Au Début des années 70, les artistes avaient encore cette vision utopiste de l’avenir, chantant les louanges de la nature, d’une vie centrée sur l’essentiel, le partage, la communion globale, et le village central. Même mise à mal par le scandale de la famille Manson et du meurtre d’Altamont pendant un concert des STONES, la contre-culture espérait toujours que la drogue allait libérer les esprits et que les cochons de Babylone allaient perdre leur pouvoir. Mais en arrière-plan, une autre réalité se dessinait, une réalité que les cinéastes montraient de façon plus crue, et que les punks n’allaient pas tarder à embrasser, tout comme la vague No-Wave de New-York. En Europe, même la musique subissait des changements majeurs. Les groupes de Heavy Metal changeaient d’imagerie, et les pochettes agressives d’IRON MAIDEN et SCORPIONS éclaboussaient les bacs des disquaires avec une provocation cheap, mais notable. La mort. La mort commençait à se vendre, traitée artistiquement pour contrebalancer son équivalent réaliste que les journaux étalaient sans pudeur depuis des décennies. Les médias furent évidemment les premiers à se servir de la mort pour vendre leur papier, même si les premiers cinématographes comme Edison n’avaient pu s’empêcher de s’en servir à des fins mercantiles pour aguicher les visiteurs de ces foires étranges, mais friandes de sensations technologiques. Pour quelques sous, on pouvait d’un œil voyeur regarder un condamné à mort se faire électrocuter, sans se douter un seul instant de la supercherie que représentait ce procédé. Ce petit miracle qui en était un au début du vingtième siècle, est devenu un argument commercial banal dans le cinéma des années 80 : la mort comme accroche, qu’elle soit réelle ou fantasmée. Tel est le propos passionnant développé par David Kerekes et David Slater dans ce premier tome de Killing For Culture.
Peace sells, but who’s buying chantait Dave Mustaine. Et le rouquin teigneux avait raison. La paix ne vend pas, mais la guerre oui, et la mort encore plus. Lorsqu’en 1994 sortit ce fameux ouvrage, agrémenté d’une jaquette annonçant la couleur (dans des tons brunâtres assez proches d’un sang coagulé), le pavé était jeté dans la mare, et l’obsession révélé au grand public : les spectateurs en veulent toujours plus, plus de sang, plus de tortures, plus de sexe, plus de déviances. Donnez-leur un génocide au journal de 20 heures, ils iront chercher un massacre domestique sur internet pour assouvir leur soif de sang. Le voyeurisme a toujours fait partie de la nature humaine, et cette nouvelle traduction en deux parties de Killing for Culture: An Illustrated History of Death Film from Mondo to Snuff vous propose un voyage étrange dans les couloirs de la mort.
Première précision, qui a son importance. Si d’aventure vous cherchiez dans cet ouvrage des preuves de l’existence de snuffs réels et avérés, passez votre chemin. Une telle preuve n’a jamais existé, même si une enquête du très sérieux FBI (relatée dans cet ouvrage) témoigne de la peur qu’a engendrée ce mythe urbain, et du sérieux avec lequel il a été abordé. Killing For Culture Tome 1 ne vous offrira rien de plus qu’une exploration de l’exploitation de la mort au cinéma et dans le monde de la vidéo, en traitant du cas des œuvres les plus sulfureuses, les plus underground, chronologiquement, thématiquement, en accordant une très grosse partie de ses chapitres au phénomène Mondo, qui a découlé sur des dizaines de faux-cul-menteurs plus ou moins habiles et novateurs.
