Vous connaissez ma vieille fidélité à Sepultura, vous imaginez donc le coup de vieux lorsque le groupe annonça l’arrêt des activités alors qu’il me paraissait en pleine forme. L’annonce de la tournée bien à l’avance avec une date pratique à Paris a fait que, comme pour Slayer en 2018, je n’ai pas beaucoup hésité. La seule différence, à part la destination, est que je ne crois pas beaucoup à l’effectivité de cette annonce, une fois qu’Andreas Kisser aura bénéficié du break dont il a certainement besoin après le décès de sa femme. L’avenir le dira. En attendant, il y a une belle tournée à voir même si le fait qu’elle tombe en vacances entraîne que je n’aurai personne à voir à Paris à cette date, pas même mon vieil ami qui habite à côté du Zénith, et que je ne profiterai donc pas d’un séjour à Lutèce au-delà du concert.
Comme souvent, ce genre de grosses affiches commençait dès le matin sur le quai de la gare où on recroisait d’autres fans de la région, déjà en tenue, mobilisés pour les mêmes raisons. Paris s'est présentée grise et froide comme dans les pires caricatures au sortir de la gare de Lyon, mais inutile d’enchaîner les banalités du méridional en goguette alors que nous arrivons sans encombre jusqu’à l'hôtel puis à la salle, en configuration incomplète puisqu’un rideau interdit l’accès aux places les plus hautes. J’ai opté pour la fosse, même si la soirée s’annonçait longue. Ces Zéniths sont certes moches mais bien pratiques pour leur usage. Les divers points de merchandising à l’intérieur proposaient un choix de reliques différentes selon les spots, et cela valait le coup de faire un tour de chacun avant de se décider, même si pour ma part je n’ai rien pris. Derrière la large scène, les toiles de fond des différents groupes et de taille variable se voyaient déjà au-dessus de tout l’attirail de batterie.
À 18 heures pile le spectacle commençait avec les Pennsylvaniens de JESUS PIECE, et surtout un son abominable où rien n’allait. Les caisses en carton, le chant et les chœurs comme au filtre du yaourt, la basse inaudible, les guitares telles un moteur de scooter en souffrance… Avez-vous remarqué que ce genre d’horreur se retrouve plus souvent à ce niveau de première partie de grosse tournée que dans les petites salles indés. Musicalement, c’était un Metalcore Deathcore totalement basique, avec quelques plans slammy et rien que du déjà entendu, qui récoltait l’attention polie d’un public grossissant à mesure que les Parisiens sortaient du bureau. Je me suis retiré au bout d'une douzaine de minutes, alors que le chanteur afro avait tombé le t-shirt pour montrer de beaux abdos en tablettes et quelques tatouages. Revenu un peu plus tard une bière en main, le set se termina avec une production meilleure mais néanmoins poussive.
Le public rassemblait toutes les générations, démontrant que cette soirée de classiques n’était pas une affaire de vieux, et cela fait plaisir. On retrouvait un vieux camarade de l’époque de Violent Solutions avec lequel nous avons vus ensemble un certain nombre de fois ces groupes au fil des vingt dernières années en bien des endroits différents.
