Qu'est-ce qu'un groupe culte ? Les SISTERS OF MERCY seraient l'exemple parfait sans doute : une discographie étriquée mais séminale, qui a hissé ce nom parmi les fondateurs d'un genre, des apparitions et des interviews rares, plus d'album depuis vingt-neuf ans (!), et une légion d'adorateurs à travers le monde pourtant. Devenu depuis 1986 la chose absolue d'Andrew Eldritch, le groupe a très longtemps évité soigneusement de se produire en France en raison de l'aversion ancienne et obscure du patron pour notre pays, bien qu'il parle français. Moi-même il avait fallu que je me déplace en Espagne pour les voir enfin, avec une émotion certaine alors, tant j'avais fini par me reconnaître, lentement mais profondément au fil de la vie dans cette œuvre. Mon dernier concert, du reste, était justement consacré à son ancien partenaire aujourd'hui exécré Wayne Hussey. Même si la querelle d'Eldritch s'est apaisée avec le temps (ils sont venus au Hellfest cette année), ce show Parisien à une date commode était un véritable événement pour de nombreux fans, parfois frustrés depuis des décennies. D'ailleurs, c'était complet.
C'était également la première fois que je venais au Bataclan, assez étrangement. Arrivé largement à temps, j'ai eu le temps d'explorer la salle, plutôt vaste, un merchandising très fourni en habillement, de prendre de quoi boire et m'asseoir un moment au balcon tandis que ça se remplissait tranquillement, pour me poser. Au-delà d'une riche histoire scénique, il était impossible d'oublier le carnage qui s'est déroulé là où je me trouvais à cet instant. Rien ne le rappelle depuis que l'œuvre de Banksy a été volée, mais c'est superflu. Il serait prétentieux de broder longuement en parodiant inconvenablement "le sixième sens", n'empêche qu'on ne peut pas rentrer dans ce lieu indifféremment, désormais. J'en étais là de ces sombres pensées quand je retrouvais un ancien camarade de feu le forum de VS, que je n'avais pas revu depuis mon autre concert des Sisters à un millier de kilomètres de là. La salle était à présent farcie à bloc, de nombreux spectateurs comme en uniforme revêtus aux motifs du groupe de Leeds, généralement d'un certain âge, et venus aussi pour un certain nombre de l'étranger.
J'avais lu grand bien d'A. A. WILLIAMS il y a quelques mois. Cette artiste aux longs cheveux bruns est encore très nouvelle avec un seul EP fort remarqué à son actif. Assistée d'un batteur et d'un bassiste, sans compter le "A" en motif derrière elle, la guitariste-chanteuse servait un doux Post-Rock, vaguement Folk, froid, lent, sincère et bien composé. Malgré un bon volume sonore, il fallut un peu lutter contre le brouhaha de la foule pour imposer toute l'attention méritée. Si le registre est devenu franchement courant aujourd'hui, elle y mettait suffisamment de variété dans l'instrumentation et d'émotion dans son expression pour briser la réserve que l'on met instinctivement sur un son déjà entendu. Sans pousser son organe, elle s'avérait convaincante. Sur l'avant-dernier titre où la guitare sonnait lourde, la désynchronisation entre ses gestes et le son entendu me laisse penser que sur ce morceau le son plein de la guitare était au moins en partie doublé sur bande au mixage. Peu importe, c'était tout à fait pertinent pour ouvrir une soirée et prometteur dans ce style plutôt dans le vent.
THE SISTERS OF MERCY se présenta comme d'habitude sous la longue introduction de "More" mêlée d'un chœur fervent de centaines de fans sevrés. Le patron s'entoure simplement de deux guitaristes et d'un programmeur veillant sur Dr. Avalanche (la boîte à rythmes) et les basses, ce qui ne pouvait surprendre que les novices s'il y en avait. On ne vient pas voir ce groupe pour profiter d'une performance de musiciens, mais célébrer un répertoire vénéré par toute une génération. Le mixage se montrait étonnamment complémentaire de celui adopté à Barcelone lors de ma première fois : les riffs dominants outre-Pyrénées cédaient cette fois beaucoup d'espace aux rythmiques programmées, que l'habitué Ravey Davey géraient nonchalamment au second plan derrière des lunettes noires de rigueur aussi pour les trois autres membres. Comme toujours il n'était pas facile de voir derrière une fumée généreusement entretenue sur la scène, les miroirs à l'arrière réfléchissant et les spots envoyés dans les visages du public. Cela crée des monochromies se succédant titre après titre.
Du point de vue esthétique, la récente substitution de Chris Catalyst par l'Australien Dylan Smith – inaugurée au Hellfest – est une vraie réussite. Aux chemises à petites fleurs de mauvais aloi a succédé un grand viking blond et musculeux qui donne une apparence ultra Metal, beaucoup plus cohérente avec l'esprit profond du projet d'Eldritch de se prendre pour Iggy ou Lemmy avec une pointe d'autodérision bien anglaise, et pas du tout pour un inventeur du Rock Gothique. Quand la recrue croise les bras au bord de la scène pour laisser l'autre guitariste Ben Christo envoyer le solo ouvrant le mégatube "Alice", c'est visuellement du grand art. Bien que relativement jeune et le paraissant plus encore, Christo est depuis longtemps dans le groupe et se chargeait de l'essentiel des passages en notes claires, particulièrement valorisés par le mixage de ce soir, ou d'assurer aussi le solo originel au saxo de "Dominion".
