Si la nouvelle interruption de deux mois sans concerts n'avait rien de comparable aux déserts que nous avons traversés depuis deux ans, elle a été particulièrement pesante, par accumulation. C'était une très bonne idée d'avoir calé un arrêt par chez nous de cette petite tournée juste au lendemain du jour de libération. En plus, cela faisait vraiment longtemps que je n'avais pas vu de Black Metal, genre dont je suis certes moins friand mais pas totalement hermétique selon les courants.

Nous avons frôlé néanmoins la catastrophe. En début d'après-midi, un ami rencontré en ville m'apprit que la salle prévue venait de se faire notifier la veille au soir l'interdiction de recevoir des concerts jusqu'à nouvel ordre ! L'orga' était en train de chercher un plan de repli désespérément… C'est un sale coup donné à un moment inopportun pour le Black Sheep, dont je vous ai souvent parlé et dont la cave accueille des spectacles depuis bien avant, lorsque c'était encore un restaurant. Selon une rumeur vraisemblable, ce ne serait pas lié à la lutte sanitaire mais à des questions de sécurité, ce qui me paraît contestable connaissant les lieux. Souhaitons une solution rapide.

En attendant, un e-mail apprenait officiellement à 15 h 30 que le concert était finalement déplacé dans un petit studio de la périphérie. Sauvés ! Restait à organiser en vitesse un – petit – trajet en voiture imprévu. Mais nous nous retrouvions à l'heure à Alive My Studio, dans la Zone Industrielle d'un gros village de la proche banlieue, qui regroupe un studio de répétition, une petite scène avec bar associatif et fast-food, ainsi qu'une radio en podcasts. Pour beaucoup de gens comme moi, nous découvrions cet endroit plutôt destiné aux musiciens actifs, et pas franchement spécialisé en musiques extrêmes. Cette péripétie donnait une saveur spéciale à ce premier concert de l'année, en plus de la température nocturne bien chaude pour la saison et des retrouvailles avec des gens qu'on n'avait plus vus depuis des années parfois.

Bien que le quintet SUPPLICES soit jeune en moyenne, le groupe existe depuis sept ans et compte au moins un album. Né autour de Perpignan, les membres actuels seraient répartis entre Toulouse et la Provence. Commençant de dos en longs manteaux noirs à capuches, ils étaient les seuls ayant fait un effort sur les costumes et en s'étant un peu peinturlurés les yeux. On aurait dit un jeune Anorexia.

Très serrés sur une scène large comme ma salle de bain, la première partie ne l'a pas eue facile avec un son assez mauvais où le chant avait du mal à surnager des guitares au rendu brouillon. Le bassiste était carrément noyé. Restait la batterie, plus fine à l'oreille avec quelques variations dans la frappe. Le set développa un Black Metal assez varié, tantôt orthodoxe, épique voire émotif notamment avec introduction et fin acoustiques sur un titre au registre sentimental. On devine un panel large d'influences. De quoi aussi se décoincer les articulations, jusqu'aux plus grands d'entre nous. Les paroles étaient en français (hurlé bien entendu donc peu audibles au-delà de la musicalité propre à la langue) et les titres des morceaux se réfèrent à des thèmes très classiques – voire éculés – dans le genre. J'ai cru saisir que certains étaient inédits.

Le chanteur précisa entre deux qu'il n'était en fait qu'un ancien titulaire du poste, revenu simplement remplacer le titulaire actuel n'ayant pu se libérer. Le set se révéla assez long (près d'une heure) et s'acheva avec un titre bien direct en rappel.

Cela me faisait un petit quelque chose de voir NEIGE MORTE. Lors de sa fondation ce groupe Lyonnais comprenait l'ancien chanteur d'Overmars, Xavier Théret, que j'ai rencontré au collège lorsqu'il est arrivé à Montpellier, déjà passionné du Metal de l'époque, et qui est resté continuellement dans mes parages jusqu'à nos études supérieures respectives y compris pendant ses premières années à Lyon et qu'Overmars était à son sommet. Dans les premiers mois de ma découverte du Metal à une époque où Internet n'était pas disponible, il a fait partie des deux ou trois personnes qui m'ont donné des indications cruciales alors même que mes goûts naissants, encore pleins de détours et de rebroussements, ne correspondaient pas toujours aux siens qui évoluaient vers le HardCore et le Sludge Noisy. Si les circonstances nous ont éloignés par pur hasard et sans doute aussi par mon allergie aux réseaux sociaux, je n'oublie pas que je lui dois une partie déterminante de mon parcours dans la musique extrême.

