Nous étions encore dans les échos du grisant concert de Soror Dolorosa la veille qu'il fallait faire le déplacement pour Marseille, où le Molotov accueillait deux soirs de suite des concerts qui m'intéressaient. Cette petite salle est en passe de devenir une rareté car elle est située dans le centre, au débouché de la passerelle de la rue d'Aubagne qui enjambe le cours Lieutaud, à côté du cours Julien et du quartier animé de la Plaine, avec une station de métro au pied. Avec une identité antifasciste assumée, le Molotov se décarcasse pour proposer une programmation dense et variée pour faire bouger une ville qui tend à rester en deçà de son potentiel, en raison d'une mollesse inexplicable du public underground qui a écœurée les organisateurs les plus passionnés dans le passé.
Le premier de ces concerts était une petite affiche pour connaisseurs. Alison Lewis, connue sous le nom de scène de Zanias, est une artiste d'origine anglaise bien que née en Australie, installée à Berlin, dont l'âme de voyageuse invétérée ne l'a pas empêchée de collaborer à plusieurs projets qui l'ont révélée (Linea Aspera, Keluar) et de mener de front le sien propre, pour lequel elle vient de sortir un album cette année. La tournée de promotion comportait plusieurs dates en France.
Pendant que ça se battait à coup de pierres à quelques encablures de là au Vélodrome, une grosse trentaine de personnes investirent peu à peu le bar et la salle tendue de fausses toiles d'araignée pour coller un peu à la saison d'Halloween. Cela allait du vieux fan de Post-Punk qui ne reste pas bloqué sur ses classiques à la jeune Gothique en passant par le passionné d'EBM et le Metalleux éclectique. Comme il n'y avait pas de première partie en réalité, nous avons eu plus que le temps de nous désaltérer, de se faire aborder au vu d'un t-shirt de bon goût, et d'inspecter un merchandising assez fourni pour un projet solo, au son de She Past Away. Et encore, le fait que nous fussions un dimanche soir à l'approche d'un pont et en pleines vacances scolaires a dû favoriser une participation haute : cela a permis à des fans venus de loin comme moi de se libérer.
Enfin la partenaire de scène Laura Bailey s'installa avec une basse devant une console d'effets alors que montait une intro rallongée de "Lovelife", tiré du dernier album "Chrysalis". ZOE ZANIAS sortit du backstage comme un diable sautillant un micro en main pour le premier couplet, alors que la scène se nimbait d'un bleu profond pour toute la durée du set. Si les chœurs originaux étaient samplés, Zoe/Alison assurait bien entendu elle-même le chant, et frappait de temps à autre une petite batterie électronique installée devant elle pour doubler le tempo. Avec une Electro DarkWave aussi chargée, elle est contrainte d'enregistrer à l'avance tout le set à moins d'emmener un personnel et un matériel pléthorique qui sont hors de ses moyens actuels. Mais dans cette configuration, tout l'enjeu est de faire vivre la chose. Le choix d'avoir une vraie basse Rock est déjà un bon moyen de remuer les corps, et pour le reste la mince Alison se démena en occupant toute la scène étroite et profonde du Molotov, dont l'éclairage bleu restait en accord avec l'esthétique de l'album à promouvoir – et sa teinte actuelle de cheveux. De temps en temps, un peu de fumée artificielle allait bien. J'aime cette l'Electro Pop sombre mais rutilante du dernier album, pleine d'effets clinquants et capiteux qui pourraient lui offrir un succès bien plus large si une major la repérait. En attendant, profitons de ce secret malgré le couple d'Allemands qui parlaient à voix haute tout le temps. Le reste de l'assistance dansait et réagissait très positivement, et il vaut infiniment mieux une petite assemblée de fanatiques qui vivent le concert à fond qu'une masse amorphe.