La motivation secondaire pour venir était la participation d’OBITUARY, qui a compté autant dans mon parcours musical que Sepultura en étant le père fondateur par lequel je suis véritablement rentré dans le Death mid-tempo qu’on n’appelait pas encore old-school. Pour accentuer la similitude je leur suis également resté fidèle même quand les albums étaient moins bons, les lives restant jouissifs. Et la dernière fois remontait à Barcelone en première partie de la tournée finale de Slayer, l’histoire se répète. Il ne fallait donc pas s’attendre à un vrai set complet comme il en sera dans quelques semaines lorsqu’ils prolongeront par une tournée en tête d’affiche qui repassera par Paris. On piaffait sur une vieille ritournelle de Pat Travers quand les tontons arrivèrent à quatre sous les acclamations pour attaquer classiquement "Redneck Stomp" et son riff qui ferait danser les morts (…), rejoints par John Tardy pour attaquer le premier titre chanté. C'est un bonheur de retrouver les Floridiens, leur Death redoutable mais détendu dans lequel je me suis senti toujours plus à l'aise que du côté des surenchères. Le line-up est stable depuis longtemps maintenant et Ken Andrews enfile les solos maintenant. John Tardy a pris l'habitude d'arpenter la scène en applaudissant penché vers ses fans, un peu comme Trump. Mais sa meilleure pose est évidemment le pied de micro en main avec son éternelle tignasse ondulante à peine raccourcie malgré les ans, à l'image de ses vocaux un peu usés mais si reconnaissables similaires à ceux des derniers albums. D'ailleurs la setlist menée bon train mit à l'honneur celui de l'an dernier, là où avec Slayer ils ne s'étaient adressés qu'aux nostalgiques. De toute façon de vieilles perles rares étaient ressorties comme "Deadly Intentions" ou "Solid State" aux côtés d'extraits du mythique deuxième opus (dont la pochette était prévue pour Sepultura et inversement, à l'origine). La fosse se déchaînait, on voyait quelques jambes surnager sous la mine concentrée du légendaire Terry Butler entre deux fumigènes et du plus souriant Trevor Peres dont la barbe fournie a recouvert depuis longtemps le visage osseux. Je remercie celle qui a profité de l'agitation pour déverser la moitié de sa bière dans la mienne dans le dos de son conjoint, même si le mélange était bizarre. Les trois quarts d'heure de jeu s'achevèrent sur le titre éponyme du premier album comme il est de tradition, pour un ultime défoulement en parfaite communion. Donald Tardy vint saluer en partant, torse poil dans son short au motif de la bannière étoilée. J'en aurais bien pris une heure de plus mais il n'y avait pas lieu de faire la fine bouche.
Redneck Stomp/ Threatening Skies/ By the Light/ The Wrong Time/ Deadly Intentions/ Chopped in Half/ Turned Inside Out/ Solid State/ War/ Dying of Everything/ Slowly We Rot
N'ayant jamais trop accroché à JINJER j'ai pris un peu de recul pour m'économiser, mais j'étais curieux de voir ce groupe dont le succès acquis en dix ans les met à cette place d'honneur. Leur mélange est réellement original, avec cette base Metalcore tirant parfois vers le Post-Thrash mais décollant constamment vers le Progressif dans le sillage de la voix assez remarquable de Tatiana. Le charisme scénique qu'elle dégage n'a rien de vulgaire ou provocant et compte beaucoup dans le succès de son groupe, les autres membres lui laissant volontiers l'espace. Le public comptait une bonne proportion de fans aux couleurs du groupe, connaissant jusqu'aux paroles, et une autre large partie était familiarisée au répertoire des Ukrainiens déjà érigé au rang de classique. Toutefois quelques vieux moshers rongeaient leur frein en attendant la suite. Jinjer a trouvé un angle parfait entre continuité avec ceux qui le précédaient et expression d'une écriture différente, de manière à faire avancer la scène. De plus, il ne ressemble pas au cliché des groupes d'Europe Orientale Black/Folk/Death Grind Ultrabrutal ce qui a certainement facilité leur succès international. Mais je n'ai décidément pas trouvé npn plus la touche Djent qu'on lui accole parfois. On se souvenait de l'étonnante touche Americana des débuts, qui s'est totalement effacée en faveur de ce profil progressif assez marqué. Il passe par des rythmes relativement lents mais conservant un minimum de tension. En écoutant plus avec le cerveau qu'avec le corps, j'ai finalement retrouvé mes impressions des écoutes à la maison, ni plus ni moins, sans ennui ni excitation. Leur set ne dura pas plus longtemps que celui d'Obie, il m'a semblé. Malgré une communication professionnelle, Tatiana ne fit aucune allusion à la situation de leur pays.
Pendant le dernier intermède je regagnai un placement plus avancé. Le t-shirt d'un fan chambrant les frères Cavalera, certainement une pièce unique, était assez savoureux. La pause se prolongea jusqu'au même enchaînement préliminaire "War Pigs" / "Policia" qu'en 2022, qui n'émanait évidemment pas de la fantaisie du sonorisateur.
