The Cure + The Twilight Sad

The Cure, The Twilight Sad

Zénith, Toulouse (France)

du 13/11/2022 au 13/11/2022

Au départ il y a eu le report de la tournée Sepultura/ Sacred Reich/ Crowbar de 2021 à 2022. Il n'y avait qu'à noter la date, le billet étant acheté depuis un moment. Puis quelques jours plus tard, une tournée de Cure était annoncée avec beaucoup de dates en France. L'une était à Montpellier… pour le même soir. Après brève hésitation, je décidai de maintenir le voyage à Toulouse, préférant revoir l'un plutôt que l'autre, à devoir choisir. Mais je remarquai que Robert Smith et son orchestre passaient justement à Toulouse aussi quelques jours plus tard au retour d'Espagne. Ce renoncement me travailla à l'usure pendant des mois, d'autant que les places ne partaient pas si vite que ça – le monde a bien changé depuis la pandémie. Et puis trois semaines avant, il s'avéra finalement possible de caler un séjour utile autour de la ville rose entre les cinq jours séparant ces deux dates. Ne restait plus qu'à s'organiser et à acheter ce qui se révéla ensuite l'une des dernières places en vente, Toulouse étant finalement complet alors que Montpellier ne l'était pas la veille encore. Six ans presque jour pour jour après la première, je retrouverai le groupe qui a probablement titillé en premier dans mon enfance des années 80 mon intérêt futur pour le Rock Gothique, au long de nombreux tubes et morceaux passant partout à la radio et par les Curistes de cour de récréation. Et pourtant presque aussitôt, les complications mentales d'un Robert Smith toujours premier degré dans son extravagance à fleur de nerf, la facilité nauséeuse de certains des plus gros succès ont fait que jamais je n'ai pu être fan. L'impression de grand amour raté s'est accentuée quand j'ai découvert bien plus tard d'autres groupes voisins qui, eux, m'ont réellement conquis y compris avec leurs propres périodes foireuses que je voulais bien assumer. Bref, je balance sans doute pour l'éternité entre une admiration sincère pour une partie de l'œuvre impressionnante de Cure, et mon irritation trop profonde envers tout un autre pan. C'est le cas le plus ancien de ce type dans mon parcours musical – comme nous en avons tous – et ça lui donne un statut spécial.

Ce concert était l'occasion de découvrir le Zénith local, qui est deux fois plus grand que ceux de Paris ou Montpellier et situé dans le faubourg moderne plein ouest, près de l'hippodrome, tout à fait atteignable sans voiture depuis la vieille ville. Et le fait est qu'il valait mieux pour qui c'était possible, car le bouchon autour de la salle était pire que ce que j'avais anticipé. Il fallait bien la plus grande salle disponible, The Cure n'était pas revenu à Toulouse depuis plus de vingt ans ! J'ai fendu hâtivement les contrôles et la foule pour bien me placer dans un parterre déjà copieusement fourni. Fatalement, le public était dominé par des quinquagénaires souvent en famille, qu'ils soient Curistes sérieux et pointus, avides de renouer avec leur adolescence ou routards des concerts. Plus une délégation d'Espagnols, habituelle pour les grosses affiches ici. Mais ce n'était pas l'affaire d'une seule génération : tous les âges étaient représentés. Mieux encore, des Metalleux significativement nombreux s'affichaient sans complexes, venant majoritairement du Black. Apercevoir des étudiants en t-shirt Slayer à un concert de Cure restaure l'espoir en l'humanité, il n'y a rien de plus fort pour un fan de Metal que d'en retrouver d'autres dans un concert hors Metal. Tout ça dans un bruit de fond de pluie d'orage déversé en boucle des enceintes.