La setlist n'oubliait pas d'explorer la discographie plus ancienne et élargir les horizons à des paysages plus Electro Indus et austères, pour la satisfaction des fans qui connaissaient bien son répertoire. S'étant jusqu'ici contentée de remercier, Alison expliqua l'un de ces anciens morceaux évoquant un ex devenu un ami pour le meilleur (s'agit-il de Ryan Ambridge ?). Zoe est une personnalité pour le moins émotive qui nourrit constamment sa musique – et son réseau social – des derniers événements personnels de sa vie trépidante, ce besoin d'expression étant la source d'une discographie prolixe en sept ans. Il y a donc matière, avec ces nombreux minis et albums guère plus longs qui exposent généralement des maquettes assez brutes, spontanées, cathartiques mais d'inspiration variée d'une fois à l'autre. Cela rend l'expérience live assez dense, car c'est une riche enfilade de sentiments jamais trop délayés. On revenait ensuite à l'album de 2023 et ses sonorités dignes d'une Madonna gothique. Pour finir un set de presque une heure qu'on n'avait pas sentie passer, la diva se lança dans un petit discours condamnant durement la mort d'enfants dans les bombardements de Gaza, par un anglais sans accent sentant la famille plutôt aisée à l'origine. Pour ferme et sincère qu'il fût, ce manifeste laissa planer un petit malaise au sein d'une assemblée consciente de la complexité de l'abominable tragédie qui se joue sur une autre rive de la Méditerranée si proche (le Vieux Port est à deux cents mètres). On pense notamment au spectateur venu avec un t-shirt d'Orphaned Land. Elle termina ainsi sur une vieille chanson réarrangée quasiment a cappella, assez émouvante en soi avec ces accents mortuaires. Sur quoi l'assistance se dispersa en partie, tandis que d'autres attendirent que la diva vienne au stand discuter volontiers.
Ce premier concert n'était qu'un petit plaisir pour amateurs, mais j'étais bien content d'y avoir participé, entre deux affiches sensiblement plus grosses.
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Le semi-marathon Gothique que je m'imposai pour cette Toussaint touchait à sa fin par une date annoncée et espérée depuis longtemps. Clan of Xymox vient régulièrement à Paris, mais se montre rarement en province. Or je conserve une grande fidélité envers le groupe de Ronny Moorings, malgré la qualité fort variable d'une discographie très fournie en plus de quarante ans d'activité musicale (il n'y a qu'à voir entre les deux derniers albums). La première fois que je les avais vus, c'était d'ailleurs à deux rues de là au regretté Poste à Galène. Et la seconde remontait à une douzaine d'années déjà. Au terme d'une journée de forte pluie, il était amusant de revoir au Molotov quelques têtes côtoyées la veille et même lors d'autres concerts dans le même créneau en Provence ces dernières saisons… Mais surtout c'était l'affluence qui était frappante : quatre fois plus environ que la veille et que lors de cette première fois à Marseille il y a quinze ans quasiment jour pour jour. Il est clair que la scène a changé, la popularité actuelle du Post-Punk profite autant à toutes les vieilles gloires du style. Cette assemblée se distinguait tout de même de celles de Soror Dolorosa et des Sisters par un seul détail consistant en l'absence complète, cette fois, de la moindre touche nette de Metal.
Le duo ALICE GIFT qui tourne avec la tête d'affiche assurait l'ouverture. Dès le branchement de la guitare, je me félicitai d'avoir fait suivre les bouchons. Issu de feu Velvet Condom, le groupe de Nicolas Isner se place dans une Shoegaze dotée du fort volume typique du genre. Pourtant, un je ne sais quoi de léger se dégageait de ces sonorités Noisy pour y donner une saveur de chansons Dream Pop. Peut-être cela tenait à un souci mélodique constant. La voix grêle du chanteur allait bien avec ce style beaucoup plus cohérent que les références en auraient l'air pour ceux qui ne les connaissent pas. Les synthés tenus par sa conjointe Djamila Paris étaient également forts, et intelligemment utilisés pour se fondre dans les compos. Les dégaines un peu Arty, les poses charmeuses, le rythme ralenti et délié dégageaient ensemble une étrangeté un peu Lynchesque qui n'était pas pour me déplaire, même si je serais incapable d'écouter ça chez moi. Le chanteur exprima plusieurs fois un humour assez cohérent avec sa musique, qui ne rompait pas le charme comme cela arrive trop souvent chez les autres, par exemple lorsqu'il se tourna vers l'aquarium fumoir qui permet de continuer à suivre le concert sur le côté de la scène, comme un peepshow. Ou encore quand Ronny Moorings dut traverser la salle et la scène pour rejoindre le backstage. Un titre plus rapide nous remua un peu dans cette semi-torpeur. Il y a un savoir-faire certain sous ces poses de dilettante.
DENUIT prit ensuite possession de la scène. Leur set fut bien évidemment la répétition de celui de l'avant-veille à Montpellier, jusqu'au bout des ongles (taillés en pointe) et au mot près. On ne m'en voudra donc pas si je juge inutile de me répéter. J'observai simplement que le public resta concerné par le groupe un peu décalé sur l'affiche. Il y avait même quelques vrais fans en t-shirt qui encourageaient à pleine voix, depuis le fond. Mais dans cette touffeur montante, je préférais suivre cela depuis le bar en prévision de la suite. Et même depuis ce poste distant, on constatait que Denuit est capable de s'imposer à l'extérieur, à sa manière nocturne, onirique et suave.
