Bon. Trouver la motivation un dimanche soir pluvieux et froid, après une semaine dure et une mine défaite relève de la gageure…sauf lorsqu’on a une excellente motivation. La proverbiale carotte fonctionne toujours, même pour les chroniqueurs esseulés qui écument les salles l’appareil à la main pour donner à manger à un site toujours plus insatiable. Mais en l’occurrence, l’occasion était trop belle pour se morfondre dans les tréfonds des programmes télévisés abrutissants, puisque notre salle préférée se pare ce soir de ses habits de gala pour accueillir l’un des groupes les plus légendaires de sa génération. Rien de moins qu’un géant anglais pour le Crossroad, et non, pas celui auquel vous pensez, mais bien celui qui est indiqué sur l’affiche, sobre, parlante : WISHBONE ASH.

Difficile de croire que ce mastodonte de la culture Rock anglaise soit toujours en activité aujourd’hui, et pourtant, il est bien là ce soir, aux portes d’Angoulins, pour la partie française de sa tournée européenne 2025. Une tournée assez spéciale, puisque la setlist a été établie par les fans du groupe, qui désirait flatter la foule dans le sens du poil en lui donnant exactement ce qu’elle attendait. Des classiques donc, quelques petites surprises, mais surtout, deux heures de bonheur pur pour tous les accros du Rock joué avec énergie, enthousiasme, sens du partage et sourire en bandoulière.

Il est plus de 21h, le groupe s’affiche en arrière-plan, comme une bande de potes qui passerait de nouveau en ville pour prendre des nouvelles. Les quatre membres sont décontractés au possible, passant à travers la salle l’air joyeux, pour nous sevrer d’hymnes seventies encore bouillants de la veille. On reconnaît évidemment la bouille d’Andy Powell, seul membre originel et seul chauve de la bande, sa Flying V l’attendant on stage pour être caressée et ébouriffée comme il se soit. A ses côtés, le reste du line-up 2025, avec les fidèles Bob Skeat à la basse, Mark Abrahams à la deuxième guitare, et le petit nouveau, Mike Truscott à la batterie.

1969/2025, une sacrée trotte pour les anglais, qui ont côtoyé les plus grands, DEEP PURPLE ayant même joué un rôle important pour leur décollage définitif. A la base, un groupe de Rock anglais comme tant d’autres, né sur les cendres de THE EMPTY VESSELS, venu tenter sa chance à Londres. Après la perte de leur guitariste initial, les membres restant passent une petite annonce, et se retrouvent face non à un, mais à deux excellents guitaristes, qu’ils ne parviennent pas à départager. Plutôt que de trancher au petit bonheur la chance, les employeurs préfèrent garder les deux, devenant ainsi, sans vraiment le vouloir, le chantre d’un style unique dans le Rock n’Roll : le Twin Guitars.

Depuis, des albums par palettes entières, dont certains vendus dans des proportions enviables (Argus en 1972, leur plus grand succès commercial), des tournées à la pelle, des musiciens qui sont venus, partis, revenus, pour une formation désormais établie autour du line-up déjà énoncé. En 2024, WISHBONE ASH lance sa formule pour sa prochaine tournée, baptisé The Wishlist Tour.  Le concert de ce soir répond donc aux attentes des fans qui ont voté via le lien disponible sur le site officiel du groupe, et après une tournée d’automne aux Etats-Unis, le ASH vient nous rencontrer en Europe, dans une salle qui lui sied à merveille : belle, remplie de passionné(e)s, chauffée à blanc, et prête à encaisser les doux décibels d’une musique riche, pleine, et tout sauf out of date.

Au premier rang, les fans se pressent contre les barrières pour ne rien manquer du spectacle. Et Andy ne perd pas de temps en conjectures, nous saluant dans un français sympathique avant de mettre la machine en branle. Et une fois le moteur monté dans les tours, plus rien n’arrêtera les quatre mousquetaires du Rock anglais.