THE TWILIGHT SAD faisait déjà la première partie en 2016. Robert Smith s'est entiché de ce groupe de Post-Punk Écossais, qui a dû renouveler son personnel après ladite tournée qui avait cramé la motivation du batteur. Afin que l'élan ne soit pas coupé pour l'album paru entretemps, le patron a décidé de les reprendre, ce qui est sympa pour eux mais plus lourd pour ceux qui étaient déjà là il y a six ans. Ceci dit, ce n'était pas plus mauvais maintenant que la première fois. Il s'agit d'un Post-Punk plus puriste et traditionnel que celui de la tête d'affiche, austère et assez simple malgré les nappages de synthé un peu rêches à la Mesh ou IAMX administrés par le claviériste aidé par moments du bassiste qui avait aussi son petit plateau pour pouvoir y mettre une seconde couche sur certains titres. Ce classicisme a l'avantage de pouvoir plaire à un public assez large. Le chanteur était vêtu d'une salopette (!) qui se défit un peu au fil de son numéro de scène, qu'il arpentait avec des spasmes les yeux au ciel et parlant à ses fantômes, un truc de britanniques rappelant Ian Curtis ou Barney Greenway. Son fort accent Écossais donnait une saveur tourbée à son chant assez haut, puissant et nuancé. Il m'a semblé qu'à mesure que l'on revenait à des titres plus anciens et reconnaissables, les plus récents issus vraisemblablement du dernier album (dont la pochette était projetée au fond) se distinguaient par leur caractère plus épuré. Dans le même sens, l'éclairage lui-même était plutôt chiche pour une aussi grande scène, mais cela est évidemment un choix esthétique. Les applaudissements récoltés titre après titre allaient crescendo. Cependant un autre choix déjà observé l'autre fois s'avérait frustrant à la longue : aucun titre ne lâchait les chevaux sur le tempo. Dans son coin sur le côté, le batteur ne se tournait pas les pouces sur des parties généralement ternaires, mais puisqu'il s'agit d'exprimer des émotions comprimées la palette s'élargirait si on osait le faire. Il y a clairement une trace persistante de Shoegaze, associée au son plutôt fort et bien mixé. Après tout, l'Écosse est aussi la patrie de The Jesus and Mary Chain, l'un des Pères Fondateurs de ce courant. Après trois quarts d'heure, le groupe se retira tandis que le batteur brandissait avec conviction le drapeau transsexuel sur le chemin des coulisses. The Twilight Sad mérite l'attention des amateurs et sa retenue brute toute britannique en fait une première partie idéale dans l'attente d'un monument vivant.

Le fond sonore pluvieux reprit. Personne ne bougeait à part quelques-uns qui jouaient des coudes dans les protestations de voisins craignant pour leur champ de vision. Les roadies faisaient leur office dans les vagues de clameur de plus en plus serrée d'un public de fidèles qui n'en pouvaient plus d'attendre l'apparition de leur Souverain Pontife.



Les six membres de la formation actuelle de THE CURE entrèrent enfin en scène sous une acclamation crescendo et un fond sobre et joli de ciel étoilé. En dernier, le père Rob arpenta lentement toute la scène d'un bout à l'autre pour saluer les premiers rangs. On ne reviendra pas sur sa dégaine de sexagénaire bedonnant ébouriffé et maquillé grossièrement, elle fait partie intégrante du personnage actuel. Le premier titre d'une setlist de Cure indique toujours l'album ou la période que l'on veut privilégier pour la suite du show… et il s'agit de l'inédit "Alone" et sa longue première partie calme, planante, laissant le boss regagner lentement son micro pour chanter sur la seconde moitié en ne prenant sa guitare qu'à la toute fin d'un morceau qu'on aurait pu prendre pour une reprise cachée d'Anathema. L'enchaînement avec le classique "Pictures of You" se faisait très naturellement. Clairement, la basse était presque autant valorisée dans le mix que les trois guitares ensemble – ce qui me convenait très bien. On sait que le titulaire Simon Gallup s'était mis en congé du groupe pendant quelques mois l'an dernier, alors que Robert Smith tient beaucoup à lui. Ce n'était donc pas anodin que Gallup ait passé le concert à arpenter la scène en cherchant à jouer en duel avec Smith lui-même ou Reeves Gabrels. Il n'installe plus derrière lui la bannière du Reading FC mais une espèce de nappe noire fleurie sur un retour où est inscrit en gros "Bad Wolf". Les singles furent enfin abordés avec le toujours entraînant "A Night Like This" avec un coup de clavier à la place du saxo', et le déchirant "Lovesong" sur lequel ça se bougeait un peu partout. Robert Smith n'a rien perdu de son timbre et cela fut pour beaucoup dans la magie qui s'installait inexorablement. Néanmoins, il descend désormais d'un ton les attaques les plus aiguës ce qui est flagrant par exemple sur le début du premier des deux.