L'obscurité se fit enfin sous une vocifération massive. Une longue introduction mixée monta comme de coutume avec les Brésiliens, jusqu'au remix "Chaos BC" qui chauffa à blanc la horde des fans, explosant finalement avec l'entrée des quatre membres de SEPULTURA pour une triplette dantesque des trois premiers morceaux de l'album de 93. Cet enchaînement provoqua un chaos assez phénoménal et une fosse plus large que dans mes prévisions, mais cela fait du bien de se faire bouléguer sur un répertoire aussi fondamental. Qui a les moyens d'arriver avec un pareil ? C'est gonflé, mais en quelques secondes tout le monde était à fond, en premier lieu les Brésiliens qui démarraient ainsi leur présumée ultime tournée européenne ce soir. Le son, propre mais pas trop fort, était sur la crête des productions sèches coreuses et plus limpides Prog' caractérisant la période sans Cavalera. Surtout, le bas des retours et le fond de scène servaient d'écran à des animations ou des loupes retravaillées sur les musiciens, décoration nouvelle pour Sepultura qui semblait décidé à célébrer grandement ces adieux. Les projections utilisaient très largement l'intelligence artificielle graphique. Cette tendance va inéluctablement s'accentuer à l'avenir, puisqu'elle rend l'investissement visuel moins coûteux que par un passé encore récent. Il y eut néanmoins quelques vrais clips dans le tas. Mais avec un fond de fumée constant et la fosse voisine bouillonnante, il était très difficile de prendre une seule bonne photo.
La setlist nous emmena ensuite entre titres massifs de "Roots", album chéri des fans qu'il est de bon ton de décrier chez les autres de nos jours, extraits de l'ultime période Jens Bogren et des tentatives expérimentales au son sec y compris ce "Choke" plutôt inattendu qui rappelait le temps compliqué de la refondation. En 2024, les similitudes avec Gojira sont plus claires que jamais. Paulo était toujours calme et discret avec des cheveux blanchis mais longs, tandis qu'Andreas se mettait en avant comme d'habitude à la manière du guitar-hero surjouant les solos. Sa créativité a été le moteur de Sepultura depuis le départ des frères Cavalera, et si un tel était là ce soir c'était qu'il – ou elle – approuvait ce rôle et ses fruits. Derrick annonça ensuite qu'on allait s'adresser (enfin) aux vieux fans de Thrash avec un extrait imparable de "Schizophrenia" dont j'aurais cru qu'il emporterait encore plus de succès. Puis Andreas reprit la parole pour expliquer l'esprit familial de cette tournée (sans faire d'allusion toutefois à une séparation programmée…) et convier roadies, techniciens et familiers pour faire les congas sur "Kaiowas", classique qui permettait de souffler sans relâcher l'attention tant ce titre acoustique est bien fichu.
Sourde et brouillée par les acclamations et l'excitation collective accumulée, l'introduction de "Dead Embryonic Cells" relança un tour dans la plus vieille époque. Illustrant la préférence tenace pour les jeunes batteurs, l'ex Suicidal Tendencies Greyson Nekrutman faisait très bien le travail, lui qui n'était pas né quand j'avais déjà vu Sepultura en live… mais à choisir je préférais encore le jeu plus tribal de ses deux prédécesseurs. Après un dernier emprunt à la période récente, Andreas entonna seul le riff simplissime de la reprise de Mötörhead, l'unique au programme pour un groupe qui s'en était fait une spécialité. Les trois brûlots légendaires clôturant le set, alors que le crew headbanguait en coulisses, rappelèrent inlassablement que malgré toutes les expériences et concepts étalés les vingt-cinq dernières années, le Thrash old-school un peu Death pur des huit premières restait le socle assumé (un seul titre de "Beneath…", cependant, si terrible soit-il). Quand le quartet salua au terme d'un "Arise" méchant qui avait fait sauter un public pas encore fatigué, nul ne croyait que c'en était fini.
