Humungus sur la date de Magny le hongre, Paulo avait un tshirt Houwitser sur scène ça ma remis un coup de vieux lol
Sinon tout pareil que RDB sauf que j'ai pas vu les 2 premiers groupes et que c'etait pres de Paris !
Et 3 eme concert avec ma ptite nièce qui apres les concerts de thrash ( Slayer ), de hardcore ( Slapshot et Sick Of), elle est passée au cran d'au dessus avec Master et Napalm, manque pu que du Black et elle aura fait presque le tour ;)
Ils passent souvent près de chez moi, que ce soit dans l'est ou en Allemagne, c'est presque à chaque fois une baffe depuis 15 ou 20 ans que je vais les voir. Une seule fois en Allemagne c'était pas terrible, avec Barney dans le plâtre, l'an passé peut être, mais la fois suivante quelques mois plus tard (et ma dernière au compteur) a remis toutes les pendules à l'heure. J'ai pris une drôle de baffe comme rarement.
Alors, autant j'apprécie beaucoup Wolfheart, et cette news ne va rien y changer, autant, pour moi, l'Arabie Saoudite est l'un des pires pays au monde... Alors, je ne suis pas arabophobe, mais ce pays pue terriblement ! Je plains les Saoudiens (et surtout les Saoudiennes) qui(...)
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"...jouer un concert en Arabie Saoudite. Un honneur absolu et un privilège. Les loups du nord apporteront la tempête hivernale à Riyad !"Un véritable honneur absolue de jouer en Arabie Saoudite, la ou les apostas sont condamnés &agra(...)
21/11/2024, 08:46
Quand on se souvient du petit son des années 80... Mais la prod ne fait pas tout, ça reste du pilotage automatique. C'est pas avec un truc pareil que je vais me réconcilier avec eux, et ça fait 20 piges que ça dure.
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