Après avoir plaisanté avec une amoureuse de la contre-barrière et essayé un peu de français pour dire des idées peu claires même dans sa langue (il est plus facile de parler que de comprendre voulait-il dire…), il nous présenta un nouveau titre encore. Similaire à celui d'ouverture, lent et déprimé, il commençait à me rappeler ce que je me suis mis à reprocher au groupe en le connaissant mieux : tous ces nombreux titres très mélancoliques délayés à petite vitesse où l'on passe graduellement de l'envoûtement à l'ennui. Heureusement s'ensuivit une version totalement habitée d'"If Only Tonight We Could Sleep", ramenant subtilement un peu de tension sans varier le rythme, puis un troisième nouveau morceau plus charpenté et entraîné. Cela permettait sans doute de réveiller un peu les deux guitaristes d'appoint. Smith se réservait les soli et les leads, ce qui fait que Reeves Gabrels et le revenant Perry Bamonte ne se foulaient guère sur les parties rythmiques. L'ex musicien de Bowie assura quelques leads que Smith ne pouvait assurer en chantant – sans ça je m'étais demandé plusieurs fois s'il jouait vraiment. Quant à Bamonte, il est certes cool de faire revenir un ancien membre historique (surtout s'il est gaucher !), mais sa mission se bornait à appuyer donc en seconde guitare ou aux claviers sur quelques titres. Ses gestes légèrement mieux appuyés ne laissaient pas de doute au moins sur son activité. Le coût et la rentabilité du personnel sont parfaitement hors sujet, mais l'ensemble pourrait parfaitement fonctionner avec un seul gratteux rythmique. L'aspect humain a dû primer dans cette opération. Rien à dire par contre quant à la prestation de Robert aux mains d'argent, qui serrait souvent son manche de guitare contre lui comme un nounours…

La suite se concentra mieux sur des classiques à commencer par trois extraits de "Pornography" dont "The Figurehead", titre qui est tout à fait de ce format que je qualifiais d'agaçant mais sauvé par son final sublime "… I will never be clean again". Et aussi "The Hanging Garden" et sa belle illustration de fontaine de jardin sculptée monumentale. La levée quasi mécanique des téléphones portables à chaque début de titre était amusante. On continua avec d'autres albums, permettant notamment au public de reprendre en chœur "Play for Today" après une intro un peu approximativement restituée. Dans le tas, la setlist brisa l'alternance des bons choix et des inédits en allant chercher le premier morceau difficile à avaler pour moi, avec "Push". Il fallait bien que ça arrive, au moins pour faire ressortir la différence entre cette tournée et la précédente où ce type de titres étaient répartis tout au long du set. Un quatrième morceau de l'album à venir clôtura cette première partie du set, une composition de dix minutes triste et recueillie sous une illustration de lune rouge, qui provoqua à nouveau pour moi le passage successif de la curiosité à l'immersion puis à la léthargie debout dans une foule très compacte, tandis que pour d'autres le charme opérait mieux. En tout cas l'homogénéité de la programmation jusque-là était assez remarquable.

Les roadies réapparurent puis le groupe revint pour un premier rappel chaudement salué, ouvert par un cinquième et dernier titre neuf. Sur la durée, il ne faut pas croire que la performance discrète mais impeccable de Jason Cooper soit négligeable. L'enchaînement de deux titres somptueux, noirs et capiteux ratatina tout le monde : celui qui ouvre "Pornography" illustré par des photos en noir et blanc de l'histoire du terrible XXe siècle, sommet du Rock Gothique quoiqu'on s'en défende. Puis l'incontournable "A Forest" avec ses éclairages verts tournés sur la foule où des adolescentes de cinquante-cinq ans chantonnaient d'une voix de crécelle sur l'intro avant que la salle entière sans doute ne danse (je ne me suis pas retourné vers les gradins).

Le second rappel regroupa une grosse fournée de titres plus Pop de format plus concis, donnant une orientation bien différente à cette longue dernière partie, plus endiablée. Parmi eux il n'y avait que le solaire "In Between Days" que j'apprécie pleinement. Mais cela offrait tout de même une sacrée faille temporelle. À l'instar du chant du patron qui ressort à peine atteint par l'âge, le répertoire que laissera the Cure sera incontestablement intemporel. On peut retenir une version convaincante de "Lullaby", le virage quasi House de "Hot Hot Hot !" dans un éclairage généreux, ou l'introduction de "The Walk" pédalant totalement dans le cassoulet. Tous ces titres sollicitaient bien l'increvable Roger O'Donnell dont le visage émacié sur cheveux mi-longs et grande taille en fait un parfait vieux beau. La précision de son travail discret est essentielle même s'il ne compose pas. Détendu, il allait s'appuyer derrière lui ou partait échanger deux mots avec les roadies sur les titres qui ne le mettaient pas à contribution. Il se saisit des cymbalettes tandis que Robert annonça l'ultime titre qui fut l'ultra basique "Boys Don't Cry". Le combo se retira assez vite, laissant l'iconique patron seul exprimer sa joie et une promesse appuyée de revenir encore, attestant d'un désir profond de continuer encore l'histoire. Il était minuit moins deux et on avait atteint les deux heures quarante-cinq de jeu.