En tant que clou de la soirée, CLAN OF XYMOX se laissa désirer avant que ne débarque le claviériste installé au fond qui envoya une intro mi-synthé mi-voix parlée le temps que les trois autres ne le rejoignent en ligne de front. Les premiers morceaux choisis, déjà entendus en live sans être des classiques obligatoires, plaçaient clairement le propos dans la partie la plus typée de son œuvre, du bon gros Rock Gothique chatoyant avec toute sa verroterie de synthés mélodiques, synthèse parfaite entre New Order et Sisters of Mercy quand c'est réussi. Et l'avantage du live, c'est que le manque de régularité de son répertoire très copieux disparaît, la setlist ne retenant quasiment que des succès éprouvés. Appartenant à la vieille génération, Ronny critiqua avec sa retenue de gothique Néerlandais les gens qui passaient le concert à filmer au lieu de profiter pleinement du moment présent (d'autant qu'avec les spots à hauteur des yeux dans une salle pareille, il est difficile de prendre un cliché correct). "Your Kiss" revenait ponctuellement vers un style plus sobre en effets. Un spectateur dépassé par ses émotions se croyait investi du rôle de porte-parole du public, en criant des remerciements excessifs et interrompant Ronny dès qu'il commençait à parler pour lui exprimer un amour fort gênant. Le patron préféra en rire, mais cela aurait pu dégénérer dans d'autres circonstances, les voisins se contentant de partager entre eux leur exaspération montante.
En l'absence de son épouse Mojca, une trilogie féminine de haute volée débuta avec un sublime, puissant et impérial "Jasmine and Rose" qui transporta tout le monde par la voix grave, chaude et subtile de Ronny sous sa frange noire iconique. Pour avoir vu récemment une brochette de vieilles gloires des années 80, je peux dire que lui n'a pas vieilli d'un demi-poil depuis les débuts. Après avoir tenté un peu de français de circonstance, "Louise" suivit dans une restitution au poil de ce titre dont l'enivrante mélancolie me ramena à de lointains moments comme si les années ne comptaient plus. "Emily", tiré de l'album de 2009 que j'avais adoré et qui était largement repris ce soir, m'acheva de bonheur dans la transpiration. On en revint ensuite à des titres datant de la dernière décennie, mais bien choisis notamment dans l'avant-dernier album. Malgré l'élément emmerdant enkysté dans l'assemblée, le Molotov prenait son pied et réagissait aux moindres sollicitations de taper de mains de Ronny, qui a gardé la manie de mimer doucement ses textes quand il n'a pas à jouer de la guitare. Certains de ses partenaires de diverses nationalités sont là de longue date, et tous ont tenu leurs rôles qui variaient souvent d'un titre à l'autre, passant des guitares aux claviers de divers types et notamment celui qui tenait jadis une petite batterie. Autant dire que le matériel bien rangé sur l'étroite scène était important. Pour finir dans la joie générale, "A Day", son tempo plus pressé et ses "where are you ?" exhalés mythiques emporta tout le monde, le titre inaugural du premier album étant par nature extrêmement fédérateur.
Le rappel allait rester dans ce registre historique en déterrant "Obsession", l'un des titres les plus solides de la période Xymox avec ses nappes de synthés, que quelques-uns semblaient ne pas connaître. On réaccéléra le tempo avec le moustique moscovite remontant carrément aux premières démos du début des années 80 antérieures à ce que que Dead can Dance ne les ait repérés et ne les fasse signer chez 4AD. On n'en termina pour autant pas là, puisque deux titres du légendaire deuxième album, le plus symphonique et le plus abouti, furent encore interprétés pour combler les connaisseurs et nous achever sur une saveur déprimée et délicate.
Love Got Lost/ No Tomorrow/ Innocent/ Your Kiss/ Jasmine & Rose/ Louise/ Emily/ All I Ever Know/ Loneliness/ She/ A Day
Obsession/ Muscoviet Mosquito/ Michelle/ Back Door
On était content de retrouver un peu d'air dehors pour reprendre ses esprits. C'était une parfaite apothéose après tous ces plateaux assimilables au Gothique et Post-Punk que je m'étais avalés ces derniers jours et ces derniers mois par concours de circonstances. J'avais fini par oublier un peu comme ça peut être bon avec le Clan, aussi bien qu'avec les plus grands malgré son statut inférieur et son univers plus cliché. Cela donnait un coup de jeune. Mais il est grand temps de revenir vers des sonorités un peu plus méchantes, à présent.
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