Ils revinrent bien vite pour un rappel. Le drapeau Brésilien affiché au fond, en écho à celui brandi fièrement en bordure de la fosse par des fans, annonçait un retour aux racines passant par un "Ratamahatta" déjanté, aux vocaux approximatifs partagés entre Andreas et Derrick en écho à l'euphorie partagée en haut et en bas de l'estrade. Traditionnellement, l'hymne de clôture "Roots Bloody Roots" nous termina, avec son refrain fédérateur et son riff final comme trépanation en souvenir. L'ultime salut était souligné par un grand mot de remerciement en français en tableau visuel final, pour une heure quarante de célébration.
Refuse-Resist/ Territory/ Slave New World/ Phantom Self/ Attitude/ A Means to an End/ Kairos/ Breed Apart/ Guardians of Earth/ Choke/ False/ Escape to the Void/ Kaiowas/ Dead Embryonic Cells/ Agony of Defeat/ Orgasmatron/ Troops of Doom/ Inner Self/ Arise
Ratamahatta/ Roots Bloody Roots
Comme en 2022, "Easy Lover" servit comme scie pour pousser gentiment la foule dehors. Ce n'est certainement pas une coïncidence et cela donner à conjecturer sur une part jusqu'ici moins connue des goûts des Brésiliens. Je quittai le Zénith sans m'attarder plus que de raison, taraudé par la faim malgré l'excitation et une pointe d'émotion quant au moment historique avec un groupe auquel je suis me suis accroché pendant une bonne tranche de ma vie en dépit de la difficulté à être fan de Sepultura depuis si longtemps (quasiment depuis toujours, dans mon cas). Ce n'était peut-être pas le meilleur concert du groupe que j'aurais vu (le septième quand même), mais je me retirais très satisfait de l'investissement.
Le retour et la récupération se passèrent bien. J'avais bien envie de refaire le coup pour "Pantera" en février prochain mais ce sera finalement impossible. Nous remonterons près de Paris néanmoins d'ici peu, pour une ambiance toute autre. Et l'année métallique est loin d'être finie !
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Nan mais tu y étais ? On a du se croiser pas mal de fois sûrement ! T-shirt Candlemass pour bibi, comme ça tu me paieras une pinte pour Pilori à Rochefort le mois prochain haha Bref, soirée très cool en effet, content de voir la relève de ving(...)
06/11/2024, 08:19
Il a participé à des albums mythiques qui restent des influences majeures pour tout un pan de la scène Black Metal.Il est mort en défendant ses principes et son pays. Respect total à lui.Triste nouvelle
05/11/2024, 19:10
Excellent les photos du report. Elles sont de toi Mortne ? Si c'est le cas va falloir songer à nous couvrir plein de concert mec ;)
05/11/2024, 18:22
En voilà une idée qu'elle est bonne !Pis, tout bonnement incroyable pour ce genre d'événement (!), les divers prix de billet sont plus que raisonnables.Bravo messieurs !!!
05/11/2024, 06:52
"... une homélie chantée à Scott, Kurt, Layne, Andrew, et quelques autres plus anonymes ..."Comment omettre Chris ?
03/11/2024, 18:53
Sans pour autant dénigrer ce dernier album de LOUDBLAST, metalrunner + 1.
29/10/2024, 09:56
Il manque une piste :13. La Danse des Canards (J.J.Lionel cover)J'ai trouvé la sortie, vous inquiétez pas pour moi -> [ ]
23/10/2024, 14:26
Leur son est vraiment très cool, j'ai écouté leurs précédents morceaux, y a de la grosse reverb et de la fuzz avec une voix hyper pro, ben ça marche de ouf!
23/10/2024, 14:10
Je ne suis pas gros amateur de Heavy et de Maiden, mais la période de Paul di Anno reste ma préférée. Je suis donc un peu ému. Même s'il avait la réputation d'une mauvaise santé depuis bien longtemps et que cela me surprend moins qu(...)
22/10/2024, 15:29