Alone/ Pictures of You/ A Night Like This/ Lovesong/ And Nothing Is Forever/ If Only Tonight We Could Sleep/ A Fragile Thing/ The Figurehead/ A Strange Day/ The Hanging Garden/ Push/ Play for Today/

Primary/ Shake Dog Shake/ From the Edge of the Deep Green Sea/ Endsong

I Can Never Say Goodbye/ Faith/ One Hundred Years/ A Forest

Lullaby/ Hot Hot Hot!/ The Walk/ Friday I'm in Love/ Close to Me/ In Between Days/ Just Like Heaven/ Boys Don't Cry


M'attendant à l'avance aux points considérés comme faibles de ma part, je rentrai très satisfait de ce concert où l'un des derniers grands dinosaures s'est montré sous un jour un peu différent de la précédente tournée, après plus de quarante ans d'activité. La présentation de beaucoup de nouveaux titres a pesé positivement sur la structure de la setlist qui a ménagé jusqu'au premier rappel inclus une croisière sombre, très homogène et intemporelle, avant d'aller accoster par une route de tubes obligatoires – et dont le choix aurait pu être pire. Avec la trêve des fêtes à l'horizon l'offre très serrée de concerts de cet automne va diminuer et achever une année presque normale sur ce plan malgré l'interdiction des deux premiers mois, qui semble déjà si lointaine avec tout ce qui nous est tombé dessus depuis.


par RBD le 17/11/2022 à 11:09
   1783

Commentaires (6) | Ajouter un commentaire


LeMoustre
@93.4.16.166
17/11/2022, 18:24:43

Quelques longueurs en effet, sans doute 2/3 titres un peu en trop aussi, mais c'était bien sympa, son parfait pour moi, avec ce bassiste au beau t-shirt Maiden bien mis en avant. Robert a gardé sa voix, globalement, et l'enchaînement des 4/5 derniers titres fut le clou du spectacle


Steelvore666
@88.175.248.198
19/11/2022, 10:52:14

Loin de moi l'idée de critiquer The Cure ou les gouts de chacun, mais....pas très metal tout ça nan ?



RBD
membre enregistré
19/11/2022, 19:31:58

au Moustre : Il l'avait bien ? Simon Gallup s'habille souvent aux couleurs du groupe de Steve Harris (on attend la réciproque...), je l'avais déjà remarqué en 2016, mais cette fois j'étais loin de lui et si j'avais l'impression que c'était le cas encore, je n'étais pas sûr de ce que j'avais vu et puis je l'ai oublié.


à Steelvore : Tu crois ....? ;-) Mais y'a des amateurs par ici et ce n'est pas le nombre de vues de la page qui me contredit. Je me répète, mais j'ai constaté depuis beau temps que nous, metalleux, adorons pouvoir aussi parler entre nous de la musique non Metal que nous pouvons apprécier. On se comprend encore mieux qu'avec les autres.


Simony
membre enregistré
20/11/2022, 11:18:16

En effet, RBD couvre également ce qui est New Wave, Goth, Post-Punk car c'est aussi une scène qui a influencé beaucoup de groupes de Metal (Type O Negative, Paradise Lost, Tiamat, Cradle Of Filth, Hangman's Chair - dont le bassiste arborait la dernière fois un beau long sleeve de DRAB MAJESTY, et tant d'autres parfois même certain insoupçonnable comme SEPULTURA) et en plus comme on est beaucoup à aimer ce style ici, on se fait plaisir en en parlant c'est vrai.


LeMoustre
@93.4.16.166
21/11/2022, 08:40:10

@rbd / Oui, je confirme.

@Steelvore : pas très metal, certes, mais bcp de fans de metal aiment aussi d'autres styles, avec parfois des liens à plus d'un titre entre les genres. Ici, il y avait quelques metalleux, arborant des shirts sans doute possible sur leur genre de prédilection, comme il peut s'en trouver aux concerts de The Sisters of Mercy ou même Dead Can Dance. Les ponts entre ces groupes et les formations gothiques, inspirées aussi par le fameux Into the Pandemonium de Celtic Frost sont légion.


NecroKosmos
membre enregistré
27/11/2022, 06:20:19

Je suis un grand fan de Cure et je les ai vus tout récemment à Nantes. Et c'était magique. J'ai beaucoup apprécié la première partie. The Cure : c'est deux heures trente d'hypnose, de rêve, de mélancolie, de joie (un peu), de tristesse (beaucoup). Ce concert était envoutant. J'ai adoré. Il est amusant de voir que la set-list change beaucoup d'un concert à l'autre. Celle proposée à Nantes est assez différente de celle retranscrite ci-dessus. C'est une bonne chose et beaucoup de groupes de métal devraient en prendre de la graine...

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