L'émoi du public avait encore grimpé d'un cran avec le titre précédent, le premier puisé dans les morceaux vraiment anciens. L'excitation procurée par un concert rare et longtemps désiré pour beaucoup, plus l'ego très sensible de bien des amateurs de vieux gothique, ont parfois des conséquences curieuses comme ce vieux fan qui a passé presque tout le concert devant les bras levés ou la bagarre qui éclata à côté de moi entre un spectateur expansif et un autre plus posé. Au milieu, une fosse s'agita pas mal bien que quelques spectatrices restaient pourtant à proximité confortablement installées sur les épaules de conjoints dévoués.
À défaut de les publier sur album, Eldritch a un panier de titres écrits postérieurement depuis trente ans, qu'il donne en concert aussi facilement que les incontournables. Les fidèles les connaissent tous plus moins, certains étant quasi systématiques comme "Crash and Burn" joué très tôt dans le set. L'instrumental "Kickline" ou le cristallin "Better Reptile" sont par contre bien plus rares.
Plutôt bien en voix ce soir, Andrew Taylor (son vrai nom) alternait comme toujours le marmonnement sépulcral de ses textes, confinant parfois au chuchotement avec des cris désespérés. La beauté de paroles exigeantes autour de thèmes pourtant aussi banaux que les femmes, les drogues et la déprime est pour beaucoup dans l'attachement de ses admirateurs, et l'esprit de célébration s'entendait évidemment dans la reprise quasi permanente des refrains comme de la plupart des couplets par l'assistance. Le patron a un charisme à nul autre pareil, fait d'incessants retraits au fond de la scène, de poses sarcastiques et de penchements de son crâne parfaitement chauve vers les premiers rangs, surgissant du brouillard constant et du halo électrique. Ses interventions sont rares et brèves entre des titres souvent enchaînés de toute façon, ou acclamés si forts qu'on l'entendrait bien mal. Tout cela forme en fait une cohérence savamment orchestrée depuis les origines sur tous les points afin de préserver absolument le caractère définitivement insaisissable et totalement maîtrisé d'un groupe conçu en autocratie. Les alternances entre hurlements et murmures, la brume qui dissimule et l'éblouissement répété, les ray-bans empêchant de lire les regards, les interviews en vrille et le refus de retourner en studio, le chant avec une cigarette aux doigts, ce sweat shirt fatigué pour monter sur scène alors qu'on est une icône vivante, ces rares aphorismes arrogants entre deux titres parfois… tout converge pour dégager cet esthétisme intriguant, racé et impénétrable, parfois paradoxal, que n'importe quel gothique rêve d'atteindre à son tour. Voilà au fond le cœur du malentendu sur lequel prospèrent complaisamment les Sisters.
Au bout de ces impressions rythmées par l'enchaînement des grands classiques et des inédits, la setlist prit un détour inattendu vers deux titres plus apaisés de l'ultime album, puis nous déboulions sur le morceau marquant traditionnellement la fin du set principal, l'imparable, onirique et majestueux "Flood II" qui me bouleverse toujours malgré le temps, trahi par un frisson du plus profond de l'épine dorsale dès que les premières notes de basse le laissaient reconnaître.
Déjà que la France fut rarement honorée par son passage, Eldritch imposait généralement comme peine accessoire de filer au bout d'une heure sans rappel. Mais ce soir restera historique : après une longue clameur tenace et aimante, les quatre sœurs de la Merci regagnèrent l'estrade pour donner le même supplément d'incontournables qu'aux autres pays, bien qu'en versions raccourcies à commencer par le brillant et sarcastique "Lucretia", son riff basique et sa ligne de basse obsédante, repris à pleins poumons par une assemblée qui ne cessa plus de tout chanter jusqu'au terme du set. Signe d'adoucissement avec l'âge, Eldritch montrait même publiquement de l'affection envers son vieux domestique Christo. Ce final franchement physique déboucha enfin sur l'obligatoire et fédérateur "This Corrosion", parodie acerbe à l'encontre de ce pauvre Hussey envers qui la rancune semble éternelle. Un solennel salut devant un parterre nourri de fans comblés scella une rencontre mettant décidément à bas bien des anciennes mauvaises coutumes.
More/ Ribbons/ Crash & Burn/ Dr Jeep-Detonation Boulevard/ No Time to Cry/ Alice/ Show Me/ Dominion-Mother Russia/ Marian/ Better Reptile/ First & Last & Always/ Kickline/ Something Fast/ I Was Wrong/ Flood II
Lucretia My Reflection/ Vision Thing/ Temple of Love/ This Corrosion.
Je ne me suis pas pressé pour rallier la place de la république puis mon hébergement sous une petite pluie de circonstance sur les lumières des boulevards. Il y a des concerts, comme ça, dont on veut prolonger les impressions une fois qu'ils sont achevés.
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21/11/2024, 08:46
Quand on se souvient du petit son des années 80... Mais la prod ne fait pas tout, ça reste du pilotage automatique. C'est pas avec un truc pareil que je vais me réconcilier avec eux, et ça fait 20 piges que ça dure.
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Le who's who des tueurs en série. Un plus gros budget pour l'artwork que pour le clip, assurément. (...)
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NAILBOMB ?!?!?!?!Putain de merde !!! !!! !!!J'savais pas qu'ils étaient de nouveau de la partie !!!Du coup, je regarde s'ils font d'autres dates...Ils sont à l'ALCATRAZ où je serai également !Humungus = HEU-RE(...)
11/11/2024, 10:09