Comment définir cette performance autrement qu’en un seul mot, magique, simple, et essentiel : guitare. Sans évidement minimiser le rôle de la rythmique formée par Bob Skeat et Mike Truscott, polyvalente et très capable, ce sont évidemment les instruments maniés avec panache par Andy et Mark qui sont les points de focalisation. Les deux frontmen se partagent donc les partitions, nous nourrissant de soli comme une mère allaite ses petits, mais en tant qu’enfants du Rock, nous ne pouvons qu’apprécier cette becquée, d’autant qu’elle est servie avec le sourire. C’est un véritable plaisir de voir ces musiciens prendre leur pied sur scène, après tant d’années au service de la musique. En remontrant à bien des jeunes formations plus blasées ou moins en place, WISHBONE ASH fait honneur à son rang, de groupe du peuple qui n’a jamais joué l’élitisme ou le jeu de dupes du star-system. On pourrait presque se croire aux débuts d’un bar-band exceptionnel, déjà maître de son art, mais c’est pourtant un homme qui traîne sa carcasse depuis 1969 qui occupe le centre de la scène.

Andy a tout du jeunot sur lequel les années n’ont aucune prise. Le doigté est toujours aussi subtil, le chant ferme avec ce petit vibrato magique qui fait la différence, et lorsque les deux guitaristes montent le turbo des twin guitars, le plaisir est immense, et la foule est unanime : ce groupe, ce soir, avec ces chansons est parfaitement à sa place, et donne plus qu’il ne prend.

Une telle générosité musicale a des effets immédiats. A l’entame même de « Real Guitars Have Wings », tout est là : les mélodies, l’osmose, la complicité, et la perfection. Les afficionados de longue date sont là aussi, les yeux vibrant de passion, et le corps remué par le son, précis, clair, et bien rond. « Outward Bound » nous balance sans ménagement dix ans en arrière, sur le légendaire New England et sa pochette noir et blanc mythique. Dans ces moments-là, on oublie le temps, on oublie le dimanche, et plus rien ne compte que ce Rock joué avec les tripes, le plus honnêtement possible, en laissant ces deux manches s’échanger un dialogue que les Dieux comprennent et acceptent joyeusement. Pas question ici d’inhumation, d’adieux interminables, juste l’envie de partager encore une fois, de communier avec le public sans dire un mot, et de justifier cette influence que l’on a sentie chez THIN LIZZY, IRON MAIDEN et autres chantres de la NWOBHM.

En tant que vétérans, les WISHBONE ASH ressemblent plus à un camp de vacances anglais sans chichi mais avec animations de luxe, qu’à un l’EHPAD où certains artistes feraient mieux d’aller se reposer. Les titres s’enchaînent, abordant allègrement tout le répertoire du groupe, entre « The King Will Come » du classique Argus et « Jail Bait » de Pilgrimage, en passant par « Ballad of the Beacon » du quatrième album.

Deux heures entre deux mondes, l’avant et après, mais surtout, le pendant, le public étant littéralement emporté par ce voyage dans le temps qui survole toutes les décennies, que WISHBONE ASH a si bien connues. Pas de pose inutile, pas de gimmick putassier, du Rock, encore du Rock, des mélodies intarissables et éternelles, et un répertoire qui laisse le public décider du menu. Pour avoir écumé les salles, vu des centaines de groupes, je peux affirmer que les anglais ce soir nous ont embarqué dans leur univers, le nombre de gens buvant et fumant à l’extérieur étant proche du zéro absolu.

 Pardonnez à votre serviteur d’avoir cédé à sa maîtresse nicotine pour un court instant, mais qui justement, ne s’est pas éternisé. M’attendaient dans la salle du Boogie, du Blues, du Rock, du Hard-Rock parfois, mais surtout, un esperanto que tout le monde comprend, et qui rend heureux. Merci à WISHBONE ASH pour cette soirée exceptionnelle, et merci à l’équipe du Crossroad d’avoir rendu ce moment possible. A notre époque, les plaisirs authentiques sont rares. Et d’autant plus appréciés.  

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