Killing For Culture Tome 1 ne fait ni dans la dentelle, ni dans le sensationnalisme. La plume est affutée, mais le ton distancié, même si l’écœurement se fait sentir au détour des formules et de la rhétorique. Dans un langage simple et parfois direct (les auteurs ne s’empêchent pas de parler de baise, de merde, pour coller de plus près au thème) David Kerekes et David Slater abordent la problématique de la mort au cinéma, toujours mise en scène, mais aussi parfois réelle lorsque les bobines sont destinées au marché de la vidéo. Le fil rouge de ce livre est évidemment le légendaire et grotesque Snuff, mis sur le marché en 1975 par le producteur opportuniste Alan Shackleton. Au départ, cette petite bobine ridicule tournée par Roberta Findlay se concentrait sur les exactions d’une meute ressemblant évidemment de très près à la Manson family, et ne trouva aucun acheteur, le résultat étant même en dessous des productions minables habituelles de Roberta et son mari Michael Findlay. En décidant de surfer sur la mode des soi-disant snuffs, en pleine explosion à l’époque, Alan Shackleton récupère la bobine traînant depuis des années sur une étagère, et y ajoute une scène finale bricolée à la hâte. Il s’empresse de supprimer de l’écran tout crédit, et monte toute une campagne de promotion futée autour de ce film bâclé (allant jusqu’à organiser de fausses manifestations devant les cinémas). Le résultat, mitigé au départ, finit par se montrer à la hauteur de ses attentes, et rapporter pas mal d’argent. Mais le plus important, est qu’avec son stratagème fumeux, Shackleton avait réussi à mettre le ver dans le fruit : dorénavant, il ne faudrait plus prouver que le snuff existe, mais bien qu’il n’existe pas.
Killing For Culture Tome 1 brosse donc le portrait de la mort au cinéma et dans les vidéoclubs avec une rare exhaustivité. La lecture de l’ouvrage, plaisante pour les initiés, risque toutefois de rebuter les néophytes qui se perdront dans la tonne de références et de titres d’œuvres. Les auteurs n’ont pas hésité à consacrer des chapitres entiers et longs de plusieurs centaines de pages à certaines tendances, comme le Mondo, qui se voit gratifié de la moitié ou plus du tome. On se retrouve donc avec un chapitre consacré au Mondo au général, qui en explique les tenants et aboutissants, les origines et les extensions, mais aussi avec un chapitre suivant en recensant les principales sorties, qui avaient déjà été abordées dans les pages précédentes. Cette redondance un peu lassante provoque un décrochage de lecture à mi ouvrage, d’autant que d’autres segments sont largement consacrés à l’escroquerie Snuff, étudiée sous toutes les coutures.
Vous retrouverez donc l’historique du Mondo, ce style de documentaire louche qui consistait à mettre bout à bout de nombreuses séquences ethnologiques à l’origine plus ou moins douteuse, et dont l’escalade dans la violence fit passer les spectateurs de l’innocent Mondo Cane au nauséabond Face à la Mort. Ce premier tome se concentre donc sur la période cinéma et vidéo de la mort à l’écran, et les images qu’il parvient à suggérer à notre cerveau nous renvoient à nos vices voyeuristes les plus cachés, bien que les auteurs ne se gênent pas pour démonter le caractère grotesque de certaines copies (leur description de Libido Mania de Bruno « Virus Cannibale » Mattei vaut le détour avec ses fausses crottes). C’est cette distanciation qui permet à l’ouvrage de tenir la route, les auteurs étant bien conscients du ridicule de leur sujet dans certains de ses traitements, et notamment celui de la dite « vérité » dans des pseudos documentaires se repiquant les mêmes scènes sans vergogne.
Les derniers paragraphes sont assez croquignolesques, avec un chapitre consacré à l’art du fake snuff, et une plongée dans le porno sur commande. Faux étranglements, fausses pendaisons, site Necrobabes, forums douteux, le tout sur fond de musique évidemment agressive, et une allusion à quelques artistes que nous connaissons bien et qui ont eux aussi trempé dans ce délire assez désorganisé. Trent Reznor, la vague No-Wave, quelques rois de l’Indus/Noise underground comme WHITEHOUSE, et une ouverture sur le Tome 2, beaucoup plus concret, mais aussi beaucoup plus succinct. Un livre à conseiller donc à ceux fascinés par le sujet, qui trouveront en ces pages un recensement assez intéressant et complet de leurs obsessions, et des œuvres pittoresques à découvrir. Car entre un Cannibal Holocaust et un Snuff, très classiques, vous aurez droit aussi à un listing assez sympathique des found footage, et quelques allusions à des compagnies underground comme Vidimax. Un livre qui sent le soufre, qui souffle la mort, mais qui reste toutefois un peu trop précis et concentré sur des modes qui aujourd’hui semblent bien désuètes.
(Traduit de l'anglais par Angélique Merklen & Maxim Dubreuil)
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