Mais place au présent ! Neige Morte est un trio nature, sans souci de son apparence physique dont les dégaines ne sentaient en rien le Black. Mais ils ont l'expérience et une personnalité bien formée, qui ont fait monter la soirée d'un niveau dès le premier morceau. Déjà le son était autrement plus massif, bien équilibré, plus propre et puissant à l'instar du chant bien déchiré assuré par le guitariste. Et les compositions montrent une originalité attirante pour les vieux blasés en mêlant à ce Black écrasant des atmosphères étranges. Parfois en ralentissant excessivement le rythme, ou en empruntant des passages Industriels ou Post-Punk dans les premiers morceaux (j'ai pensé au Killing Joke des tous débuts !), puis par le Blues Rock qui faisait mieux sentir la forte inspiration venue du Sludge le plus sombre. Le riffing pour le moins déjanté était annoncé par le t-shirt Gorguts du chanteur, de toute façon. On aurait songé alors à un Soilent Green passé du côté obscur après une dose d'acides trop chargée. Un solo inattendu s'ajouta encore plus tard. Tout cela m'allait très bien et avec un propos musical si sincère et extrême, la communication restait très secondaire.

Le set était néanmoins construit vers une radicalisation croissante. Les expérimentations acoustiques disparurent pour laisser place à des titres complètement Black Metal, oppressants, qui gardaient cependant des rythmiques et des riffs peu conventionnels pour ce style, et même complexes pour le final. Violence et originalité, que vouloir de mieux ?

L'intermède s'allongea car SORDIDE a eu beaucoup de mal à faire ses balances, les retours étant très déficients et le chant de façade guère meilleur. Après de longs essais peu fructueux, ils se lancèrent de guerre lasse. Et ils eurent raison d'aller outre les imperfections, car le son redevenu plus sale collait très bien avec un propos plus orthodoxe et plus malsain que tout ce qui avait précédé, sous leurs apparences trompeuses de trois metalleux décontractés. Franchement, ça puait la Norvège avec ces rythmiques Rock sauvages alternant avec des riffs et quelques blasts authentiquement Black, rappelant Darkthrone et Mayhem. Normal, me direz-vous, ils sont Normands. Les vocaux étaient partagés entre les trois membres, même le batteur en prenant sa part. Chacun offrant un timbre particulier différent des autres, malgré le registre unique hurlé coutumier. Les paroles, toutefois, sont en français. Ce trait ne rend pas leur musique moins agressive tant la langue d'Antonin Artaud s'est montrée appropriée au Black Metal à de multiples reprises.

Les deux instrumentistes bougeaient bien, le bassiste envoyant même la tête de sa Rickenbacker taper dans le plafond bas de la scène. Une teinte Punky était perceptible par instants et la face plus Rock se décanta jusqu'à un titre qui démarrait parfaitement comme du Mötörhead. Cette accentuation n'est pas une grande nouveauté dans le genre et permettait de varier le plaisir du spectateur, tout en restant dans l'exigeant périmètre acceptable du TNBM de tradition. Un rappel fut accordé après un moment de flottement, l'heure de fermeture approchant à l'horizon. Les musiciens semblèrent avoir besoin d'un petit moment pour redescendre de leur état second, celui qui fait les bons sets.

De par l'ambiance un peu spéciale donnée par la péripétie du changement de lieu en dernière limite amenant à découvrir une petite salle inconnue, la douceur de cette soirée, la joie de la reprise partagée par un public d'habitués et la qualité pointue de la tournée accueillie à cette occasion, ce petit concert restera sans doute un souvenir pour longtemps.

Encore une fois, félicitations à l'orga' d'avoir su trouver une solution en un délai très contraint et merci encore à un lieu peut-être peu familier d'une musique aussi extrême.