Le nom de Steve Albini devrait alerter bon nombre de gens. Ce monument vivant est l'un des plus grands producteurs et ingé son des trente dernières années, bourreau de travail qui a offert ses talents aux plus célèbres groupes (Nirvana, Nine Inch Nails, Pixies, Fugazi, Jon Spencer, PJ Harvey, Breeders, Mogwaï, Neurosis, Dyonisos, etc, etc…) comme aux plus obscurs. Il a depuis fort longtemps aussi son groupe à l'activité intermittente, difficilement prévisible, qui a inspiré beaucoup de musiciens plus modestes parmi les plus authentiques. Même si l'ami qui m'accompagnait était pour sa part un vrai fan ancien de Shellac, venir prêter son hommage me semblait de toute manière obligatoire.
De tout temps le Rockstore a été une salle qui commence très tôt. Même en arrivant pour vingt heures ce fut trop tard pour voir DECIBELLES, la toute première partie. La salle était bien garnie de rockers d'âge mûrs, mais n'avait pas atteint la jauge quasi complète qui viendra au pic de la soirée. Il n'y avait quasiment pas de merch au stand.
Revoir MARVIN était à marquer d'une pierre blanche, la dernière remontait à douze ans et demi (un huitième de siècle !) dans d'anciennes écuries d'un village de l'arrière-pays, bien avant la sortie du premier album… Je ne m'étais pas rendu compte d'une telle ancienneté, en croisant les musiciens régulièrement en ville ou dans le bar de l'un d'entre eux. Entretemps, c'est devenu l'un des plus célèbres groupes de la ville au niveau national indépendant.
Pourtant le trio n'a pas substantiellement changé, mais plutôt pris toute son envergure dans un croisement ouvert à beaucoup de variations. En l'absence de quatre cordes, c'est le culte de Korg qui s'est amplifié aujourd'hui à plusieurs claviers et synthés employés simultanément, et qui apportent notamment les basses aux sonorités changeantes, et des bruitages vintage. Le fonds est resté enraciné dans un excellent riffing de type Stoner, joué avec un groove redoutable qui se mêle à la démarche expérimentale du Krautrock. Ce fort héritage seventies rencontre souvent l'inspiration créative de la Noise des années 90. Ce portrait ne rend compte cependant que du cœur de l'identité du groupe, qui peut aussi se permettre un titre totalement Cramps en seconde position ou d'explorer rapidement des territoires tellement dansants qu'on se rapprochait fugacement d'une disco alternative juste le temps d'en douter. Le chant est assez rare, les quelques passages étant tous fortement filtrés avec des effets divers… à part le premier où Émilie restait inaudible (une spécialité regrettable de la maison quels que soient les intervenants aux manettes…). Le public se remua allègrement une fois atteint le style propre après des titres un peu plus originaux à mon sens en début de set. Ce succès ne tenait pas simplement au fait de jouer à domicile et de pouvoir faire des plaisanteries hors micro : la batterie a été une fois encore l'élément essentiel pour que tout cela fonctionne : nanti d'un matériel assez simple, Grégoire cogne juste et fort. Marvin a choisi un style qui n'est pas de ma prédilection, mais s'est révélé au final le plus doué de sa bande.
Après que la grande roadie noire chargée du mixage ait installé le matériel avec attention, SHELLAC attaqua. Albini est connu pour ne pas porter sa guitare en bandoulière comme tout le monde, mais à l'aide d'une ceinture qu'il juge plus pratique. Il portait un t-shirt de Cocaïne Piss, groupe de Liège qu'il a produit et ce choix ne pouvait pas être un hasard vue la dramatique actualité de la veille. Sans y rajouter un commentaire, c'était encore plus fort. Le Noise Rock à chausse-trappes auditifs du trio est de la vieille école, à rebours de la guitare écrasante et des vocaux trafiqués d'Unsane. Bob Weston le bassiste a ses parties parfaitement audibles et bénéficiait de fréquents arpèges, tout comme il donnait des chœurs d'autant plus utiles que son timbre se distingue bien de celui d'Albini. Ce dernier adopte un son de guitare propre, tout à fait équilibré au mixage, et n'a pas changé d'instrument de tout le set, ce qui vaut un discours de la méthode de la part d'un producteur et surtout de l'un des plus grands. En dépit de cette modestie de moyens on ne pouvait douter de l'agressivité de nombreux riffs lourds ou improbables, d'un chant sincère, de ces notes tellement pincées qu'on frisait l'acoustique ou le Math Rock le temps d'une mesure, pour retomber de plus haut dans des accords saturés. Cela ne peut laisser indifférent le Métalleux. Shellac est brut, aussi vrai que l'éclairage choisi sans aucun effet, laissé naturel tout le long du set. Cette mise à nu sans théâtralité sentait bon l'esprit des années 90, le retour du Rock. Le grand batteur dégingandé avait un set tout aussi modeste que le précédent, mais distingué par une cymbale installé en surplomb derrière lui qu'il utilisa certes une fois où il aurait très bien pu se servir des autres, je n'en ai pas compris la vraie utilité.
La poésie étrange des paroles, faite de récits surréalistes et d'images bizarres, se marie en profondeur avec ces compositions changeantes faussement déstructurées et aussi audibles que l'anglais fort compréhensible du taulier. Après avoir fait l'avion comme des enfants pour illustrer une métaphore au cœur d'un des titres, les discours s'allongèrent un peu et tournèrent clairement autour de l'amour physique (mais dans le respect, attention !) et finissant sur celui qu'il portait à leur public de ce soir et l'envie que ce moment se prolonge éternellement. Cela n'empêcha pas que le set se termine brusquement, sans aucune cérémonie et que l'on plie le matériel sous un éclairage a giorno imperturbable.
Pour avoir vu beaucoup de Noise au long des années, il est clair que Shellac est un monument du style et qu'au-delà, c'est un modèle d'authenticité qui n'a pas besoin d'aller chercher ailleurs.
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